Régime Écossais Rectifié

Posts Tagged ‘Profession’

Entretien avec Jean-Marc Vivenza : « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles »

In Franc-maçonnerie on 21 janvier 2023 at 17:11

Les éditions Dervy, à l’origine de la parution de « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles » en septembre 2022, signalaient à juste titre, que cet ouvrage « met pour la première fois à la disposition des lecteurs, sous une forme claire et pédagogique », les clés de compréhension d’un « enseignement ésotérique, offrant des lumières singulières sur l’origine du monde matériel, la nature actuelle de l’homme et sa destination finale », dont est dépositaire le Régime Écossais Rectifié, à la suite de l’Ordre des élus coëns de Martinès de Pasqually. L’auteur revient ainsi dans cet entretien, sur la particularité de cette voie maçonnique et chevaleresque, et sur les perspectives providentielles qu’elle offre à toute âme désireuse d’en saisir le contenu et la substance initiatique et doctrinale.

Question 1 – La littérature maçonnique est très majoritairement dédiée à des considérations historiques ou, lorsque la préoccupation est de nature pédagogique, à des vade-mecum obédientiels, présentant des propositions d’explications fragmentées du langage symbolique. Vous optez pour une orientation différente, en positionnant la doctrine du Régime, comme récit fondateur de la vie initiatique. Ce choix implique-t-il une approche radicalement nouvelle de l’Apprentissage de la maçonnerie rectifiée, supposant une appropriation immédiate de cet enseignement ?

Il ne s’agit absolument pas d’un « choix », mais d’une orientation propre au Régime Écossais Rectifié lui-même, puisque ce système fut constitué, précisément, pour être le dépositaire d’un enseignement doctrinal que reçut Jean-Baptiste Willermoz lors de son admission, en avril 1767, dans « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers », et qu’il souhaita préserver en évitant qu’il ne se perde, en raison de la valeur de cette « doctrine », en utilisant le cadre formel de la Stricte Observance pour lui servir d’écrin protecteur. Le Régime Rectifié est donc né de cette volonté, et son essence est liée indissolublement, ce qui est un cas unique caractérisant son originalité, à la présence en son sein d’un dépôt « doctrinal ».

Ainsi, être fidèle aux volontés qui présidèrent à la fondation du Régime Écossais Rectifié, en plaçant la question de la « doctrine » au centre même de l’enjeu initiatique, ne constitue donc pas, comme on le constate, une quelconque décision innovante, mais un respect de ce qu’il en est de la nature authentique d’un Ordre qui, certes, en raison d’une pratique l’ayant ramené hélas ! à un « rite » parmi d’autres dans le cadre de structures obédientielles fonctionnant selon les formes administratives et organisationnelles de la maçonnerie andersonienne, a été mis à distance de ses propres critères référentiels, mais néanmoins qui depuis ses origines, c’est-à-dire le Convent des Gaules s’étant réuni à Lyon en 1778, s’est toujours pensé comme le « dépositaire » et le « gardien » de l’enseignement légué par Martinès de Pasqually à ses disciples, un « enseignement » qui remonte, selon le thaumaturge bordelais, au commencement des temps.

Cet enseignement ésotérique est d’ailleurs désigné du nom de « Sainte Doctrine » par Jean-Baptiste Willermoz, qui souligne qu’elle nous est « parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous », rajoutant, pour que les choses soient bien claires dans l’esprit des membres du Régime Écossais Rectifié, de sorte que ne puisse subsister aucune ambigüité s’agissant de la provenance et du contenu de cette « Sainte Doctrine » en la regardant, fautivement, comme étant « fille de la raison humaine », qu’elle « n’est point un système hasardé arrangé comme tant d’autres suivant des opinions humaines ; elle remonte… jusqu’à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre des initiés, qui furent les principaux chefs des grandes familles du Peuple élu, auxquels il reçut ordre de la transmettre pour en perpétuer la connaissance dans toute sa vérité […] [1].»

Question 2 – Cette « Sainte Doctrine » n’aurait-elle pas cependant la possibilité d’évoluer avec le temps, de modifier ses concepts en fonction des avancées de la pensée, voire de mettre en perspective certains points qui pourraient heurter trop frontalement les positions de l’Église, en particulier les affirmations tranchées portant sur les conditions « nécessaires » de la Création du monde ?

La suite du discours de Willermoz, que nous venons de citer, précisant que la doctrine « n’est point un système hasardé arrangé comme tant d’autres suivant des opinions humaines », est très instructif, car le patriarche lyonnais tient à insister sur un point relativement important – de nature à interdire toutes les velléités multiples pouvant surgir au fil du temps, qui chercheraient à « discuter », « amender », « opposer » ou « contrarier » les thèses de la doctrine dont l’Ordre est le dépositaire : « La forme de cette Instruction a quelquefois varié selon les temps et les circonstances, mais le fond, qui est invariable, est toujours resté le même [2].»

En conséquence cette « Sainte Doctrine », qui a pu prendre évidemment des formes différentes en fonction des périodes de l’Histoire, est cependant selon Willermoz de nature « invariante », ce qui signifie qu’elle n’a jamais changé du point de vue de son « fond » qui n’est pas sujet à devoir recevoir, par décision arbitraire, des révisions au gré du temps et des sensibilités de tout un chacun, afin de le faire correspondre à des opinions particulières, qu’elles soient théologiques, dogmatiques, ecclésiales ou philosophiques, ce « fond doctrinal » ne devant pas, et surtout ne pouvant pas, être modifié pour une raison qui est extrêmement simple à comprendre, c’est qu’en très peu de temps le legs willermozien, transformé et remanié au gré de croyances aussi diverses que variées, interprété selon des vues personnelles subjectives, voire modifié pour obéir à des interprétations fantaisistes, aboutirait à quelque chose de tout autre que ce qu’il est, et finalement, à très court terme, disparaîtrait.  

Il convient donc, pour éviter que de telles initiatives, viennent à corrompre la substance de la doctrine du Régime, et rendre incompréhensibles la symbolique, l’architecture et le contenu même des « instructions » relatives à chaque grade, en s’autorisant à des modifications dans les thèses de cet enseignement, ou en se lançant, par des arguties et des procédés dilatoires, dans des interprétations faussées, biaisées et erronées, que soit rappelée cette vérité exprimée par Willermoz : « la doctrine a été transmise de temps immémorial par une tradition orale qui a traversé les siècles, appuyée sur de bons témoignages […] parmi ceux qui la reçoivent d’une manière suffisante à leur instruction personnelle, il y en a bien peu qui deviennent en état de la vouloir distribuer aux autres comme il faut, car c’est l’effet d’une disposition et d’une vocation particulière [3] .»

Tout ceci oblige donc que cette « distribution », pour ceux qui en ont la « vocation particulière », ainsi qu’y insiste le fondateur de l’Ordre, soit réalisée « fidèlement », de sorte d’éviter absolument l’oubli, la déformation, ou pire encore, la complète disparition des thèses doctrinales de l’Ordre.

C’est pourquoi, le livre qui vient d’être publié, ayant pour titre « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles », n’a donc pas d’autre ambition, et d’autre but, en ce début de XXIe siècle où les enjeux pour la continuité des « voies » initiatiques afin qu’elles perdurent en fidélité sont considérables, que de répondre à cette nécessité de « préservation » et « transmission » du corpus doctrinal dont l’Ordre est le détenteur depuis le XVIIIe siècle, de façon à ce que puisse se poursuivre l’œuvre métaphysique et initiatique dévolue par Willermoz au système maçonnique et chevaleresque qui a succédé, comme témoin du « Haut et Saint Ordre » – au moment où il s’effaçait de la scène de l’Histoire pour des motifs multiples dont seule la divine Providence possède véritablement les raisons [4] -, à « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers ».

 Question 3 – Comme vous l’indiquez en introduction à la « première leçon », la singularité du Régime Écossais Rectifié est telle, qu’elle en finit par questionner son lien réel avec l’environnement maçonnique classique. La maçonnerie rectifiée présente les contours d’une théosophie active, là où d’autres systèmes initiatiques, fondent leur légendaire sur l’art de bâtir. Quelles sont les conséquences anthropologiques de cette forte singularité, pour les âmes engagées dans un tel cheminement ?

Les conséquences sont radicales, et portent non sur un « perfectionnement » de l’homme, mais une perspective qui n’est autre que sa « réintégration », selon la formule consacrée, dans sa « première propriété, vertu et puissance spirituelle divine », une « réintégration » qui est évidemment envisagée dans la région divine dont il provient, ce qui, on l’avouera aisément, change complètement de plan « l’horizon » initiatique.

Ainsi, d’une horizontalité humaine travaillant à des progrès au niveau de la sphère matérielle, le Régime Rectifié fait lui passer le champ « opérationnel », si l’on peut dire, vers une verticalité immédiate à visée divine, et cela transforme du tout au tout, et entièrement pour le moins, l’orientation de l’initiation en mode maçonnique, représentant d’ailleurs, il n’est pas inutile de le signaler, une forme assez originale de « voie » en quelque sorte « sacerdotale », puisque le frère reçu dans l’Ordre, aura à accomplir à un certain grade – en un mode symbolique particulier qu’on laissera à chacun le soin de découvrir le temps venu -, des gestes réservés normalement à la classe qui avait pour devoir le service du Sanctuaire dans l’Ancienne Alliance ; chemin de remontée donc, possédant par ailleurs une visée « réconciliatrice », ceci afin de ramener « l’âme de désir » dans « l’unité perdue » depuis la rupture adamique, avec l’Être éternel et infini.

Dire que ce changement de plan, très différent effectivement de ce que l’on rencontre dans d’autres rites, soit simple et aisé à mettre en œuvre serait sans doute mentir, car il faut admettre, avec sincérité, que le cheminement proposé par le Régime Écossais Rectifié est extrêmement délicat et fort subtil, nécessitant une rigueur spécifique bien supérieure à celle qui est généralement requise dans la pratique des autres systèmes. Il convient d’insister sur cet aspect de différence d’exigence bien plus qu’on ne le fait généralement.

On comprend de ce fait la raison de l’importance d’une parfaite assimilation des fondements métaphysiques et doctrinaux du Régime, de sorte de ne pas se méprendre sur le sens d’une « présence » en son sein, en se trompant de chemin ou en substituant des objectifs étrangers à ceux fixés explicitement par l’Ordre, « objectifs » qui sont pourtant clairement dévoilés, « pour ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir » [5], dans les différentes « instructions » destinées à chaque grade, ou même – ce qui est très souvent le cas lorsque l’on ne pratique pas ce système selon les critères précis qui sont les siens -, de n’en point suivre aucun, bien qu’en étant « administrativement », pour ne pas dire « virtuellement », rattaché au Rite Rectifié, ce qui au fond ne signifie pas grand chose, faute d’avoir abordé les connaissances suffisantes pour en accomplir la finalité à son niveau spirituel authentique.

Question 4 –  L’argumentaire récurrent des sensibilités hostiles aux éléments de la « doctrine de la réintégration », est d’en nier la présence au sein des classes symbolique et chevaleresque, pour la réserver aux dernières Instructions willermoziennes, actives au XVIIIème siècle. Cette posture ne revient-elle pas, objectivement, à séparer cet enseignement du réel, dans un système qui considère pourtant les formes manifestées, à la fois comme la conséquence d’un drame cosmogonique, et le lieu d’une possible réparation ? Le récit fondateur serait-il à distinguer de la vie du maçon rectifié ?

Poser la question c’est y répondre. J’ai d’ailleurs fait justice de ces assertions, visant à soutenir que la doctrine ne devrait pas être abordée dans les classes symboliques pour ne pas « troubler » les frères des premiers grades. On se demande donc bien en ce cas, aucun grade étant exempt d’éléments doctrinaux, quand doit-elle être abordée ? 

Tout est imprégné de la « doctrine » au Régime Rectifié, et avant même d’avoir été reçu franc-maçon, lorsque le candidat séjourne en « chambre de préparation », des notions éminemment doctrinales sont exposées devant un « profane » à qui l’on déclare – ce qui pour les partisans d’une mise à l’écart de la doctrine dans les grades bleus est la preuve que leur position est dénuée de cohérence -, que s’il se trouvait que le récipiendaire avait une « doctrine opposée » à celle que l’Ordre regarde comme étant sa « règle fondamentale », il ne pourrait être admis en loge :

« […] l’Ordre, ne devant pas accueillir des individus qui auraient une doctrine opposée à celle qu’il regarde comme sa règle fondamentale a dû, relativement à ceux qui désirent d’y être admis, établir des formes certaines pour connaître leurs vrais sentiments, et leurs conformités avec ses lois, afin d’éloigner de ses assemblées tout prétexte de disputes ou d’oppositions d’opinions tendant à détruire la charité, la fraternité et l’union qui doit y régner essentiellement [6]. »

On perçoit évidemment le caractère absurde consistant à délivrer des propos à un impétrant qui se présente à la porte du temple, alors-même que celui qui les prononce, en prenant un air d’autorité pour ce faire, est en fait ignorant, ainsi que ceux qui sont en loge à ce moment-là et qui l’envoient auprès du candidat pour s’assurer de ses bonnes dispositions, de ce que représente la dite « doctrine » qui est qualifiée de « règle fondamentale » de l’Ordre.

Soit on accomplit une « scène » qui relève du théâtre de représentation en récitant des textes sans les comprendre comme pourraient le faire des acteurs de comédie, soit, au contraire, on considère que l’enjeu de ce qui est mis en œuvre est réellement initiatique, et alors il est impossible de se satisfaire d’une vague connaissance des notions doctrinales du Régime Rectifié en se disant qu’on les étudiera lorsqu’on en aura l’occasion, où lorsque le temps sera venu, l’expérience montrant que c’est immédiatement, dès l’agrégation à l’Ordre, que l’étude doit s’accomplir.  

D’ailleurs, comme si cela ne suffisait pas dans l’exemple évoqué du récipiendaire découvrant la particularité du Régime, le candidat, toujours encore placé en chambre de préparation, c’est-à-dire en mesure de décider de refuser l’éventualité de sa réception et quitter les lieux, entendra qui plus est des affirmations appuyées sur quelques points hautement doctrinaux s’il en est, dont cette déclaration portant sur l’identité de « nature » entre son âme et celle de Dieu :  

« […] votre âme immortelle est par conséquent de la même nature de cet Être immortel son Créateur, laquelle éloignée de cette source divine brûle d’une soif ardente dans la recherche de sa félicité qu’elle ne peut trouver ailleurs qu’à la source même…[7]. »

Il faut mesurer ce qu’une telle assertion signifie dans un cadre théologique et métaphysique, en sachant que soutenir « l’identité de nature » entre l’âme et le Créateur participe de thèses « émanatistes », bien connues des censeurs ecclésiastiques, qui depuis toujours, toutes confessions chrétiennes confondues issues des articles fixés lors des premiers conciles, se sont opposés vigoureusement à ces propositions jugées « hétérodoxes ».

Et contrairement à ce que l’on pourrait supposer, pour en éviter l’évidence et chercher à en fuir l’aveu de la manifeste présence, la thèse de « l’émanation de l’âme », de façon plus encore explicite, est signifiée de façon claire dans la « Règle Maçonnique », qui sera remise au nouvel Apprenti après sa réception.

Il suffit de lire avec attention :

« Homme ! Roi du monde ! Chef-d’œuvre de la création lorsque Dieu l’anima de son souffle ! médite ta sublime destination. Tout ce qui végète autour de toi, et n’a qu’une vie animale, périt avec le temps, et est soumis à son empire : ton âme immortelle seule, émanée du sein de la Divinité, survit aux choses matérielles et ne périra point. Voilà ton vrai titre de noblesse… [8]

On l’aura compris, il n’y a aucun moyen d’échapper à ce climat « doctrinal » qui imprègne l’ensemble de l’architecture du Régime Rectifié en ses différents grades, et ce depuis les tout premiers instants d’arrivée en son sein. Jean-Baptiste Willermoz, qui a édifié savamment, avec une patience infinie et un génie admirable ce système, voulut qu’il en soit ainsi. Il faut donc ainsi que cela soit, et demeure comme tel, si l’on souhaite respecter les vœux du patriarche lyonnais qui présidèrent à l’édification de l’Ordre.

Question 5 – Retrouve-t-on, de manière concrète, les éléments du récit fondateur martinésien, dans les différentes séquences des rituels rectifiés – en particulier, dans l’ouverture et l’ordonnancement de la loge, ou dans la cérémonie de Réception, qui sont les temps forts du rite – ?

Il conviendrait normalement de se contenter de répondre, pour ne pas enfreindre la règle de discrétion relative à tout ce qui participe du déroulement cérémoniel en loge, simplement par l’affirmative à cette interrogation et rester ensuite silencieux pour le reste [9].

Sachons toutefois que Willermoz a effectué, avec une rare précision, un travail de transposition méticuleux entre les élus coëns et le Régime Rectifié, de sorte que chaque geste, chaque batterie, chaque couleur, chaque symbole, relève d’une référence martinésienne. C’est d’ailleurs au titre de la mission de rédaction des rituels qui lui avait été confiée par le « Convent de Wilhelmsbad », qu’il put effectuer de manière méthodique cette transposition, ce qu’il rappela à Charles de Hesse, dans sa lettre du 10 septembre 1810, où il expliquait les conditions dans lesquelles il entreprit l’édification du 4ème grade : « Votre Altesse se rappelle sans doute que le temps que les députés au Convent Général pouvaient accorder pour la durée de cette assemblée étant insuffisant pour perfectionner la multitude des travaux projetés, on s’occupa d’abord des plus importants ; on se borna ensuite à esquisser la réforme des grades symboliques et des deux de l’Ordre Intérieur […] Les bases du quatrième grade furent aussi arrêtées, et Votre Altesse me confia personnellement les instructions et l’esquisse du tableau […] le tout écrit de sa propre main et adopté par le Convent pour me diriger dans cette partie du travail [10]

*

Il n’en demeure pas moins, pour en rester au simple cadre général, sans rentrer trop avant dans des détails touchant aux rituels, que les thèmes du « récit martinésien », en « six temps », sont tout-à-fait perceptibles dans les différents épisodes : « émanation », « émancipation », « prévarication », « dégradation », « expiation » « réconciliation », le septième temps devant être celui de « réintégration », correspondant au retour à l’état initial, « six temps » que l’on retrouve dans le cheminement initiatique, la réception en Apprenti pouvant être regardée comme une reproduction de la « chute d’Adam » et les premiers pas vers sa « réconciliation ».

Ainsi, l’ordonnancement de la séquence de l’ouverture des travaux lors de l’activation des « lumières d’ordre » – qui répond aux « six jours de la création », en se souvenant que  les trois éléments ou « essences spiritueuses », et non quatre, « l’air » étant exclu, que reconnaît le Rectifié, soit « Feu », « Eau » et « Terre » -, est la manifestation du « Verbe ternaire de création » », car Dieu, en décidant, sous l’effet d’une « contrainte », de la constitution du monde, donna l’ordre de sa production par « 6 pensées divines ». Les « images de formes corporelles apparentes » sont donc manifestées à l’ouverture des travaux par l’opération de génération de la manière suivante : 1+2+3 = 6 [11], l’allumage des six lumières d’ordre pouvant être regardé comme une « manifestation du Verbe de création » [12], ce que représente concrètement l’éclairage de la Loge par le Vénérable Maître et les Officiers, reproduisant ainsi le « double triangle » fondateur de « l’univers physique » :

La « manifestation du Verbe de création », à partir du « Chandelier emblème de la triple puissance du Grand Architecte de l’Univers» placé sur l’autel du Vénérable Maître, provient bien de la « Pensée » (1), est générée par la « Volonté » (2), et s’accomplit par « l’Action », la mise en œuvre de l’opération de « création », telle que voulut la réaliser rituellement Willermoz, par le déploiement de la lumière provenant de la puissance du ternaire (3), produit, par la même puissance arithmosophique de ce ternaire 1+2+3, la forme générale sénaire de l’univers physique (6) [13] qui est un « double triangle », dont la loge est constituée et qu’elle représente symboliquement et spirituellement [14].

On pourrait de la même manière, développer bien plus encore en d’innombrables points et les différents grades, les correspondances entre sources martinésiennes et rituels rectifiés, invitant ceux qui souhaitent approfondir sérieusement le sujet, passionnant à bien des égards pour la juste compréhension de la nature du système élaboré par Willermoz, dans livre publié sur ce thème : « Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié » [15].

Question 6 – Vous indiquez, en conclusion de l’ouvrage, que « le but de Willermoz fut de préserver la doctrine de Martinès de Pasqually […] quand sombrait l’ordre des Élus Coëns. » Si les éléments du récit imprègnent les rituels rectifiés, pourquoi ne pas en avoir conservé les formes et l’architecture ?

Tout simplement parce que les formes et l’architecture du système édifié par Martinès de Pasqually, étaient quasi impraticables, et d’ailleurs ne furent jamais pratiquées conformément aux textes qui avaient pour fonction d’organiser et légiférer la vie des élus coëns, en particulier les « Statuts Généraux » de 1767, d’une impressionnante complexité baroque, et dont une rapide lecture fait immédiatement comprendre les raisons objectives de ce caractère quasiment impraticable.

Mais d’autres facteurs ont joué un rôle dans cette décision de Willermoz. Tout d’abord le départ précipité de France, laissant l’Ordre des élus coëns dans un état de profonde désorganisation, et la disparition, dans des circonstances troubles, de Martinès de Pasqually à Port-au-Prince en septembre 1774. Événements suivis de la mise en sommeil officielle de l’Ordre par son dernier Grand Souverain avant même la Révolution, sans minorer le fait par ailleurs, que le patriarche lyonnais ne fut jamais vraiment gratifié par les « opérations » qu’il regardait, plus le temps avançait depuis sa rencontre avec Martinès, avec une certaine suspicion teintée d’une grande réserve, renforcée par la manière assez hasardeuse et la liberté fantaisiste avec laquelle Pasqually décidait du contenu des rituels et des périodes de leur célébration, rédigeant les cérémonies en puisant selon son inspiration du moment dans des sources où figurent en bonne place les opuscules magiques de Cornelius Agrippa, l’Enchiridion attribué au pape Léon III, et surtout l’Heptameronde Pierre d’Abano, qui mêlent magie invocatoire, culte de théurgie active incluant des « exconjurations » contre les démons, fumigations de résines psychotropes, sacrifices de matières animales, sciences divinatoires, etc., et qui servirent à la rédaction du répertoire contenant les noms et les hiéroglyphes secrets des « 2400 noms » d’esprits à « invoquer » lors des rituels destinés aux émules, l’amenant au final à considérer que si la doctrine avait un intérêt réel, et tel était bien le cas en effet, les formes cérémonielles des élus coëns en revanche, lui apparaissaient plus que problématiques, et pouvaient en conséquence être avantageusement écartées.

Tout ceci explique donc pourquoi Willermoz jugeât préférable d’utiliser les formes toutes germaniques de l’organisation rigoureuse de la « Stricte Observance », et ses éléments rituels, autrement plus solides et stables que l’Ordre disparu, selon les vues de la Divine Providence, des élus coëns, pour y introduire, afin qu’il perdure à travers les âges et soit conservé, l’enseignement initiatique d’une valeur incomparable, portant sur la « réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine ». 

Question 7 – La doctrine du Régime Rectifié, référée, selon l’expression maistrienne, à un « christianisme transcendant » et primitif [16], qui fut celui d’Origène et du néo-platonisme, diffère, sur des points majeurs – tels que l’immatérialisme des premiers esprits, le caractère « nécessaire » et contraint du composé matériel, consécutif à leur révolte, et sa vocation finale  à l’anéantissement – des définitions dogmatiques, telles qu’admises par l’ensemble des institutions ecclésiales de la chrétienté. N’y aurait-il pas alors une forme de paradoxe, à concilier une vie liturgique chrétienne, avec une adhésion active et participative à ces thèses ? Les deux propositions ne sont-elles pas antagonistes ?

Il y aurait un paradoxe, effectivement, si l’on considérait que la participation à la vie liturgique impose une adhésion pleine et entière au corpus dogmatique de l’Église entendue au sens large, corpus fixé lors des conciles, et qu’une distance en plusieurs points non négligeables, il faut en convenir, et que vous rappelez à juste raison, représentait une impossibilité d’assistance aux offices.

Or on peut très bien – et il est même bon de le faire si l’on peut bénéficier dans la paroisse de son quartier ou de son village, de formes cultuelles traditionnelles -, en adhérant aux thèses de la doctrine enseignée par l’Ordre, être fidèle à la vie liturgique de la confession chrétienne à laquelle on appartient, et en suivre le calendrier en participant au culte célébré par le clergé ou les pasteurs, en ne cherchant surtout pas à engager des controverses théologiques, mais en occupant une place, humble et discrète, de sorte de simplement « communier en esprit » avec le Ciel, au milieu de nos sœurs et frères en chrétienté.

Le « christianisme transcendant » auquel se réfère Joseph de Maistre, désignant sous cet intitulé les thèses originales qu’il avait rencontrées auprès des initiés à Lyon, n’a pas à se constituer en une nouvelle Église, ce qui serait incohérent pour une orientation spirituelle toute céleste et qui a son séjour dans l’invisible, ce « christianisme » étant transversal de toutes les expressions confessionnelles, et n’encourageant ainsi personne, bien au contraire, à changer de chapelle, chacun ayant à vivre et accomplir, là où il se trouve providentiellement placé, son pèlerinage terrestre.

Il importe de comprendre que ce « christianisme transcendant » n’est pas une nouvelle religion, mais désigne les « lumières supplémentaires » éclairant le Credo selon l’expression de Maistre, participant de la « discipline de l’Arcane », ou tradition secrète, qui provient des premiers siècles du christianisme, dont parle saint Clément d’Alexandrie dans son « Gnostique » et que Fénelon décrit ainsi :

« La gnose, selon saint Clément, n’est point l’état des chrétiens ordinaires qui ont reçu la foi et la grâce de Dieu dans le baptême ; c’est quelque chose de bien plus pur et de plus sublime. À la vérité, ce n’est rien de distingué du christianisme ; mais c’est le comble de la perfection du christianisme où un petit nombre d’âmes est élevé […] il y a dans la gnose, outre les vertus sublimes que saint Clément y dépeint, un fond caché, un profond mystère, qu’il n’est pas permis de dévoiler, et qui demande la même économie que les mystères fondamentaux du christianisme. La gnose est au-dessus de l’état de foi ordinaire des justes ordinaires, comme la foi des justes ordinaires est au-dessus de la sagesse des philosophes païens. Voilà sans doute un état bien digne d’attention ; et le secret avec lequel il est voilé doit bien encore redoubler notre zèle pour l’approfondir [17]. »

Ainsi chaque membre du Régime Rectifié, nourri de l’enseignement d’une « doctrine » qui prend son origine dans les vérités du christianisme primitif et que l’institution ecclésiale a connues, avant de les combattre et les qualifier « d’hérésies » à partir du VIe siècle [18], peut donc se tranquilliser en considérant avec Joseph de Maistre, catholique s’il en est, que les dogmes « cachent » plus qu’ils ne protègent la vérité :

« Le christianisme, dans les premiers temps, était une vraie initiation où l’on dévoilait une véritable magie divine […] Bien loin que les premiers symboles contiennent l’énoncé de tous nos dogmes, les chrétiens d’alors auraient au contraire regardé comme un grand crime de les énoncer tous. Il en est de même des saintes Écritures : jamais il n’y eut d’idée plus creuse que celle d’y chercher la totalité des dogmes chrétiens : il n’y a pas une ligne dans ces écrits qui déclare, qui laisse seulement apercevoir le projet d’en faire un code ou une déclaration dogmatique de tous les articles de foi […] jamais l’Église n’a cherché à écrire ses dogmes ; toujours on l’y a forcée. La foi, si la sophistique opposition ne l’avait jamais forcée d’écrire, serait mille fois plus angélique : elle pleure sur ces décisions que la révolte lui arracha […] le Christ n’a pas laissé un seul écrit « à ses Apôtres. Au lieu de livres il leur « promit le Saint-Esprit. ‘‘C’est lui, leur dit-il, qui vous inspirera ce que vous aurez à dire’’ [19].»

Pensons donc en conséquence, que la « grande affaire » comme aimait à désigner Louis-Claude de Saint-Martin « l’initiation », pour les êtres cheminant sur les sentiers de la remontée vers les régions de l’invisible au sein du Régime Rectifié, n’est autre que de réaliser leur « unité » avec « l’Être éternel et infini », en se tenant éloignés des controverses « dogmatiques » absolument inutiles, de sorte d’accomplir ce pourquoi ils existent, c’est-à-dire, en tant que « fils de la lumière », manifester la vie du « Principe » ou « Agent suprême » : 

« L’homme n’existe que pour prouver qu’il y a un Agent suprême et démontrer, par sa propre lumière, au milieu des ténèbres de la création, l’existence de cet Agent suprême, ainsi que d’en convaincre tous ceux qui auraient voulu et voudraient la méconnaître [20]. »

Résonneront alors avec un sens singulièrement profond pour celui qui se sera approché, « en Esprit et en Vérité » (Jean IV, 24) de « l’Agent Suprême », imprégné de la « doctrine initiatique » qui lui aura permis de nourrir sa « connaissance » des mystères divins en déchirant le « voile » qui lui en dissimulait les « vérité » [21], les paroles délivrées au candidat lors de la réception du premier rayon de lumière :

« Mes Frères que la Joie règne désormais parmi nous. Le Fils de la Lumière s’était égaré dans les Ténèbres, il a été rappelé, il a été ramené, ses yeux ont été ouverts et les ténèbres se sont dissipées ! [22]»

« La doctrine initiatique

du Régime Écossais Rectifié

en dix leçons essentielles »

Éditions Dervy, 2022, 296 pages, 24 €.

Notes.


[1] J.-B. Willermoz, ms 5475 pièce 2, Bibliothèque Municipale de Lyon.

[2] Ibid.

[3] J.-B. Willermoz, Lettre à la Triple Union de Marseille, 1807 (« article secret à ma lettre du 1er septembre 1807 »), [° 173], BNF, fm 292.

[4] Sur ces questions, portant sur les liens profonds qui unissent historiquement, symboliquement et doctrinalement le « Régime Écossais Rectifié » et « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers », on se reportera avec profit à l’étude récemment publiée consacrée au sujet : J.-M. Vivenza, Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, Vie, doctrine et pratiques théurgiques de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, Le Mercure Dauphinois, 2020.

[5] « Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent ! » (Matthieu XIII, 16).

[6] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, B.N.F., Ms. 512-541.

[7] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.

[8] Règle Maçonnique, op.cit., Art. II, § I, « Immortalité de l’âme ».

[9] Pour rappel : « ……..Je m’engage sur ma parole d’honneur, devant cette respectable assemblée […] de ne jamais révéler aucun des mystères, secrets et symboles de la Franc-maçonnerie, de quelque manière que ce puisse être, et de n’en parler à aucun homme que je n’aurai pas reconnu pour un vrai et fidèle maçon…» (Cf. « Formule de l’engagement des Apprentis », Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.).

[10] Cf. J.-B. Willermoz, Lettre à Son Altesse Sérénissime le Prince Charles de Hesse-Cassel, in É. Dermenghem, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), Les Sommeils, Paris, La Connaissance, 1926, p. 175-176.

[11] « Le nombre sénaire est celui par lequel le Créateur fit sortir de sa pensée toutes espèces d’images de formes corporelles apparentes qui subsistent dans le cercle universel. La Genèse n’enseigne-t-elle pas que Dieu a tout créé dans six jours ? […] Par ce même nombre, le Créateur fait sentir à sa créature, tant spirituelle que corporelle, la durée du temps que doit subsister la création universelle. Voilà quelle est la vertu du nombre sénaire et l’emploi que le Créateur en a fait. C’est par là que les sages ont acquis la connaissance du principe des formes et des bornes que le Créateur a mises à la durée de leur cours temporel et passif. C’est encore de là que nous apprenons que tout être corporel se réintégrera dans son premier principe d’émanation par le même nombre qui l’a produit. » (Traité, § 100).

[12] « Dès qu’il eut conçu d’opérer cet univers physique de matière apparente, le plan s’en présenta à son imagination divine, sous la forme d’un triangle équilatéral qu’il fit descendre en présence des esprits mineurs ternaires, auxquels il donna l’ordre de l’exécuter, en faisant usage des facultés qu’ils avaient innées en eux et suivant le plan qu’il leur présentait, au centre duquel était son Verbe ternaire que nous reconnaissons être le principe de la réaction universelle. » (Les Leçons de Lyon, n° 111).

[13] « Les six circonférences, les six jours de la création, les six pensées du Créateur par l’addition mystérieuse de la pensée, volonté et action. » (Les Leçons de Lyon, n° 113).

[14] « Nous disons que cet univers physique fut créé par le nombre sénaire que Moïse présente mystérieusement dans la Genèse sous l’image de six jours ; nombre dont nous sentons la justesse par la jonction du double triangle, car le véhicule inséré par les esprits de l’axe [feu central] dans chacune des trois essences fondamentales étant une émanation d’eux-mêmes et de leur propre essence était bien un principe d’action ternaire et de vie dans les corps, formant le triangle inférieur corporel et passif. Mais cette vie aurait resté comme nulle et sans mouvement, si elle n’eût été vivifiée elle-même par un principe supérieur aux êtres qui l’avaient insérée. C’est l’action de cet être supérieur sur le principe de vie passive qui a opéré cette vivification indispensable pour la vie et l’entretien des corps ; elle doit donc porter aussi avec elle son nombre ternaire particulier, puisqu’elle agit sur un nombre ternaire qu’elle embrasse complètement. Or, la réunion de ces deux ternaires forme bien le nombre sénaire qui a opéré la facture de cet univers physique et qui entretient la vie de tous les êtres corporels qui y sont renfermés ; ce qui nous est représenté par la jonction des deux triangles équilatéraux, dont l’un supérieur actif opère sans cesse la réaction de l’inférieur passif. C’est pourquoi nous donnons le nombre 3 aux esprits de l’axe producteur des principes corporels, ou essences fondamentales, et que nous donnons le nombre 6 aux esprits chargés par le Créateur d’entretenir la vie des corps, puisque ceux-ci participent à l’action des premiers, en réactionnant sans cesse sur le principe de vie qu’ils ont inséré dans les corps. » (Les Leçons de Lyon,  n° 111)

[15] Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié, de l’influence de la doctrine de Martinès de Pasqually sur Jean-Baptiste Willermoz, Le Mercure Dauphinois, 2010.

[16] Joseph de Maistre, Quatre chapitres inédits sur la Russie, Paris, Librairie Auguste Vaton, 1859.

[17] Fénelon, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie, in P. Dudon, Gabriel Beauchesne, 1930,  p. 164-165.

[18] « Toutes ces choses desquelles dérive un sentiment profond d’amour et de confiance, de crainte et de respect, et de vive reconnaissance de la créature pour son Créateur, ont été parfaitement connues des chefs de l’Église pendant les quatre ou six premiers siècles du christianisme. Mais depuis lors, elles se sont successivement perdues et effacées à un tel point qu’aujourd’hui […] les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité. » (J.-B. Willermoz, Lettre à Frédéric-Rodolphe Saltzmann, 3-12 mai 1812, éditée par et R. et C. Amadou in Renaissance Traditionnelle, n° 147-148, 2006, p. 202-203)

[19] J. de Maistre, Essai sur le Principe Générateur des constitutions politiques, § 15, P. Russand, Lyon, 1833, pp. 18-20 ; 22-23 ; 28. Robert Amadou prononça sur le sujet de la distance du Régime Rectifié vis-à-vis des « dogmes » – et leur soi-disant caractère « intangible » (sic) qui s’imposerait d’autorité à une doctrine de l’Ordre qui elle ne serait pas dotée de ce critère d’intangibilité -, quelques paroles qui pourraient être utilement méditées par certains : « Au sein du Régime Rectifié, le Verbe exprime l’essence du Logos qui s’exprime à son tour dans l’univers, l’univers exprimant toutes choses suivant le mode qui revient à chacune essentiellement. Sans début ni eschatologie. Le Verbe porte l’expression-langage ; l’Univers est l’expression de cette expression, expression-figure ou physionomie (ce thème classique d’une double expression se retrouve chez Eckhart, Dieu-Natura Naturata, s’exprime dans le Verbe, parole intérieure et silencieuse par essence), le Verbe s’exprime ainsi dans le monde en dehors de tous dogmes. En cela le Rectifié échappe aux dogmes et religions. » (Cf. Robert Amadou, i.O. Ab Aegypto, Conférence, Genève 1989).

[20] Leçons de Lyon,  n° 114.

[21] « Ce voile déchiré est le véritable type de la délivrance du mineur privé de la présence du Créateur. Il explique la réintégration de la matière apparente, qui voile et sépare tout être mineur de la connaissance parfaite de toutes les œuvres considérables qu’opère à chaque instant le Créateur pour sa plus grande gloire. Il explique le déchirement et la descente des sept cieux planétaires, qui voilent, par leur corps de matière, aux mineurs spirituels la grande lumière divine qui règne dans le surcéleste. Il explique encore la rupture de celui qui cachait et voilait à la plus grande partie des mineurs la connaissance des œuvres que le Créateur opère pour sa plus grande justice en faveur de sa créature. (Traité § 94).

[22] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.

Extrait d’une Conférence de Jean-Marc Vivenza, donnée à l’initiative du Centre de Recherche Philosophique Triple Union et Bienfaisance (D.N.R.F. – G.D.D.G.), sous l’égide du C.E.R.W.J.B. – Marseille, le 26 novembre 2022.

Entretien avec Jean-Marc Vivenza : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié »

In Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration on 2 janvier 2021 at 18:52

 

 

La parution de l’imposant volume (près de 1200 pages), du livre intitulé : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié » (Le Mercure Dauphinois, 2020), est un événement éditorial d’une nature tout-à-fait considérable, constituant sans aucun doute la recherche la plus aboutie n’ayant jamais été effectuée sur le sujet, depuis les travaux de René Le Forestier (1868-1951). Ce livre s’inscrit dans la suite des  « Élus coëns et le Régime Écossais Rectifié » (2010), et plus largement, d’une œuvre étendue de mise en lumière des perspectives métaphysiques portées par une franc-maçonnerie spécifique, celle du Régime écossais rectifié, fortement différenciée des systèmes dont elle précisa, dès ses prémisses au XVIIIe siècle, la nature inversée et « apocryphe ».

 1. Aux sources de la réforme willermozienne, se trouve le mystérieux transfert d’un « dépôt », qui est celui de la « doctrine de la réintégration ». Comment expliquer alors, que l’institution maçonnique, malgré sa méconnaissance de ces éléments, ait pu en constituer un possible réceptacle ?

Ce « dépôt », de nature doctrinale ne l’oublions-pas, ceci de l’aveu même de Jean-Baptiste Willermoz, fut connu de l’Église jusqu’au VIe siècle, puis fut perdu, voire combattu par une institution qui le considéra ensuite comme constitué « d’erreurs » contraires à l’enseignement fixé dogmatiquement par les conciles [1]

Le fondateur du Régime écossais rectifié, désigne ce « dépôt » évoqué sous le nom de « sublimes connaissances secrètes » relevant des « hauts Mystères de la religion » ; on mesure donc l’importance de cette source doctrinale qui suscita, à partir du VIe siècle, un rejet brutal de la part de l’Église, qui alla jusqu’à déclarer dogmatiquement, après avoir nié son existence, qu’elle était un tissu d’hérésies, ainsi que l’expose clairement Willermoz en divers endroits de ses écrits, dont ce passage démonstratif : « Faut-il donc s’étonner, si après avoir douté longtemps au point de nier fermement et dogmatiquement son existence, malgré les nombreux témoignages des saint pères de l’Eglise primitive, qui souvent dans leurs ouvrages parlent et agissent comme des initiés […] qu’une classe devenue la plus intolérante, la plus obstinée dans son système et la plus dangereuse, puisqu’elle se glorifie quelquefois de son ignorance ; ceux qui la composent […] s’abusent enfin jusqu’à vouloir persuader que tout ce qui n’est plus connu d’eux ni des professeurs de leurs premières études, est faux et illusoire, et n’est qu’un tissu d’erreurs et de nouveautés dangereuses contre lesquelles on ne saurait trop se tenir en garde [2]

Ainsi, après avoir transité à travers les âges sous diverses formes en s’entourant de voiles protecteurs, ce « dépôt doctrinal », considéré par l’institution ecclésiale comme des « erreurs », profitant de l’émergence en Europe des sociétés initiatiques à partir de la fin du XVIIe siècle, trouva dans la franc-maçonnerie un abri protecteur, et un surtout, ce point est capital, un cadre en mesure d’en assurer la pérennité grâce à l’apparition des systèmes de « Hauts Grades » chevaleresques dont le Chevalier de Ramsay (1686-1743) – tout d’abord disciple de Fénelon (1651-1715) qui le dirigea vers Madame Guyon (1648-1717) -, par son célèbre discours prononcé le 26 décembre 1736 à la loge de Saint-Jean à Paris, serait à l’origine.

Tel est le contexte dans lequel apparut Martinès de Pasqually (+ 1774) en France vers 1754, édifiant peu à peu son « Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers », en tant que structure « chevaleresque », « maçonnique » et « sacerdotale », ce que dit d’ailleurs de façon explicite son intitulé : « Chevaliers »,  « Maçons » et « Élus Coëns ».

De sa rencontre avec Martinès de Pasqually en avril 1767 à Versailles, et des sept années de leur relation, principalement épistolaire, jusqu’en septembre 1774, Jean-Baptiste Willermoz conserva une admiration jamais démentie à l’égard de l’enseignement découvert chez les Élus Coëns, et « opéra », le moment venu, après qu’ait disparu l’Ordre fondé par Martinès, et qu’il comprit que n’étant pas viable en ses formes il convenait de lui « substituer » un autre cadre adéquat, introduisit au sein de la Stricte Observance allemande, la « substance doctrinale » reçue auprès de Martinès, présence de cette « substance » qui explique d’ailleurs pourquoi le Régime, édifié lors du Convent des Gaules à Lyon en 1778, est devenu, depuis cette date, le « détenteur » et le « conservateur » du « dépôt » en quoi consistent les éléments doctrinaux portant sur la « la réintégration des êtres dans leur première propriété vertu et puissance spirituelle divine », n’ayant d’autre finalité que celle-là, d’où son organisation originale en système autonome et indépendant, se situant à distance des critères de la franc-maçonnerie andersonienne, considérée d’ailleurs comme étant de nature « apocryphe » par Martinès et Willermoz.    

2. Pour autant, le Régime Rectifié est, très majoritairement, placé sous tutelle des obédiences maçonniques, ou des juridictions fondées par ces administrations, au point d’avoir été réduit, de « conservatoire » de la doctrine qu’il était, au simple rang de « rite » ?

Les aléas de l’Histoire –disparition du Régime au XIXe siècle et son « réveil » tardif au XXe siècle en mars 1935 -, ont conduit à la situation que vous décrivez, c’est-à-dire d’une mise sous tutelle du Régime écossais rectifié de la part des obédiences maçonniques, situation, il faut bien l’admettre, qui est une totale aberration par rapport aux « principes » fixés lors du Convent des Gaules (1778) et du Convent de Wilhelmsbad (1782), par ailleurs « principes » précisés dans deux textes essentiels pour comprendre comment doit vivre le Régime, à savoir le « Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France », destiné à la classe symbolique, et le « Code Général des Règlements de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » pour la classe chevaleresque.

Tout s’y trouve si l’on veut connaître de quelle manière doit être organisé l’Ordre, mais force est de constater, à deux siècles et demi de la rédaction des « Codes » précités, que l’on est bien loin d’une pratique fidèle à ce qui fut édicté, pour ne pas dire à une impressionnante distance.

Le constat est d’ailleurs relativement sévère de ce que nous pouvons observer comme différents types de situations, le Régime  écossais rectifié étant placé dans un état de vassalisation par des obédiences dont il ne faut pas oublier qu’elles ne sont que des instances administratives profanes dénuées de qualifications, fonctionnant à partir de statuts associatifs placés sous la loi de 1901-, prétendant par l’usage de la réécriture de l’Histoire, ou par transformation des textes et des cadres organisationnels, avoir un « droit de propriété » sur une transmission qu’en réalité elles ne possèdent pas et qu’elles n’ont jamais possédée, avec les conséquences bien connues de ces fallacieuses prétentions : modifications arbitraires des rituels, libertés invraisemblables prises avec les règles fixées par les deux Codes fondateurs du Régime, interprétations fantaisistes des principes, oubli de la doctrine, voire sa négation ou son travestissement pur et simple, longue liste des multiples erreurs et trahisons qui sont devenues, hélas ! la triste et affligeante réalité du monde rectifié contemporain.

D’où l’importance d’avoir entrepris en ce début de XXIe siècle, en considérant que les choses ne pouvaient plus perdurer à l’identique éternellement, une « réforme » de la « Réforme de Lyon », soit en terme clair, avoir agi dans le sens d’une « Refondation » visant à ramener, autant que faire se peut, le Régime écossais rectifié à la forme organisationnelle qui devait être la sienne en le libérant des obédiences, et, dans un horizon plus lointain car tout ceci demandera du temps, favoriser les conditions d’un retour à « l’unité » à laquelle aspire ce système depuis 1778, ainsi que le stipule l’Introduction du Code Maçonnique : « Des Maçons de diverses contrées de France, convaincus que la prospérité et la stabilité de l’Ordre Maçonnique dépendaient entièrement du rétablissement de cette unité primitive […] Avec du zèle et de la persévérance ont surmonté tous les obstacles, et en participant aux avantages d’une administration sage et éclairée, ils ont eu le bonheur de retrouver les traces précieuses de l’ancienneté et du but de la Maçonnerie [3] 

3. Dans votre ouvrage, est abordée la question axiale de la « nécessité » dans l’œuvre contrainte de la Création, qui préside à toute l’ontologie de la réintégration. Or, cet élément « clé » de l’ensemble du corpus métaphysique, sous-tendant l’enseignement légué par les élus coëns, semblait jusqu’ici relativement peu abordé. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?

On croit souvent, en raison des conséquences qu’eut la mise en lumière par mes soins des aspects théoriques problématiques des thèses martinésiennes et willermoziennes, que c’est à l’occasion de la mise en ligne en mai 2012, d’un texte portant sur « Le Régime Écossais Rectifié et la doctrine de la matière », puis la publication, en octobre de la même année, d’une étude plus développée ayant pour titre « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale), qu’un soudain regard s’est porté vers cette notion de « nécessité », alors qu’étrangement tous les auteurs qui s’étaient penchés auparavant sur le sujet  de l’enseignement martinésien depuis plusieurs décennies (dont les principaux furent René Le Forestier, Gérard van Rijnberk et Robert Amadou), passèrent complètement sous silence cette question, ou plus simplement l’ignorèrent, alors qu’elle occupe une place évidemment centrale et déterminante dans l’ontologie des Élus Coëns, devenue à la faveur de l’Histoire celle du Régime Rectifié.

Pourtant, dès mes premières lectures du « Traité sur la réintégration des êtres » de Martinès (dans l’édition publiée chez Robert Dumas en 1974), alors que j’intégrais un cursus en philosophie après un passage par le séminaire, et ayant, par ailleurs, baigné depuis l’enfance dans un environnement religieux de sensibilité augustinienne où la question de l’absolue « gratuité de la grâce » était prise très au sérieux, la présence de cette « nécessité » dans l’exposé de ce qui motiva la création de l’Univers matériel, m’est immédiatement apparue comme un élément problématique, quoique fondamental dans la conception doctrinale martinésienne, « élément » à partir duquel se déploie l’ensemble des thèses propres au Traité, puisque non seulement, selon Martinès le monde a été façonné pour être une « geôle » ayant pour fonction d’enserrer le mal dans des limites précises, une cellule close capable de ligoter les esprits révoltés les enchaînant dans un lieu fixe en forme de prison hermétique, mais, de plus, si la prévarication des esprits angéliques n’avait pas eu lieu l’Éternel – proposition radicalement opposée à ce que dit et affirme l’Église de façon impérative et dogmatique -,  n’aurait pas été dans l’obligation d’en ordonner la création.

Ce qui est donc à souligner dans la thèse de Martinès, c’est que la création « contrainte » de cet univers matériel s’imposa au Créateur contre sa volonté, ce dernier se voyant dans la « nécessité » de faire « force de loi », c’est-à-dire d’avoir été « forcé » et « obligé » (Traité § 42) de produire un univers matériel qui n’avait été ni envisagé, ni prévu, et encore moins désiré à l’origine dans la pensée divine :  « […] cet univers fut formé par la toute-puissance divine pour être l’asile des premiers esprits pervers et la borne de leurs opérations mauvaises…» (Traité, § 6.)

L’ontologie de la doctrine de la réintégration, qui est aujourd’hui l’enseignement central du Régime écossais rectifié – car l’introduction, lors des Leçons de Lyon, de la dimension trinitaire et de la double nature du Christ n’a en rien modifié les fondements principiels de la conception martinésienne de la Création -, participe donc d’un cadre général pour le moins délicat au regard de ce que soutient l’Église en ces domaines, cadre que l’on peut, sans peine, décrire comme étant étranger à « l’Amour » et non placé sous le sceau de la « Charité » – notions absentes du Traité sur la réintégration -, mais de la « nécessité », puisque sans la prévarication des anges rebelles, jamais l’Univers matériel n’aurait été créé, ainsi que le soutient Martinès en des termes qui ne laissent place à aucune contestation : « Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, il n’y aurait eu aucune émancipation d’esprits hors de l’immensité, il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni aucun esprit envoyé pour actionner dans les différentes parties de la création […] les esprits mineurs ternaires n’auraient jamais quitté la place qu’ils occupaient dans l’immensité divine, pour opérer la formation d’un univers matériel.» (Traité, § 237.)

*

Il est en conséquence évident – et le nier relève soit de l’ignorance, ou bien de la cécité volontaire participant d’une très grossière « mauvaise foi » [4] -, qu’on se trouve avec Martinès aux antipodes de l’acte gratuit de Création provenant de la pure « Charité » qui ne connaît, antérieurement, aucune raison déterminante, ni bien sûr n’ayant été effectué sous la force d’une quelconque « contrainte », puisque l’acte créateur pour Dieu, selon les pères de l’Église, et ceci sans aucune exception, est exempt de tout caractère de « nécessité » puisqu’il est entièrement libre, uniquement motivé par l’Amour et n’est consécutif, ni ne répond, à nul évènement antécédent [5].

Dieu, si l’on évoque bien sûr le « Dieu de la Révélation » biblique et non un quelconque idolâtrique « démiurge », est absolument libre, Tout-Puissant, non soumis à une action créatrice qui se serait imposée à lui de façon nécessaire. 

Notons à cet égard, qu’il fut d’ailleurs assez curieux d’avoir eu à préciser ces points faisant difficulté, suscitant des réactions irrationnelles qui témoignaient de la brutalité d’un « réveil » à la réalité des faits, auprès de francs-maçons se déclarant à qui voulait l’entendre comme « chrétiens » (sic), et qui auraient dû être, un minimum, instruits des bases élémentaires de la « foi » à laquelle ils prétendaient adhérer, et qu’ils s’évertuaient par ailleurs à proclamer avec une énergique emphase missionnaire ; mais il est vrai qu’en ces domaines, où il apparut que régnait en maître le mépris à l’égard de l’authenticité doctrinale martinésienne et willermozienne et où l’on cultivait, sans honte excessive et une singulière absence de scrupule, une tendance certaine pour les forgeries initiatiques, on en était plus à une contradiction prêt…

Du point de vue chronologique, c’est dès 2006, dans l’appendice I, du « Martinisme, l’enseignement des maîtres » (Le Mercure Dauphinois), intitulé : « Le statut ontologique de la matière, ou le problème doctrinal et dogmatique de son caractère « nécessaire » selon Martinès », que fut longuement développé ce qui apparaissait comme un vrai problème théorique pour la « foi commune de l’Église » :

 « Incontestablement, la grande difficulté des thèses martinésiennes se situe dans l’explication de l’épisode de la constitution du monde matériel. Pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui conservent en mémoire la fameuse phrase du texte de la Genèse : « et Dieu vit que cela était bon…. », que l’on retrouve à certaines des étapes de l’édification de l’Univers dans la Sainte Écriture, il peut sembler curieux de découvrir, sous la plume de Martinès, une présentation de la création du monde matériel répondant à une « nécessité » quasi impérative métaphysiquement, puisqu’elle fut décidée par Dieu pour servir de prison aux esprits déchus et  révoltés […] Nous sommes là, reconnaissons-le, bien loin de la gratuité, de la généreuse libéralité du Créateur qui dispensa, sans nécessité aucune, les bienfaits de sa toute puissance, qui souhaita même, par amour, le bonheur des êtres et des choses en les faisant émerger de la possibilité en les constituant et façonnant de ses propres mains. En effet, affirmer comme le fait Martinès, que « Le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet univers physique », signale positivement, dans l’acte divin, une évidente « nécessité » qui ne répondait pas initialement aux intentions de Dieu ; quelque chose qui lui fut imposé quasiment contre son gré, contre sa primitive volonté. Le monde, « l’univers physique », fut ainsi créé, non pour rayonner d’une joie participative et faire surgir du néant, en les portant à l’être, les pensées contenues dans l’esprit de Dieu, mais, bien au contraire, pour emprisonner, ligoter, être un « lieu fixe », une cellule et une enceinte où les esprits pervers, contraints par les étroites limites des « affreux abîmes de la matière » (Traité, 138), demeureraient dans une « privation » protectrice, pouvant, dans ces conditions hostiles et humiliantes, développer, sans trop de danger pour le Ciel, les capacités de leur « malice » [6]. »

*

À l’époque, c’est-à-dire en mai 2005 exactement, Robert Amadou (1924-2006) m’écrivait en qualifiant ce livre de « très précieux, très fin, et très solide compendium martiniste [7]», mais le temps n’était visiblement pas encore venu pour que cet éclairage, sur la place occupée par la notion de « nécessité » chez Martinès et Willermoz, produise son effet. Il aura donc fallu les réactions disproportionnées de l’année 2012 qui accompagnèrent la publication de « La doctrine de la réintégration des êtres »[8], pour que tout à coup, et avec une force surprenante, cette question devienne déterminante dans les débats, ceci expliquant pourquoi dans l’actuel ouvrage qui vient de paraître, il lui est consacré un examen relativement important, en faisant la synthèse générale sur ce qui pouvait être précisé à ce sujet [9].

Il apparaît donc qu’il est désormais devenu difficile – et il faut s’en féliciter pour la juste compréhension des données théoriques touchant à l’enseignement se trouvant dans les « instructions secrètes » du Régime écossais rectifié réservées, certes, à la classe non-ostensible, mais qui sont cependant infusées dans l’ensemble des connaissances délivrées à tous les grades -, d’aborder la doctrine martinésienne en faisant l’impasse sur la notion centrale de « nécessité » accompagnée de celle « d’émanation » qui en fixe préalablement le cadre général.

Car en effet, au regard de la doctrine martinésienne, et willermozienne qui lui est semblable à cet égard :

  • 1°) C’est en raison de cette « nécessité » que fut constitué l’Univers, réalisé en « toutes ses parties exécutées et conservées par des agents ou causes secondaires » [10], c’est-à-dire par des « esprits intermédiaires » et non directement par Dieu, que le Régime rectifié regarde de façon dépréciative la matière et tout ce qui participe de ses « vapeurs grossières » (sic), et  qu’il considère que la Création dans son ensemble est « d’une nature absolument étrangère à toute opération in­finie divine ».
  • 2°) C’est de même, toujours par la loi de cette « nécessité » qu’Adam fut émané, « venu dans l’Univers pour être l’agent spécial de la justice irritée contre les coupables », mais qu’ayant trahi sa mission par sa désobéissance, il fut transmué « en similitude des animaux terrestres », revêtu d’un « corps matériel corruptible, avec lequel il vint ramper sur la surface terrestre ».
  • 3°) C’est encore cette « nécessité » qui explique « la violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », faisant que la Création est vouée irrémédiablement, et entièrement, de par son caractère « ténébreux et contraire à l’essence divine », à la disparition, afin qu’elle soit définitivement anéantie pour qu’il n’en subsiste aucune « apparence », sachant que « tous les êtres matériels, ou doués d’une âme passive, périront et s’effaceront totalement, n’étant que des produits d’actions secondaires ».
  • 4°) Enfin, la « nécessité » qui présida à l’émanation du premier Adam qui « transmua » ensuite, par sa prévarication, son état glorieux en un vil corps animal « enchaîné dans un séjour ténébreux », impose logiquement que soit rejetée, post mortem, la croyance en la résurrection de la chair, « car toute forme de matière doit infailliblement se détruire et se décomposer », le Divin Réparateur universel lors de sa Résurrection « ayant dépouillé dans le tombeau tout ce qui appartient corporellement au vieil homme […] se donnant pour modèle à tous ceux qui aspirent à rentrer dans leurs droits pri­mitifs », montrant de la sorte que les âmes émanées sont appelées à une destination immatérielle de nature purement spirituelle, lorsqu’elles rejoindront, à la fin des temps, en étant passées auparavant par les cercles de purification, « l’Unité originelle » de l’immensité divine.

4. L’examen théorique des éléments de doctrine, se double d’une clarification détaillée des difficultés soulevées par l’enseignement et le système de Martinès de Pasqually. Quelles sont les grandes lignes de ces éclairages ?

Nous venons d’y faire allusion. Ces difficultés peuvent se résumer aisément tant la distance est grande entre les thèses de Martinès, adoptées par Willermoz et introduites à l’intérieur du corpus doctrinal du Régime écossais rectifié, et l’enseignement ecclésial.

Un simple rappel des principaux points de la « doctrine de la réintégration », permet d’en faire comprendre, plus que de longs discours, son originalité, puisque la chronologie de ce système cosmogonique – chronologie qu’il importe de respecter pour en comprendre l’ontologie interne et ne point se laisser entraîner dans des reconstructions imaginaires -, est constituée de sept temps distincts et successifs, liés et interdépendants, qui sont les suivants :

  • 1°) Émanation des esprits pour contribuer à la gloire de Dieu ;
  • 2°) Révolte des esprits rebelles, jalousant le Créateur et cherchant à l’égaler dans son pouvoir et sa puissance ;
  • 3°) Création « nécessaire » du monde matériel à l’instant de la prévarication des anges, s’imposant à l’Éternel, effectuée par des esprits inférieurs, afin d’être un lieu fixe pour y emprisonner les démons ;
  • 4°) Adam est émané en conformité d’essence avec les êtres spirituels, puis émancipé par décision divine pour œuvrer à la réconciliation des anges rebelles ;
  • 5°) Adam trahissant à son tour sa mission, est condamné à vivre dans le monde matériel dans une enveloppe charnelle identique à celle des animaux ;
  • 6°) La dégénérescence et la dégradation d’Adam le réduit à l’état animal, et lui impose un long et éprouvant travail de réconciliation de sorte de se libérer de l’emprise des « fers de la matière » ;
  • 7°) La fin des temps – consistant au préalable en l’anéantissement de l’ensemble du composé matériel et la dissolution définitive des éléments créés, et non pas l’espérance en une quelconque « résurrection de la chair » -, correspondra au retour au sein de « l’Unité divine » des êtres émanés et l’accomplissement de la « réintégration universelle ».

Or ce scénario, pénétré à la fois d’influences néoplatoniciennes, gnostiques et origéniennes, rentre en contradiction directe avec la conception de la Création d’après l’enseignement traditionnel de l’Église – rappelons-le enseignement participant de la « foi commune » de toutes les confessions chrétiennes -, qui fonde son origine sur la pleine liberté et l’absolue gratuité du « don d’amour » de Dieu dans l’œuvre créatrice, ceci en fidélité avec le récit biblique, extrait du livre de la Genèse, des sept jours, où l’on voit Dieu initialement décider de créer le monde, « ex nihilo », par un « commencement » précédé de strictement rien d’autre, que de la seule et unique volonté du Créateur : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse I, 1). C’est ce sur quoi insistent tous les auteurs ecclésiastiques depuis les premiers siècles du christianisme.

On peut donc constater que Willermoz, catholique connaissant pourtant bien sa religion, ne suivit pas le récit biblique, mais au contraire accepta la chronologie martinésienne dans sa présentation de la raison qui conduisit Dieu, par « nécessité », à décider de la Création du monde matériel : « L’univers physique temporel est un espace immense et incommensurable, créé par le Tout-puissant à l’instant même de la prévarication des anges rebelles pour la manifestation de sa gloire, de sa puissance et de sa justice, et pour être le lieu d’exil et de privation des prévaricateurs. Cet espace est borné et environné de toute part par une immense circonférence ignée et impénétrable, dénommée philosophiquement axe feu central, formée par la multitude des esprits inférieurs demeurés fidèles qui reçurent ordre du créateur de défendre contre toute contraction démoniaque pendant la durée des temps fixée par la justice. » (J.-B. Willermoz, 9ème Cahier) [11].

La conception doctrinale martinésienne et willermozienne nous permet, à cet égard, de ne pas interpréter la situation présente comme manifestant une accélération vers les ténèbres, car le néant n’est pas relatif à une période déterminée – comme s’il y avait eu, en ce monde matériel, un temps antérieur édénique de pure lumière -, expliquant pourquoi le « nihilisme » n’est pas un phénomène propre à un temps particulier, puisque traversant, dès l’origine, la totalité de l’Histoire qui apparait après la révolte des anges et à la faute adamique, ainsi que le souligna Joseph de Maistre (1753-1821) : « Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n’est à sa place […] Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses [12].» Il n’y a  donc pas, de ce point de vue, d’extériorité par rapport au déterminisme ontologique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’alternative, de nostalgie à nourrir d’un avant ou d’un après, car c’est l’existence elle-même, par delà les époques, qui est plongée dans « l’abîme » du nihil (rien), confrontée, depuis le péché originel, au délaissement, l’éloignement de la Divinité et l’angoisse de la finitude et de la mort.

*

Il y a en conséquence une différence fondamentale entre deux perspectives antagonistes, deux approches divergentes de la conception du monde créé :

  • La première est conforme au récit biblique, elle se fonde sur un acte créateur participant de la bonté et de la divine « Charité », laissant cependant l’esprit face à l’énigme que représente un Dieu bon, et en théorie Tout-Puissant, incapable d’avoir prévu la trahison des anges puis celle d’Adam, et qui semble depuis ces événements tragiques, être victime et soumis face au négatif, impuissant à s’opposer et empêcher les horreurs de ce monde.
  • L’autre, martinésienne et willermozienne, qui considère que le monde créé est consécutif à une « violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », permettant d’expliquer, par la lutte irréductible originelle entre les forces des ténèbres et la Divinité, la présence massive du mal en notre région terrestre, ceci en parfait accord avec la déclaration de saint Jean : « Le monde entier est sous la puissance du malin. » (1 Jean V, 19).

Il faut donc choisir, soit suivre l’enseignement de l’Église et souscrire aux déclarations conciliaires en adhérant à ce qu’enseignent les pères et les docteurs qui édifièrent les canons qui forment aujourd’hui les bases dogmatiques de la « foi » chrétienne officielle, et vivre, dès lors, son rapport à la pratique religieuse en étant fidèle, et honnêtement en harmonie, avec ce que soutiennent les autorités ecclésiastiques romaines, orthodoxes ou réformées au sujet de la Création du monde participant d’un don et de la pure « Charité », autorités qui nient catégoriquement que le monde ait été  une  manière pour Dieu de sanctionner une faute, le résultat d’une chute et la conséquence d’une tragédie, considérant l’excellence de la réalité physique, cosmique et biologique, insistant sur la perfection originelle primitive de l’existence humaine cor­porelle, c’est-à-dire la « chair » qui est appelée à ressusciter pour bénéficier de l’incorruptibilité éternelle.

Ou bien considérer que la doctrine ésotérique willermozienne provient d’un courant spirituel très ancien, qui a été combattu puis écarté par l’Église à partir du VIe siècle, que Joseph de Maistre désigna sous le nom de « christianisme transcendant », et qu’il convient de se tenir à distance des positions ecclésiales dogmatiques, en respectant fidèlement le « dépôt » doctrinal qui a été confié au Régime écossais rectifié, et en le conservant sans aucune altération, ce qui est d’ailleurs le devoir impérieux de ceux admis dans la classe non-ostensible et secrète du Régime rectifié depuis sa fondation, sachant que la doctrine de l’Ordre « remonte jusqu’à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre des initiés […] Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous [13]

5. Malgré ce solennel appel de Willermoz à la conservation du dépôt initiatique et doctrinal, la lecture des questions soulevées dans les Appendices de l’ouvrage, signale toutefois, avec une certaine exigence, les égarements spirituels d’initiatives contemporaines se réclamant de l’héritage martinésien et willermozien ?

Les égarements évoqués, qui font l’objet d’un examen rigoureux dans l’Appendice VI du livre « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz » : « Les tentatives de « réveil » de l’Ordre des Élus Coëns au XXe siècle : examen des critères de validité des « néo-coëns » contemporains » (pp. 1063-1114), sont à effets multiples, mais ont une double origine, puisque ayant tout d’abord été consécutifs au « réveil » du Régime écossais en France en 1935, puis à la tentative de reconstitution de l’Ordre des Élus Coëns à Paris, en 1942/1943, tentative connue sous le nom de « résurgence ».

L’héritage de Martinès et Willermoz – dont la présente étude publiée montre avec précision la source et les diverses étapes de son édification -, fit ainsi l’objet, à partir des dates précédemment indiquées, de profondes trahisons des intentions premières qui présidèrent à la création, respectivement, de l’Ordre des Élus Coëns, puis du Régime écossais rectifié, héritage subissant depuis lors des déviances singulièrement significatives.

S’agissant du Régime écossais rectifié, ce qui a été dit plus haut à propos de la captation au XXe siècle par les obédiences maçonniques du système fondé par Jean-Baptiste Willermoz, explique les libertés prises avec les règles et les lois qui devaient s’appliquer afin de respecter les formes et l’organisation architecturale définies et fixées lors des Convents des Gaules (1778) et de Wilhelmsbad (1782), mais également permet de comprendre la raison des positions extravagantes observées vis-à-vis de la doctrine interne de l’Ordre, positions allant de l’indifférence ignorante à la volonté de plier les thèses contenues dans les instructions secrètes – en les passant au tamis d’interprétations arbitraires relevant le plus souvent d’un verbiage issu d’opinions subjectives et d’illusions argumentaires -, à des vues personnelles fantaisistes et confessionnelles, de manière à parvenir à une « harmonie » (sic), considérée comme déjà acquise ou ayant à être réalisée, avec les dogmes de l’Église. Ainsi, le triste spectacle offert par l’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Rectifié, permet de se rendre compte, assez rapidement, de ce qu’ont produit comme conséquences désastreuses l’irrespect à l’égard des principes organisationnels et le mépris des vérités de l’enseignement doctrinal révélé au XVIIIe siècle.

Quant à la prétendue « résurgence » de l’Ordre des Élus Coëns, dont Georges Bogé de Lagrèze (1882-1946), Robert Ambelain (1907-1997) et Robert Amadou sont à l’origine en 1942/1943, on est en présence de ce qui relève objectivement d’une « fable » singulièrement problématique, dont les effets nocifs n’ont eu de cesse de polluer un milieu initiatique assez perméable en la matière, souvent peu regardant sur les critères de crédibilité, Ambelain s’étant cru autorisé à forger une pseudo « Grande Profession » factice avec un rituel de son invention en s’appuyant sur la transmission imaginaire de soi-disant « Grand Profès » (sic) de Lagrèze, se proclamant, de plus, le « Grand Souverain » d’un Ordre « néo-coën », après que ledit Lagrèze, considérant que la plaisanterie était sans doute allée un peu trop loin, décide de se démettre de sa charge dès le 8 mai 1945. Pourtant cette « fable » poursuit encore de nos jours, malgré son absence totale de légitimité, son œuvre délétère à la périphérie immédiate du Régime écossais rectifié, d’où le caractère de salubrité spirituelle de sa dénonciation en tant qu’objective et scandaleuse « contrefaçon » initiatique.  

*

Certes tout ceci pourrait être considéré comme participant des aléas de l’Histoire pour la situation de la Réforme de Lyon, ou relevant d’une grotesque plaisanterie s’apparentant à une forgerie participant de la catégorie « pseudo » quant aux fallacieuses prétentions des « néo-coëns », si les enjeux n’étaient pas si importants, puisqu’il est question, si l’on prend évidemment au sérieux la perspective de la « voie » mise en lumière par Martinès de Pasqually et dont la Régime écossais rectifié, grâce à Jean-Baptiste Willermoz, est désormais le dépositaire ainsi que le voulut la Divine Providence, consistant en la continuité ininterrompue d’un enseignement doctrinal et d’un rattachement provenant, non pas seulement des premiers temps du christianisme mais, plus loin encore [14], des premiers âges de l’histoire patriarcale [15], sur lesquels la classe secrète de « l’Ordre substitué », soit en termes clairs l’unicum necessariumc’est-à-dire l’écrin de « l’Ordre mystérieux » ou « Haut et Saint Ordre » primitif, perpétuel et fondamental -, a pour devoir impératif de veiller, avec piété, dans le silence, l’humilité et le retrait du monde, de sorte que s’accomplisse dans le « Tabernacle » situé dans le « Sanctuaire intérieur », la « réintégration » de l’homme dans sa « première propriété vertu et puissance spirituelle divine », en le conduisant des ténèbres de la « réalité matérielle apparente » à la « Lumière » de l’Être Éternel et Infini.

 

Martinès de Pasqually et  Jean-Baptiste Willermoz

Commande du livre :

Le Mercure Dauphinois, 2020, 1184 pages.

Notes.

[1] Il n’est sans doute pas inutile d’insister sur le fait que l’affirmation de la « perte » par l’Église « depuis le VIe siècle », de la doctrine selon la formulation de Jean-Baptiste Willermoz, concerne l’ensemble des confessions chrétiennes, d’Orient comme d’Occident, qui ont adopté les décisions dogmatiques des sept premiers conciles, et non en particulier l’une d’entre elles, car toutes souscrivent aux positions définies par le deuxième concile de Constantinople (553), et notamment les anathèmes prononcés contre les thèses d’Origène – préexistence des âmes, état angélique d’Adam avant la prévarication, incorporisation d’Adam et sa postérité dans une forme de matière dégradée et impure en conséquence du péché originel, dissolution finale des corps et du monde matériel, etc. -, anathèmes qui conservent donc toute leur force d’application sur le plan théologique et dogmatique.

[2] J.-B. Willermoz, Cahier D.5, « Des vrais moyens de parvenir à la connaissance de Dieu, soit par l’étude des traditions religieuses écrites, et de celles non écrites, soit par un examen de l’homme considéré approfondi de la propre nature comme image et ressemblance de son créateur ».

[3] Cf. « Introduction », Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France, 1778.

[4] S’agissant des raisons de cette ignorance volontaire relevant d’une « mauvaise foi » qui n’a pas craint le ridicule dans ses maladroites démonstrations, mise au service d’une orientation déviante qui eut pour ambition de soumettre le Régime écossais rectifié à des vues confessionnelles, tout en cultivant secrètement des pratiques « néo-coëns » issues de transmissions occultistes pour le moins sulfureuses, on se reportera au chapitre XII de lHistoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, La Pierre Philosophale, 2017, pp. 329-361.

[5] Saint Augustin insiste fortement sur l’absence de toute contrainte qui se serait exercée sur Dieu en l’obligeant à modifier ses plans afin de créer le monde, car il n’y a aucun changement ni nouveauté de décision en Dieu : « La volonté de le créer a été éternelle en Dieu […] qu’on ne croie qu’il ne lui soit venu tout d’un coup quelque chose en l’esprit qu’il n’avait pas eu auparavant, c’est-à-dire une volonté nouvelle de créer le monde, bien que son esprit ne soit capable d’aucun changement…» (La Cité de Dieu, T. 2, Gille Libraire, Bourges, 1818, Livre X, ch. IV, pp. 298-299).

[6] Cf. Le Martinisme, l’enseignement des maîtres, Appendice I, Le Mercure Dauphinois, 2006, pp. 199-200.

[7] Cf. L’Esprit du saint-martinisme, Annexe IV : « Courrier de Robert Amadou, suite à la transmission du manuscrit du « Martinisme, l’enseignement secret des maîtres », 4 mars 2005 », La Pierre Philosophale, 2020, pp. 533-535.

[8] Cf. Martinès de Pasqually et la doctrine de la réintégration des êtres, 1ère Part., Création nécessaire, transmutation du mineur spirituel et dissolution de la matière chez Martinès de Pasqually, « Ch. II. Le caractère « nécessaire » de la Création pour Martinès » ; « Appendice II, Émanation et Création chez Martinès, b) Caractère nécessaire de la création de l’univers matériel physique ; f) Adam a été émané sous une « forme glorieuse » par nécessité, afin d’être le « député » de l’Éternel ; h) Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, La Pierre Philosophale, 2012, pp. 66-70 ; 173-196.

[9] Cf. Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié, 1ère Partie, Ch. II, c) « Caractère « nécessaire » de la création matérielle, et notion de « nécessité » présidant à l’ontologie martinésienne de la création », Le Mercure Dauphinois, 2020, pp. 83 à 101. 

[10] Les passages en italique placés entre guillemets dans les 4 points signalant la place centrale de la notion de « nécessité » dans l’enseignement doctrinal du Régime écossais rectifié – les lecteurs avertis les auront aisément reconnus et identifiés -, sont de la plume de Jean-Baptiste Willermoz (cf. MS 5916 Bibliothèque Municipale de Lyon).

[11] Cependant, conscient de la difficulté de la conception martinésienne faisant de la Création, non une manifestation de l’amour divin mais une réponse imposée par « nécessité » à la révolte des démons, Willermoz inféra un passage de l’Apocalypse (XII, 7 ss.), qui concerne la fin des temps, à des événements qui se seraient produits à l’origine : « L’archange Lucifer ayant consommé par l’acte de sa volonté le crime de sa pensée orgueilleuse, et entraîné avec lui la multitude de ses adhérents […] À l’instant même, Dieu créa l’espace universel hors de son immensité […] L’espace universel fut donc créé pour être le lieu d’exil, de séparation et de punition des êtres coupables qui étant indestructibles par leur nature, ne pouvaient plus être anéantis […] Au premier Signe de la volonté du Tout-puissant, Lucifer devenu Satan, fût précipité avec ses adhérents dans les abîmes de l’espace […] C’est cet événement dont St. Jean fait mention dans le chapitre XIIe de son Apocalypse, où il fait la description d’un grand combat de l’archange Michaël et ses anges, contre le Dragon et ses Anges, qui trop faibles contre lui furent précipités du ciel en terre, et ne parurent plus dans le ciel […] Pour bien concevoir la destination principale de ce grand œuvre il faut ne pas perdre de vue que le vrai et principal but de la création de l’espace universel et de tout ce qu’il contient fut la punition des esprits prévaricateurs, qu’ils y furent précipités pour une éternité… » (J.-B. Willermoz, 8ème Cahier).

[12] J. de Maistre, Œuvres Complètes, t. I, p. 39.

[13] J.-B. Willermoz, Ms 5.475, BM Lyon.

[14] « La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours. » (J. de Maistre, Mémoire inédit au duc de Brunswick, 1782),

[15] « Le vrai culte s’est fait dans les 3 régions de la terre : 12 Patriarches israélites, 12 Patriarches ismaélites, 12 Apôtres, et le Christ faisant le centre…» (L.-C. de Saint-Martin & J.-J. du Roy d’Hauterive, Leçon n°54, 22 juillet 1775).

 

Les néo-coëns, exégètes de « l’enfumage » et ministres du travestissement de la doctrine de Martinès de Pasqually

In Franc-maçonnerie, Martinès de Pasqually, Régime Ecossais Rectifié on 27 septembre 2019 at 22:21

Fonds Prunelle de Lière 1

« Le principe des ténèbres est venu se mêler à ces voies et y produire cette innombrable multitude de combinaisons différentes qui tendent toutes à obscurcir la simplicité de la lumière.»

(L.-C. de Saint-Martin, Ecce Homo, § 4).

 

Dans la préface de Serge Caillet, qui semble être devenu le préposé officiel aux présentations des ouvrages traitant de ces sujets, et qui d’ailleurs, « au vrai », s’y connaît assez bien en matière « d’enfumage » des circonférences [1], préface ouvrant le livre de Dominique Vergnolle qui vient de paraître sous le titre « Martines de Pasqually et les élus coëns, exégètes et ministres du judéo-christianisme » (Les Éditions de la Tarente, 2019), qualifie cette publication de « chef-d’œuvre » (sic).

Or s’en est un en effet, mais non dans le sens supposé par Serge Caillet, car il s’agit surtout d’un « chef-d’œuvre » dans l’art de répandre des écrans de fumée, dans l’usage des contresens et des dissimulations, et notamment « chef-d’œuvre » d’expert, il faut hélas ! l’avouer et le constater, en travestissements, opinions personnelles et interprétations faussées de la doctrine martinésienne.

Tout a déjà tellement été dit et redit sur ces questions ces dernières années, qu’il semble superflu d’avoir à y revenir une fois encore, les réseaux sociaux conservant encore l’écho des débats animés et passionnés qui s’y sont déroulés. Mais cette publication – constituée en majeure partie d’articles qui furent diffusés depuis 2011 par celui qui signait alors « Esh494 » sur son blog dit d’un « martinésiste chrétien », articles depuis retirés d’internet au profit d’une méthode de vente en direct du producteur au consommateur, si l’on peut dire, transformant son espace de communication en petite échoppe commerciale intitulée « la boutique de Esh » (sic) – pourrait faire impression auprès des lecteurs non avertis, et afin qu’ils ne tombent point dans le piège grossier que constitue ce livre, nous jugeons utile d’éclairer les artifices argumentaires employés dans les pages de cet ouvrage poursuivant, en mode néo-coën, l’identique entreprise engagée par Jean-François Var en mode néo-willermozien, c’est-à-dire refuser obstinément, ou à peine, d’admettre les difficultés présentées par les thèses véhiculées par Martinès et ses disciples, en tentant, désespérément, d’en faire admettre « l’orthodoxie », ou du moins le caractère de compatibilité et d’admissibilité au regard des enseignements de l’Église. Or, comme le fait justement remarquer Dominique Clairembault dans son analyse critique : « le martinisme n’est pas une théologie, il relève de la théosophie où la question de l’orthodoxie ne se pose pas en ces termes. Au contraire, l’originalité de la théosophie consiste à ajouter des éléments qui ne figurent pas dans les textes canoniques pour apporter un éclairage nouveau, et sur ce point, Martines de Pasqually est assez prolifique. Le cas de la seconde postérité de Noé, qui joue un rôle important dans la symbolique du Traité, est symptomatique. » [2]

I. Les raisons cachées de l’attitude trompeuse et de la stratégie mensongère

L’exercice visant à rendre compatibles les thèses martinésiennes avec l’enseignement de l’Église, relève donc de l’acrobatie intellectuelle qui  n’hésite pas à faire usage d’épaisses contrevérités et d’une grosse dose de mauvaise foi, cette pratique de la corde raide étant motivée par une raison bien simple que D. Vergnolle  et J.-F. Var en charge de responsabilités – présentes ou passées au sein du Grand Prieuré des Gaules – se gardent bien de confesser ouvertement, mais qui est pourtant le mobile foncier de leur entreprise, c’est que si les thèses que l’on trouve à l’intérieur du Régime écossais rectifié provenant, via Jean-Baptiste Willermoz, de Martinès de Pasqually, venaient à apparaître pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire d’authentiques propositions puissamment hétérodoxes et à bien des égards hérétiques, depuis toujours condamnées par les pères, les docteurs et théologiens de l’Église, c’est toute leur ardente activité dans les domaines initiatiques qui viendrait non seulement à être frappée d’illégitimité, mais, plus sérieusement, tomberait brutalement sous le coup des censures et interdits ecclésiastiques, qu’ils ne se privèrent pas, lorsque l’occasion leur en fut offerte, de fulminer à tour de bras à l’encontre de leurs adversaires théoriques. En quelque sorte, éviter de se retrouver pour eux dans la situation très inconfortable et tragicomique de l’arroseur arrosé.

On comprend, dès lors, beaucoup mieux la raison de la singulière énergie avec laquelle, ces fervents avocats en milieu maçonnique d’un respect des « dogmes intangibles » de l’Église [3], s’agitent comme des forcenés, afin de justifier l’injustifiable, puisqu’il en va, concrètement, de leur présence en des lieux où, en théorie avec ce qu’ils défendent, ils ne devraient pas être, ni encore moins « opérer », en se livrant allègrement à des rituels relevant des méthodes magiques douteuses provenant de transmissions infectées de l’occultisme le plus crasseux. Tel est le singulier paradoxe de leur situation.

II. Raisonnement de base vicié fruit d’une ignorance radicale de la notion de « nécessité »

La nette distance d’avec l’ontologie martinésienne véritable, provient – comme le mit en lumière Jean-Marc Vivenza dans l’étude fondamentale consacrée au sujet, à savoir « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale, 2012), auteur qui est d’ailleurs le grand absent du point de vue des références du livre de Dominique Vergnolle, alors que ce dernier pourrait, au minimum, le remercier de l’avoir conduit à rédiger ses articles publiés alors sur son espace virtuel, articles devenus livre aujourd’hui, de façon à répondre à une mise en lumière de la doctrine de Martinès rendant problématique une posture affichée et revendiquée d’attachement à la foi commune de l’Eglise et une adhésion aux thèses des élus coëns, omission qui en dit long au passage sur l’honnêteté intellectuelle du « judéo-chrétien martinésien » [4] qui, rappelons-le pour les esprits oublieux, n’avait pas hésité avant la parution du livre de J.-M. Vivenza en 2012, et sans même l’avoir lu, à le critiquer avec une rare vigueur [5] -, d’une patente ignorance de ce qui encadre l’ensemble de la perspective du Traité de Martinès, soit la notion de « Création nécessaire ».

En effet, bien obligé, même si l’on sent bien que c’est à contrecœur, d’aborder la question de la « nécessité » qui entoure, encadre et préside à l’ontologie de la Création chez Martinès, le premier chapitre est ainsi un modèle du genre dans l’évitement, la falsification et le paralogisme dont Dominique Vergnolle s’est fait une habitude.

La question de la « nécessité » est centrale chez Martinès, comme au Régime écossais rectifié dont elle est l’une de thèses premières des Instructions secrètes de la Classe non-ostensible, pourtant Dominique Vergnolle, soit par ignorance des notions théologiques touchant à la Création, soit par volonté de déni, passe complètement à côté du sujet, les pages 33 à 44  de son livre qui devraient présenter le cadre doctrinal du Traité, étant en fait un exercice de contournement total de la question. Or, si le sujet n’est pas abordé, connu, et étudié, c’est tout le contexte de l’ontologie martinésienne qui demeure impensé, et donc la doctrine qui est incomprise, travestie et déformée au profit d’élucubrations diverses et variées très éloignées de l’enseignement des élus coëns.

a) Omission des passages faisant difficulté chez Martinès de Pasqually

Rappelons que pour penser correctement la doctrine martinésienne, il faut d’abord et avant tout, reconnaître et admettre, comme le firent tous les disciples de Martinès au XVIIIe siècle sans exception, le caractère de « nécessité », tant dans la constitution de l’Univers matériel conçu pour servir de prison aux démons, que dans l’émanation glorieuse que la création matérielle d’Adam, situant la doctrine de Pasqually dans un climat métaphysique et spirituel de « contrainte » tout à fait étranger aux positions dogmatiques de l’Église au sujet de la Création.

Et c’est en cela que réside le problème le plus important et la difficulté principale dont toutes les autres découlent, faisant qu’il est absolument impossible de faire rentrer dans le cadre des définitions dogmatiques et conciliaires la doctrine de Martinès, sauf à « opérer » sur elle de tels contresens qui aboutissent à la constitution d’une position qui n’est plus martinésienne mais relève du roman de science-fiction et de la littérature pseudo-inspirée, en quoi se résume d’ailleurs le travail de Dominique Vergnolle.

Voilà en quoi consiste l’aporie foncière de l’entreprise du « judéo-chrétien martinésien », qui ne peut que surprendre, pour ne pas dire sérieusement choquer ceux qui sont attentifs au respect des concepts propres à la doctrine de la réintégration [6].

*

Il sera de ce fait inutile au lecteur de tenter de retrouver les passages problématiques du Traité de Martinès, relatifs à la notion de « nécessité » dans le livre de Dominique Vergnolle, car ils n’y figurent pas, ils sont passés sous silence au profit d’un verbiage délayé qui a pour finalité de faire disparaître le problème.

Or, les affirmations de Martinès touchant à la « nécessité » de l’Univers créé sont claires et exprimées de manière incontestable en plusieurs endroits de son Traité dont particulièrement ce passage :

« Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, il n’y aurait eu aucune émancipation d’esprits hors de l’immensité, il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni aucun esprit envoyé pour actionner dans les différentes parties de la création. » (Traité sur la réintégration des êtres, § 237).

b) Les bases doctrinales martinésiennes oubliées

En quelques lignes, Martinès dans ce passage essentiel, pose les bases doctrinales de son Traité (doctrine, comme déjà signalé, exposée dans les Instructions de la Classe non-ostensible du Régime écossais rectifié), et que l’on peut résumer ainsi :

  • Création du monde matériel rendue « nécessaire » et s’étant imposée à l’Éternel contre sa volonté, en raison de la prévarication des anges rebelles.
  • Création de l’Univers matériel tenant lieu de « prison », non par Dieu directement mais par des esprits intermédiaires.
  • Émanation de l’homme par le Créateur, résultant non pas d’un « don d’amour » et d’un acte gratuit, mais effectuée en conséquence de la révolte des anges rebelles.
  • Incorporisation d’Adam dans une forme de matière « impure » en conséquence de sa désobéissance originelle,
  • Vocation, de par son origine contraire à la volonté première du Créateur, à l’anéantissement de l’ensemble du composé matériel.
  • Impossible spiritualisation de la chair, corrompue et impure, destinée à la dégradation et à la mort, vouée à la disparition et au néant.

Tous ces points sont purement et simplement évacués – le lecteur cherchera en vain quelques allusions à la Création de l’univers matériel, non par Dieu directement mais par des esprits intermédiaires dans le livre de Dominique Vergnolle, thèse issue des courants gnostiques hautement problématique au niveau théologique et violemment combattue par les pères de l’Église [7] – au profit de considérations fantaisistes qui relèvent d’un récit de reconstruction afin de rendre admissibles les positions de Martinès avec les décisions conciliaires, le sommet du paralogisme étant atteint par un tour de passe-passe qui relève des vielles ficelles argumentaires, déplaçant la question de la « Création contrainte » sur l’examen du sens de l’expression « le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet Univers » (Traité, 6) à partir du Dictionnaire Universel Français et Latin imprimé à Trévoux au XVIIIe siècle, qui n’apparaît pas avoir des vertus particulières en herméneutique martinésienne surtout lorsqu’on le cite partiellement et à contresens, examen ondoyant et inexact donc qui aboutit à cette perle, qui n’est malheureusement pas de « grand prix » mais de vil métal conceptuel : « Faire force de lois sur son immutabilité ce n’est pas être contraint par des éléments extérieurs, c’est simplement pour Dieu être ce qu’Il est et justement ne pas subir de contrainte ; agir selon ce qu’Il est et non sous la pression d’événements auxquels il est étranger » (p. 38).

On ne saurait tordre plus faussement la pensée de Martinès de Pasqually et se méprendre sur l’enseignement de son Traité, au point de parvenir à une conclusion qui est aux antipodes extrêmes de l’ontologie doctrinale martinésienne. C’est profondément affligeant et témoigne d’une importante duplicité dans le discours qui participe de grotesques contorsions théoriques malhabiles, et parfois d’aveux quasi naïfs de ce que Martinès ne dit pas, et pour cause – à savoir que « seul l’amour guide l’action de Dieu » (p. 42) -, puisque précisément cette notion de « Création par amour » est étrangère à la pensée du fondateur des élus cöens !

c) Rappel de la doctrine martinésienne

C’est pourquoi, les lecteurs se tourneront de préférence vers Jean-Marc Vivenza qui, dans « La doctrine de la réintégration des êtres », explique le sens des thèses de Martinès, en éclairant ce que signifie réellement l’expression « le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet Univers » (Traité, 6) :

« [Selon Martinès de Pasqually], la création de l’Univers matériel fut imposée à Dieu pour y enfermer les esprits révoltés, de sorte qu’ils soient contenus et emprisonnés dans un cachot en forme de lieu de privation. On voit donc immédiatement la grande différence d’avec la foi de l’Église qui repousse vigoureusement sur le plan dogmatique une telle vision (raison pour laquelle l’origénisme, qui postulait des thèses semblables, fut condamné lors du concile de Contantinople II en 553), insistant constamment sur le bienfait de la Création matérielle, témoignage de l’amour de Dieu à l’égard du monde et de ses créatures, Église qui ne peut que refuser avec force l’idée d’une création de la matière motivée par la nécessité d’y enserrer les démons.

Or, les nombreux passages décrivant cette Création « nécessaire » sont, à l’évidence, extrêmement clairs et précis chez Martinès, qui n’hésite pas à exprimer sa vision à plusieurs endroits du Traité, comme il le fera dans le « Grand discours de Moïse » où il écrit : « Sans cette prévarication, il n’y aurait point eu de création matérielle temporelle, soit terrestre, soit céleste ; (…) Tu apprendras à connaître la nécessité de toute chose créée, et celle de tout être émané et émancipé. » (Traité, 224) ; puis, un peu plus loin déjà cité : « Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle ; il n’y aurait eu aucune émancipation d’esprits hors l’immensité ; il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni d’esprits envoyés pour actionner dans les différentes parties de la création (…) les esprits mineurs ternaires n’auraient jamais quitté la place qu’ils occupaient dans l’immensité divine, pour opérer la formation d’un univers matériel. » (Traité, 237). […]

Le monde matériel n’est donc pas du tout chez Martinès le fruit d’un « don » de Dieu créé par gratuité, lui ayant fait dire après les six jours que « tout cela était bon », mais il s’est au contraire imposé à Dieu par « nécessité » afin d’enserrer les démons, puis l’homme à son tour, dans une « prison de matière » : « Il faut vous convaincre que la matière première ne fut conçue par l’esprit bon que pour contenir et assujettir l’esprit mauvais dans un état de privation et que véritablement cette matière première, conçue et enfantée par l’esprit et non émanée de lui, n’avait été engendrée que pour être à la seule disposition des démons. » (Traité, 274.)

[…] L’ontologie interne du Traité de Martinès est celle-ci :  l’Univers physique matériel édifié par ordre du Créateur par des « esprits inférieurs producteurs des trois essences spiritueuses d’où sont provenues toutes les formes corporelles » (Traité, 256), répond à une « nécessité » – Jean-Baptiste Willermoz parle lui d’une « violence » qu’il désigne sous le nom de « cause occasionnelle » ayant « déterminé » le Créateur, non par l’effet de sa libre volonté et par l’exercice du don gratuit de son amour, mais par « une cause opposée à son Unité éternelle » (cf. Instructions secrètes) -, qui fut imposée à Dieu, car cet Univers eut pour fonction de placer en privation les esprits pervers : « univers physique en apparence de forme matérielle, pour être le lieu fixe où ces esprits pervers auraient à agir et à exercer en privation toute leur malice. » (Traité, 6). » [8]

III. Un ouvrage empli de digressions personnelles théologico-religieuses  lassantes et maladroites relevant de la fiction littéraire

Ainsi donc, les lecteurs qui chercheront désespérément les allusions à ces passages explicites du Traité, et les explications cohérentes de la doctrine qui devraient normalement les accompagner, retrouveront, non seulement dans ce premier chapitre du livre de Dominique Vergnolle, pourtant consacré à la notion de « nécessité » qui évacue purement et simplement le sujet au profit d’un paralogisme de déviation sur l’immutabilité oubliant que l’expression « faire force de lois » signifie selon le dictionnaire « une contrainte exercée pour obtenir un résultat », mais aussi tout au long des pages qui suivent (pp. 45-235), des digressions personnelles lassantes et maladroites qui relèvent à la fois de la fiction littéraire, de considérations théologico-religieuses et d’une reconstruction romancée de la doctrine martinésienne, et souvent même de regrets, réitérés à plusieurs endroits, de ne pas voir Martinès abonder dans le sens que voudrait retrouver Vergnolle sous la plume de l’auteur du Traité, confessant par exemple ceci, lorsque trouvant de la « nécessité » et de la plus belle eau dans le passage 42 du Traité où les termes « forcé » et « obligé » sont difficilement contestables, ce qui vaut plus que de longs discours : « Les expressions « forcé » et « obligé à », relativement à l’action divine, ne peuvent être acceptées du point de vue judéo-chrétien ou chrétien. Elles paraissent montrer que Martinès ignore ou rejette le principe d’amour divin infini et immuable inscrit en Lui […] nous ne pouvons pas accepter qu’il soit dit que cette volonté, contraire à celle du Créateur, força ou obligea Dieu à quoi que ce soit […] seul l’amour immuable guide son action. Et ceci Martines ne le dit jamais ce qui est fort regrettable. » (pp. 41-42).

Certes c’est fort regrettable, mais telle est bien la pensée de Martinès, une pensée fondée et établie incontestablement sur la notion de « nécessité » contrainte dans l’oeuvre de Création de l’Éternel, alors que faire ?

Amender cette doctrine, la corriger, « puisqu’enrichir n’est pas trahir » selon celui qui est « le Christ dans l’Ordre » (sic) d’après Dominique Vergnolle ?! [9]

Toute cette posture n’est pas sérieuse et montre l’impasse criante et les immenses difficultés face auxquelles se trouvent confrontés Vergnolle et ses « amis ».

Il est en conséquence inutile de se pencher sur les multiples erreurs contenues dans les thèmes successifs abordés dans la première partie de son livre par Dominique Vergnolle : le monde des émanations, la problématique trinitaire, l’image et la ressemblance, Houva et Ève, la création glorieuse, la réintégration universelle, la spiritualisation de la chair, l’incarnation et la passion [sans majuscules dans le texte !] du Christ, puisque tous sont frappés du vice rédhibitoire premier en quoi consiste la singulière méconnaissance de l’ontologie martinésienne de la « Création nécessaire », qui rend absolument impossible une approche authentique de la doctrine de Martinès de Pasqually.

Nous ne nous y arrêterons donc pas car cela serait une perte de temps, dans la mesure où, outre que l’égarement spirituel est largement consommé aujourd’hui, comme il est bien connu en philosophie : des prémisses fausses ne peuvent conduire qu’à des conclusions inexactes.

IV. Bassesse des critiques à l’encontre de Louis-Claude de Saint-Martin

Si la deuxième partie de l’ouvrage est descriptive et historique, n’apportant rien de bien neuf sur ce que l’on sait déjà de l’organisation des grades coëns, la troisième partie se distingue par un vibrant plaidoyer en faveur des « opérations » de théurgie. Le contraire eut étonné. Mais là où les « choses » se compliquent, c’est lorsque le martinésien chrétien prétend qu’il n’y a pas de contradiction entre la « voie externe » préconisée par Martinès et celle, « interne », dont Louis-Claude de Saint-Martin défendit le caractère essentiel, nous invitant à dépasser les  «oppositions » qui seraient affaire de polémistes (p. 291) : « Cette question concerne encore aujourd’hui les critiques de certains saint-martinistes [i.e. les analyses de J.-M. Vivenza] envers les pratiques Coëns… » (p. 284) ; « Il est curieux et désappointant de voir comment ce débat est encore parfois relancé…Malheureusement, nous entendons encore trop souvent des critiques de certains martinistes qui semblent désirer poursuivre de nos jours cette controverse du XVIIIe siècle. Ces critiques portent encore sur la forme même et l’inspiration des rituels Coëns et ils vont jusqu’à qualifier ceux-ci de magiques dans le sens le plus vil du terme. » (pp. 286-287).

Or, que cela plaise ou non, la controverse ne se limite pas au XVIIIe siècle et concerne toutes les époques car, à chaque génération dans ce monde, les âmes se précipitent dans les mêmes pièges tendus par l’adversaire de l’homme.

Ainsi, en guise de « dépassement des oppositions », est sévèrement attaquée la position de Saint-Martin, qui mit grandement en garde à l’égard des pratiques théurgiques qu’il jugea « inutiles et dangereuses », dans le chapitre « Une tentative de réforme de l’Ordre en 1777… » (pp. 277-291), la position du Philosophe Inconnu étant décrite de façon dépréciative : « Saint-Martin a préjugé des moyens qui étaient utiles ou inutiles aux frères » (p. 286) ; « en surestimant les forces des frères par une exigence trop importante, en leur imposant  une voie guidée par une sensibilité qui n’était pas la leur, il finit par détourner les hommes de leur but … » (ibid.) ; « ainsi, comme souvent, le Malin pave ses routes de bonnes intentions » (Ibid.), etc., ces amabilités ayant déjà été formulées par Dominique Vergnolle, alias  Esh à l’époque, sur son blog, puisque Saint-Martin y était déjà présenté comme un « piétiste », « mystique », etc., essayant d’esquiver la difficulté en prétendant que toutes les voies sont acceptables puisque autorisées par la « Providence » : « les voies qui mènent à la réconciliation et à l’illumination sont nombreuses et sont le fruit de la divine Providence » (sic)…ce qui est, du point de vue spirituel, une positions absolument fausse et radicalement inexacte, toutes les voies n’étant pas identiquement admissibles ni également saintes pour accéder au Ciel, loin de là et bien au contraire, l’ensemble de l’Histoire de l’humanité témoignant suffisamment des tragiques égarements  dans lesquels se sont fourvoyées des multitudes d’âmes abusées par les trompeuses illusions largement répandues par l’adversaire de Dieu !

V. Des critères théologiques et dogmatiques imposés qui auraient interdit à Martinès de Pasqually de franchir la porte du temple !

La conclusion, précédée d’un rappel de ce que se doit d’admettre un chrétien : « croyance en la Sainte Trinité » ; « affirmation de la double nature du Christ » ; « reconnaissance de la résurrection des morts » (p. 399) critères qui auraient, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, empêché Martinès de Pasqually d’être admis dans les structures présidées par le martinésien chrétien et ses proches, s’achève par l’invitation à « opérer » à partir de la « Résurgence » de 1942 / 1943.

a) Absence de valeur initiatique de la prétendue « Résurgence » des coëns de 1942 / 1943

Le problème et il n’est pas nouveau, hélas, pour Dominique Vergnolle qui fait l’aveugle volontaire sur le sujet – mais il n’est pas le seul parmi ses « amis » néo-coëns dans cette situation délicate – puisque, comme il est connu, Robert Amadou (+ 2006), que tous regardent comme la référence et leur « maître », les années avançant, étant devenu de plus en plus critique et réservé sur la valeur de la prétendue « Résurgence » qu’il ne se privait pas de désigner ouvertement en privé comme ayant été « une erreur et un échec » (sic), se refusa de transmettre quoi que ce soit à tout ce gentil petit monde, laissant ces braves néo-martinésiens dans une disette complète au niveau des initiations.

b) Les groupuscules néo-coëns et leurs sources initiatiques fictives et occultistes 

De la sorte, et avant même le retour au ciel de Robert Amadou, initiative qui ne fut d’ailleurs pas du tout de son goût, et afin de pouvoir « opérer » et pratiquer les cérémonies partiellement retranscrites des rituels coëns, ce petit noyau néo-coën – pour le tandem Caillet / Vergnolle uni par une dévotion envers Robert Amadou (sur laquelle il y aurait beaucoup à dire d’ailleurs mais passons…) – est allé chercher, pour l’un des protagonistes, des certifications fictives dénuées de valeur initiatique auprès du successeur de Robert Ambelain (+ 1997) en Italie, Yvan Mosca (+ 2005) dit « Hermete » », de confession juive, athée, plus qu’hostile vis-à-vis du christianisme, et dont la qualification de « Grand Souverain » n’était qu’administrative expliquant pourquoi sa première initiative sitôt nommé fut de mettre en sommeil la « Résurgence » par décision arrêtée le 14 août 1968, se contentant ensuite, jusqu’à sa disparition, de conférer, de temps à autre, des grades dans des conditions folkloriques teintées d’un vague cadre hébraïsant dénué de toute validité, ou, pour l’autre, accepter de recevoir une charge et un titre, certes imaginaires mais fortement infectés d’occultisme provenant de l’O.M.S. du Brésil, structure liée à une foule de groupes douteux dont plusieurs positivement lucifériens (WICCA, Ordre du Lys et de l’Aigle, Golden Dawn, etc.), ces deux branches se revendiquant de Robert Amadou, s’étant d’ailleurs sans doute croisées par consanguinité au fil des années à la faveur des échanges de bons procédés entre néo-coëns.

Quant aux autres groupuscules et chapelles néo-coëns fonctionnant de part et d’autres, à distance ou proximité des sphères maçonniques, plus ou moins discrets mais tout autant illégitimes et dénués de validité initiatique, leurs sources, singulièrement illusoires et occultistes, proviennent soit d’Yvan Mosca, soit, toujours via Robert Ambelain, des lignées issues de Louis Bentin (+ 2003) ; René Chambellant (+ 1993) ;  André Mauer (+ 2003) ; Joël Duez ; etc.

Conclusion

Pour conclure, la stratégie de D. Vergnolle, comparable à celle de J-F Var, se résume – après s’être rendu-compte que la défense de l’orthodoxie dogmatique dont ils se sont faits les zélés missionnaires transformant peu à peu le Grand Prieuré des Gaules en une authentique chapelle confessionnelle à tendance sectaire [10], était contredite par les thèses martinésiennes présentes au sein du Régime rectifié, et que, de plus, les mêmes personnages s’étaient mis en tête de recevoir des transmissions douteuses pour constituer un groupuscule coën sous le nom « d’Ordre de Josué » (dans lequel on créa même un titre de « Souverain » (sic) dans des conditions ahurissantes que l’on préfère passer sous silence par charité fraternelle) -, à avoir compris qu’ils ne se sortiraient de cette position difficile qu’en tentant une autojustification par la prétendue compatibilité de l’enseignement ecclésial avec la doctrine de Pasqually, stratégie qui fait l’objet des publications et interventions des deux compères qui se trouvent dans une position délicate face aux évidences.

Une chose est certaine, toutes les structures néo-coëns actuelles participent des difficultés évoquées, d’où une certaine solidarité qui s’est manifestée par l’empressement, ici et là dès sa sortie, à louer la publication de D. Vergnolle, car faute de disposer des qualifications initiatiques nécessaires, ces personnages se trompent en trompant les naïfs qui se laissent abuser par leur discours, aveugles volontaires conduisant d’autres aveugles ignorants, triste situation il faut bien l’avouer qui ne fait que perdurer depuis la constitution hasardeuse de cette pseudo Résurgence des coëns de 1942 / 1943. [11]

On le constate donc, toutes les voies, contrairement à ce qu’écrit Esh, ne sont pas « providentielles » et ne mènent pas à Dieu, car beaucoup conduisent souvent directement à son adversaire et à ses légions, surtout celles de l’occultisme magique avec ses « ex-conjurations » périlleuses, célébrations d’holocaustes, crémations d’organes animaux enfumées de poudres psychotropes et autres rituels délirants où sont convoqués les démons et leur Prince, pratiques théurgiques fortement condamnées par l’Église et désignées, à juste titre, « d’inutiles » et « dangereuses » par Louis-Claude de Saint-Martin, qui était bien placé pour en parler et autrement qualifié spirituellement que les néo-coëns contemporains pour en définir la nature, désignant ce « remplacement » selon son expression [12], comme étant une voie trompeuse traversée par le « principe des ténèbres », et qui ne se priva pas – comme nous le considérons à son exemple « nécessaire » -, de le faire savoir sans ménagements particuliers au titre du « devoir de vérité » :

« Parmi ces voies secrètes et dangereuses, dont le principe des ténèbres profite pour nous égarer nous pouvons nous dispenser de placer toutes ces extraordinaires manifestations, dont tous les siècles ont été inondés et qui ne nous frapperaient pas tant, si nous n’avions pas perdu le vrai caractère de notre être et surtout si nous possédions mieux les anales spirituelles de notre histoire, depuis l’origine des choses. Dans tous les temps, la plupart des voies ont commencé à s’ouvrir dans la bonne foi et sans aucune espèce de mauvais dessein de la part de ceux à qui elles se faisaient connaître. Mais faute de rencontrer, dans ces hommes favorisés, la prudence du serpent avec l’innocence de la colombe, elles y ont opéré plutôt l’enthousiasme de l’inexpérience, que le sentiment à la fois sublime et profond de la sainte magnificence de leur Dieu ; et c’est alors que le principe des ténèbres est venu se mêler à ces voies et y produire cette innombrable multitude de combinaisons différentes et qui tendent toutes à obscurcir la simplicité de la lumière. » (L.-C. de Saint-Martin, Ecce Homo, § 4).

(*) Précision : Par-delà les indications spéciales dans le corps du texte ou en notes, les sources et éléments de références pour l’écriture de cet article (l’usage des guillemets n’ayant pas toujours été respecté), proviennent des ouvrages de Jean-Marc Vivenza.  

*

Ouvrages cités :

           2012 - La Doctrine de la réintégration des êtres                                                 Sans titre 1

                         J.-M. Vivenza                                                                  D. Vergnolle

La doctrine de la réintégration des êtres                     Martines de Pasqually et les élus coëns

La Pierre Philosophale, 2012 (4e édition 2014).                    Editions de la Tarente, 2019.

Notes.

1 – Le discours hagiographique portant sur la Résurgence coën de 1942 / 1943, est le « marqueur » habituel des propos de Serge Caillet qui, étrangement, écarte systématiquement d’un revers de main chaque fois que l’occasion lui en est donnée, l’initiative du premier réveil des coëns réalisé par Jean Bricaud (+ 1934), qualifiant la filiation utilisée pour ce « réveil » « d’illusoire » (D. Vergnolle, op.cit., p. 13), alors que contrairement à la Résurgence Lagrèze / Ambelain – dénuée objectivement de toute validité puisque l’on sait que Lagrèze, qui a menti sur ce sujet, n’avait jamais été admis au sein de la classe non-ostensible du Régime écossais rectifié – Bricaud put s’appuyer au contraire, sur la Grande Profession que reçut Édouard Blitz (+ 1915) du Collège de Genève. Bien évidemment le but de ce discours répété en boucle et jusqu’à plus soif, étant de tenter de conférer un semblant de pseudo légitimité à cette entreprise rocambolesque que fut la Résurgence de 1942 / 1943, dont se revendiquent et à laquelle se rattachent Serge Caillet et ses « amis », et dont la lecture des deux premiers motifs fantaisistes inscrits dans la Charte de reconstitution des « coëns », laisse absolument rêveur sur la valeur de cette authentique farce relevant objectivement de la supercherie initiatique :

« 1°) La reprise des grandes opérations théurgiques pour le bien de la collectivité humaine. 2°) La purification régulière de l’Aura terrestre et faire échec aux courants maléfiques issus du Cône d’Ombre et manipulé intentionnellement par ses satellites

Cf. Charte de reconstitution et de Réveil de 1943, Points 1 & 2.

2 – D. Clairembault, Notes de lecture, 15 septembre 2019.

3 –  D. Vergnolle, ceci a son importance, s’engagea avec un zèle consommé dans la campagne en dénonciation du Porte-parole officiel du Grand Prieuré des Gaules au motif de prétendues « déviances doctrinales », ayant concouru avec l’ex Grand-Aumônier aux déclarations prononcées sur l’intangibilité du « dogme » (cf. Discours saint Michel 2012, Cahiers Verts n° 7, 2012, pp. 14-15) qui entraînèrent la rupture et la constitution du Directoire National Rectifié de France-Grand Directoire des Gaules en décembre 2012. Il est par ailleurs l’auteur d’une péroraison mémorable introduisant du « droit divin » en franc-maçonnerie, publiée dans les Cahiers Verts, dans laquelle il désignait le Grand Maître de son obédience multi-ritualiste coiffée d’une Aumônerie, comme le « représentant du Christ en ce monde » : « (…) il est le digne représentant du Christ dans l’Ordre. (…) En servant l’Ordre et son Grand Maître ou ses représentants et lieutenants, nous servons le Christ.» (Cf. D. Vergnolle, Ordre et obédience, Cahiers Verts n° 8, 2013, p. 31).

4 – Dominique Clairembault dans son compte-rendu du livre de D. Vergnolle fait justement remarquer : « Nous avons été surpris à ce propos de ne pas trouver de références aux travaux d’autres auteurs, par exemple ceux de Jean-Marc Vivenza, qui aborde ces thèmes, ou à des études récentes sur les origines du christianisme […] Plus qu’au judéochristianisme, c’est à la théosophie chrétienne que se rattache la doctrine des Élus coëns. » (D. Clairembault, op.cit.).

5 – Esh, Une bien curieuse mise en garde, dimanche 21 octobre 2012.

6 – On sourira de voir Serge Caillet, que l’on a cependant connu plus inspiré, décerner un brevet d’autorité dans la connaissance de la doctrine à Dominique Vergnolle avec une belle dose de flagornerie bien appuyée : « Nourri d’une connaissance sûre de la doctrine de la réintégration […] ce m’est une joie de garantir aujourd’hui l’autorité du guide. » (p. 22).

7 – Alain Marbœuf a bien perçu la difficulté à cet égard, et constate une évidente proximité des positions de Martinès avec les thèses gnostiques de Valentin. (Cf. A. Marbeuf, Martinès de Pasqually et La Gnose valentinienne, The Rose+Croix Journal, vol. 5, 2008).

8 – J.-M. Vivenza, La doctrine de la réintégration des êtres, La Pierre Philosophale, 2013, pp. 67-70.

9 – Bruno Abardenti, Discours saint Michel 2013, Cahiers Verts n° 8.

10 – Il n’est pas anodin de relever la dédicace du livre de D. Vergnolle ainsi rédigée : « À Daniel Fontaine auquel je dois la découverte d’un monde (…) ma reconnaissance ne lui sera jamais assez fortement témoignée » (p. 7), sachant que le dit Daniel Fontaine, lorsqu’il était Grand Maître du Grand Prieuré des Gaules, est tout de même à l’origine d’une forgerie incroyable, puisque ayant cru bon de fabriquer une pseudo Grande Profession de son invention soi-disant de « transmission russe » (Cf. J.-M. Vivenza, Histoire du Régime Ecossais Rectifié des origines à nos jours, La Pierre Philosophale, 2017, pp. 292-295), ceci tendant à démontrer que la création de « contrefaçons » initiatiques semble, apparemment, être une spécialité de cette obédience.

11 – Dominique Vergnolle se veut conciliant et aimable dans son ouvrage, mais il participa, beaucoup s’en souviennent, à la véritable guerre idéologique qui s’est déclenchée au Grand Prieuré des Gaules en 2012, dont les détails sont exposés dans le chapitre XII de l’Histoire du Régime Ecossais Rectifié des origines à nos jours, op.cit., pp. 329-361, et où l’on trouve un écho à l’activité des néo-coëns : « Un débat tranché depuis plusieurs mois, agitait énormément les mêmes esprits, débat qui portait sur la question du degré de validité à accorder à la transmission de Robert Ambelain, via l’O.M.S. et ses discutables, plus qu’occultistes et singulièrement « douteux » rameaux néo-coëns londoniens et brésiliens, transmission issue de la « Résurgence » de 1942, sur laquelle certains avaient cru bon de s’appuyer pour conférer des grades et titulatures, dont celle de « Souverain » […] ceci à l’intérieur d’un « Ordre » dit de « Josué », situé à la proximité immédiate du G.P.D.G. et, ce qui ne manque pas de « sel », si l’on peut dire, et d’être singulièrement paradoxal, de l’Aumônerie nationale et son Grand Aumônier, se revendiquant d’une « bénédiction » (sic), en forme d’unique, et d’assez fragile et limité témoignage d’encouragement de Robert Amadou, à poursuivre la soi-disant nécessaire « opération » de « christianisation » des coëns, qui se révélait être en pratique, et très concrètement, qu’une hasardeuse et improbable tentative d’adaptation, évidemment rendue impossible de par la nature singulièrement « hétérodoxe » des positions théoriques de Martinès, de la doctrine martinésienne avec la « Foi commune » de l’Église. » (Cf. J.-M. Vivenza, Histoire du Régime Ecossais Rectifié des origines à nos jours, op.cit., p. 333).

12 – « Je ne regarde tout ce qui tient à ces voies extérieures que comme les préludes de notre œuvre, car notre être, étant central, doit trouver dans le centre où il est né tous les secours nécessaires à son existence […] cette voie extérieure ne m’a pas autrement séduit, même dans ma plus grande jeunesse ; car c’est à l’âge de vingt-trois ans que l’on m’avait tout ouvert sur cela aussi, au milieu de choses si attrayantes pour d’autres, au milieu des moyens, des formules et des préparatifs de tout genre, auxquels on nous livrait, il m’est arrivé plusieurs fois de dire à notre maître : Comment, maître, il faut tout cela pour prier le bon Dieu ? et la preuve que tout cela n’était que du remplacement, c’est que le maître nous répondait : Il faut bien se contenter de ce que l’on a […] il n’y a que la vertu centrale qui s’étend dans tout l’empire… » (L.-C. de Saint-Martin, Lettre à Nicolas Antoine Kirchberger, 12 juillet 1792, publiée par MM. Schauer et Alp.Chuquet, in Correspondance inédite de Louis-Claude de Saint-Martin, Paris, Dentu, 1862, p. 15).

 

Articles en lien avec le sujet :

phenix

La doctrine de la réintégration des êtres

Pour un retour à la pensée d’Origène ou : 

« La Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous »

+

JMV1

Louis-Claude de Saint-Martin et la théurgie des élus coëns

 

 

 

 

 

René Guénon et le Rite Écossais Rectifié

In Christianisme, Franc-maçonnerie, Histoire, Régime Ecossais Rectifié on 12 février 2019 at 22:15

Bijou MX

Entretien avec Jean-Marc Vivenza

À propos de la réédition de :

« René Guénon et le Régime Écossais Rectifié »

 

À l’occasion de la publication de son dernier livre «René Guénon et le Régime Écossais Rectifié » (La Pierre Philosophale, 2019), Jean-Marc Vivenza vient d’accorder un « Entretien », mis en ligne sur le site des éditions « La Pierre Philosophale », que nous jugeons utile de reproduire afin de lui conférer une audience élargie, ceci dans la mesure où la première édition de cet ouvrage en 2007, avait donné lieu à de très nombreuses réactions, notamment de la part des milieux « guénoniens », ou du moins déclarés tels, car en effet, les mises en lumière effectuées par cette étude, révélaient des manquements, pour ne pas dire des carences sérieuses, dans le discours théorique de René Guénon vis-à-vis des questions qu’il avait abordées relatives au Régime Écossais Rectifié, mais pas uniquement, puisque étaient concernés aussi bien la valeur de l’enseignement et les méthodes de Martinès de Pasqually et de son Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers, ainsi que les positions de Louis-Claude de Saint-Martin, et sa voie spirituelle originale dite « selon l’interne ». Tous ces sujets, touchant directement à la question de la validité de ces trois courants relevant d’une identique source, que sont les Élus coëns, les Martinistes disciples de Saint-Martin, et enfin les maçons membres du système maçonnique et chevaleresque édifié par Jean-Baptiste Willermoz au XVIIIe siècle.

Frise 1

1. Vous êtes l’auteur d’un « Dictionnaire de René Guénon» [1] et d’une étude sur la « Métaphysique de René Guénon» [2], montrant votre fort intérêt pour l’œuvre de René Guénon, quel est donc le contexte dans lequel fut rédigé, à l’origine, votre étude critique sur les positions de Guénon vis-à-vis du Régime Écossais Rectifié, de Martinès de Pasqually et de Louis-Claude de Saint-Martin, et quels sont les motifs qui vous poussèrent à publier ces analyses pour le moins sévères, qui ne furent pas sans susciter bien des réactions qui perdurent encore ?

La présente étude, proposée aux éditions « La Pierre Philosophale » en une nouvelle publication, largement revue et augmentée, fut à l’origine conçue comme une simple réponse à une situation relativement paradoxale qui s’était durablement installée au sein des structures pratiquant le Rite Écossais Rectifié en France, et dont il m’apparaissait évident qu’elle n’était plus acceptable, ni d’ailleurs fondée en validité.

En cette période antérieure qui date désormais de plusieurs décennies et nous ramène au troisième tiers du siècle dernier, les thèses et analyses de René Guénon (1886-1951), régnaient de façon incontestée et incontestable dans certains milieux traditionnels – en particulier les domaines maçonniques rectifiés placés sous l’influence des ouvrages et de la charge de Grand Prieur exercée par Jean Granger dit « Tourniac » (1919-1995), où de nombreux admirateurs de l’auteur du « Symbolisme de la croix » y étaient alors légions -, milieux où le corpus théorique guénonien était parvenu en beaucoup « d’Orients » à s’imposer en tant que boussole unique, invariante et infaillible de la vie initiatique.

La situation avait atteint de telles invraisemblables proportions, que dans les ateliers pratiquant le système établi par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) lors du Convent des Gaules réuni à Lyon en 1778, les travaux ne portaient, de façon quasi exclusive, que sur les thématiques relatives aux grands sujets tirés des ouvrages de Guénon (symbolisme universel, unité transcendante des traditions, etc.), avec une forte propension à l’admiration pour les courants spirituels orientaux vers lesquels il nous était suggéré de nous tourner derechef au motif de bénéficier, et s’instruire, de « méthodes » invocatoires ou méditatives que nous aurions « perdues » en Occident, ce à quoi se rajoutait, ceci de manière beaucoup plus problématique, en une situation qui finissait par atteindre un état de réelle schizophrénie, une forte tendance à critiquer directement le Rite Rectifié, dénonçant avec la force que donne la certitude d’une dogmatique intangible, les prétendues « erreurs », « égarements », « illusions », et autres qualificatifs dépréciatifs, de ceux qui, au XVIIIe siècle, avaient pourtant porté sur les fonds baptismaux les éléments qui formaient la base de l’édifice doctrinal et théosophique du système willermozien.

Anecdote frappante s’il en est, bien qu’étant encore assez jeune en ces questions mais néanmoins ayant réagi en exprimant notre vive surprise face à cette initiative, certains membres du Régime, et non des moindres en autorité, faisaient circuler à cette époque dans les ateliers et les parvis, une « pétition » (sic), afin de revenir sur la décision prise par Jean-Baptiste Willermoz en 1785 visant à écarter « Tublacaïn » des rituels de l’Ordre, au profit de « Phaleg », encourageant ainsi chacun, et peu importait son « âge » initiatique, à apposer sa signature au bas d’un document que l’on souhaitait remettre officiellement aux membres du Conseil Général de l’Ordre, afin que la proposition fût examinée lors d’un prochain Convent [3].

En conséquence, eu égard aux réactions disproportionnées qu’avait suscité une timide désapprobation vis-à-vis de la « pétition » évoquée, et de la formulation, fort discrète au demeurant, de quelques remarques interrogatives sur les éventuelles inexactitudes commises par René Guénon dans son approche du Régime Rectifié, il me sembla ensuite que les temps étaient venus, nécessairement, de rédiger une sorte de « mise au point » précise afin de permettre un changement d’optique salvateur dans le rapport à l’héritage initiatique transmis par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Willermoz jusqu’à nous.

Cette brève « mise au point », commença son existence sous forme de copies artisanales puisque nous étions encore assez éloignés des possibilités de diffusion offertes par le monde virtuel, puis peu à peu gagna en épaisseur au fil des saisons, jusqu’à atteindre la dimension respectable d’une petite brochure, qui suscita des débats enflammés au point de générer d’authentiques ruptures brutales entre farouches partisans de l’infaillibilité guénonienne, et le modeste nombre de ceux qui considéraient qu’une mise en lumière des limites identifiées et constatées chez Guénon lorsqu’il aborda la nature et les fondements du Régime Rectifié, était une œuvre essentielle si l’on voulait pouvoir poursuivre un cheminement cohérent en fidélité avec les enseignements de la Réforme de Lyon.

Certes, le style de l’étude s’apparentait, du moins à première vue puisque les thèmes ouvraient cependant sur des perspectives absolument fondamentales, à celui du discours pamphlétaire, ceci afin de provoquer un « réveil » indispensable, style que nous ne regrettons pas et que nous avons d’ailleurs maintenu sans changement notable pour cette réédition en 2019, considérant qu’il conserve toujours, malgré les années écoulées, son rôle « pédagogique ».

Chose assez amusante à ce propos, alors que Guénon ne s’était jamais privé d’utiliser une langue plutôt aiguisée, parfois exagérément mordante et très souvent extrêmement rude et vexatoire à l’endroit de ceux qui étaient l’objet de ses critiques, auteurs innombrables flétris sous des guirlandes d’épithètes moqueurs et ironiques, le reproche principal qui nous fut fait, était d’avoir été trop sévère envers lui en usant d’une terminologie qui « choquait » les oreilles sensibles habituées aux louanges et aux odes prononcées à la gloire de celui, que l’on n’hésitait pas à qualifier en certains cénacles qui se réunissaient et agissaient à la périphérie immédiate des ateliers du Régime Rectifié, de « témoin de la connaissance sacrée qui revivifia pour nous la Parole des Maîtres en ces temps d’obscurité et d’occultation » (sic !).

*

Ceci étant posé, nos critiques n’impliquent strictement, nous tenons à le préciser avec insistance, aucune minoration de notre part, bien au contraire, vis-à-vis de l’immense valeur des travaux portant sur la métaphysique effectués par René Guénon, la métaphysique dite « intégrale » qu’il exposa est exceptionnelle à bien des égards, les points principaux de cette métaphysique participant de la doctrine de l’Infini et de la connaissance de la « Possibilité universelle » incluant l’Être et le Non-Être, et étant, contrairement à ce qui est parfois affirmé, totalement indépendants des thèses relatives à la « Tradition primordiale », au « Roi du monde » ou ses vues erronées sur l’ésotérisme occidental, l’illuminisme et la mystique chrétienne, et peuvent parfaitement, voire, nous n’hésitons pas à le soutenir, doivent être, étudiés, approfondis et même « pratiqués », en étant entièrement détachés des diverses conceptions professées par l’auteur des « Principes du calcul infinitésimal ». Il s’agit de deux domaines distincts, différents, qui n’interviennent en rien l’un sur l’autre, et participent de deux dimensions qui peuvent même être regardées comme dissemblables n’ayant aucune sorte d’interférence quelconque entre elles. On sait d’ailleurs aujourd’hui, que René Guénon, à une période où il ne soutenait pas encore les thèses qui le rendirent ensuite célèbre, fut amené vers une l’étude de la notion d’Infini qui devint le point central de sa métaphysique, à partir de la découverte des réflexions de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), ceci étant confirmé par les échanges qu’il eut avec Albert Leclère (1867-1920) –  spécialiste des présocratiques s’étant penché sur les liens entre la religion et l’ontologie -, qui fut son professeur de philosophie en 1903 au collège Augustin-Thierry à Blois, montrant bien le caractère hétérogène des sujets [4].

2. Quelles sont les principales erreurs de René Guénon, ayant justifié la rédaction de votre livre en « dénonciation » ? Et vous attendiez-vous à des réactions aussi passionnelles, et parfois virulentes, des milieux guénoniens à votre égard, suite à la publication des vos analyses en 2007 ?

La « dévotion » envers René Guénon, notamment dans les pays francophones, demeure encore très importante, bien qu’étant bien moindre qu’il y a quelques décennies, cette « dévotion » excessive et souvent aveugle, étant entretenue en particulier dans quelques cercles marginaux isolés, et surtout très divisés et hostiles entre eux, qui se sont autoproclamés légataires universels et « gardiens » de la doxa guénonienne, dont l’existence se résume principalement, ce qui n’est pas la moindre des incohérences, à une hyperactivité généralement pseudonyme sur la toile mondiale, visant à dénoncer « ennemis », « traitres » et « corrupteurs » à leurs yeux de l’héritage traditionnel.

Cependant comme notre jugement ne porte que sur certaines des erreurs théoriques de Guénon, en ne participant d’aucune antipathie, bien au contraire, envers l’homme et son action, nous ne prêtons conséquemment aucune attention aux aussi vaines que stériles polémiques qui ont accompagné la publication de nos travaux, ainsi qu’aux besogneux articles rédigés par les divers médiocres écolâtres de la cause prétendument « guénonienne », toutes tendances confondues, considérant, à l’identique de celui dont se réclament ces indigents perroquets, que « nous n’avons ni le temps ni le goût de répondre […] à de vaines discutailleries […]; le terrain sur lequel nous nous plaçons est tout autre, et nous n’avons pas de concessions à faire aux points de vue ‘‘profanes’[5]» ; ayant par ailleurs fait nôtre cette remarque en forme de sentence : « Nous n’acceptons jamais aucune polémique, ne nous reconnaissant pas le droit de quitter notre terrain pour nous placer sur celui de l’adversaire [6]. »

Il nous est apparu en conséquence face à la situation décrite en préambule, que le devoir « d’inventaire » s’imposait si l’on peut dire, devant la réitération des discours mécaniques et stéréotypés, que des répétiteurs inintelligents déclamaient de façon régulière lorsqu’était abordé le sujet de l’ésotérisme occidental, et plus précisément, dès que l’on évoquait les trois figures principales qui participèrent au XVIIIe siècle en France du courant illuministe, à savoir : Martinès de Pasqually (+ 1774), Jean-Baptiste Willermoz et Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803).

Cinq motifs principaux nous sont en conséquence apparus devoir faire l’objet d’un redressement théorique :

  • 1°) René Guénon refuse d’admettre que le Régime Écossais Rectifié est une métamorphose des Élus Coëns, et non pas une simple dérivation de la Stricte Observance.
  • 2°) René Guénon s’est trompé sur l’architecture organisationnelle du Régime Écossais Rectifié.
  • 3°) René Guénon déprécia les « opérations » des Élus Coëns, soutenant qu’il s’agissait de rituels de “magie cérémonielle”, basés sur des pratiques théurgiques ; considérant par ailleurs que ce que Martinès appelait « réintégration » n’était que la restauration de « l’état primordial », lequel ne va pas au-delà des possibilités de l’être humain individuel.
  • 4°) René Guénon ne voit pas en quoi, lorsque Jean-Baptiste Willermoz écarta « Tubalcaïn » des rituels du Régime Rectifié, il mit en fait en cohérence la nature de l’Ordre avec le « Haut et Saint Ordre » des élus de l’Éternel.
  • 5°) René Guénon affirme de façon inexacte, que Louis-Claude de Saint-Martin, s’est enfermé dans le domaine du mysticisme, et par là-même s’est mis à distance de la voie initiatique, jugeant de manière absurde, que le« mysticisme relève exclusivement du domaine religieux, c’est-à-dire exotérique »

Et lorsque sont examinés attentivement ces points, une évidence apparaît et s’impose assez rapidement, évidence qui aboutit, objectivement – en mettant de côté un attachement d’ordre secondaire et « sentimental » à l’égard de l’auteur du Symbolisme de la croix -, à un constat difficilement contestable, c’est que René Guénon parla de « l’extérieur », et s’exprima sur des sujets qu’il méconnaissait faute d’avoir pu accéder, tant aux travaux des ateliers du Régime Rectifié qu’à ses différentes sources dans leur majorité inexploitées à l’époque, proposant en conséquence, hélas ! en toute logique, un discours entièrement décalé et singulièrement erroné, quant à la substance du  Régime Écossais Rectifié, système issu sur le plan initiatique de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers et de ses enseignements, énonçant des inexactitudes patentes sur les formes organisationnelles du Régime édifié par Willermoz, ainsi que des jugements approximatifs sur la nature des connaissances et la transmission de Martinès de Pasqually, et enfin, pour couronner le tout, des considérations sévèrement dépréciatives à l’encontre de la « voie selon l’interne » préconisée par Louis-Claude de Saint-Martin.

Tout ce discours critique, René Guénon le soutiendra parfois contre les évidences elles-mêmes, et se refusa toujours de le corriger, au motif du refus d’avouer le caractère lacunaire de sa science en ces domaines résultant d’une conception limitée de l’initiation, aboutissant à une obstination coupable dans l’erreur que rien ne permet plus de justifier et de continuer à cautionner, sauf un entêtement reproduit de façon mécanique et qu’il faut bien qualifier de particulièrement « stupide », par des prétendus « disciples », qui n’ont même pas pour leur défense les excuses que l’on peut accorder à leur « maître » regardé à leurs yeux comme « infaillible », entêtement qui confine chez certains incontinents polygraphes avec la bêtise crasse et la reproduction mécanique et satisfaite de profondes âneries leur servant apparemment « d’habit à leurs rêveries », et qui relève, concrètement, de la célèbre sentence :  « Errare humanum est, perseverare diabolicum ».

Cette attitude inexplicable et injustifiable, motivée par d’obscurs « sentiments » et de bien inexactes raisons, obligeait donc à ce que soit enfin entrepris un travail de clarification et d’explication de ce qui conduisit à la fois Guénon, mais également ceux se réclamant aujourd’hui de son œuvre, à considérer que la doctrine de Martinès de Pasqually, la perspective théosophique du Philosophe Inconnu et la rectification élaborée par Jean-Baptiste Willermoz, étaient toutes trois entachées d’un vice rédhibitoire les disqualifiant et les excluant catégoriquement, d’après l’expression choisie, des sphères réservées de la véritable « Tradition », alors même que c’est au contraire ce courant spécifique au sein de l’ésotérisme chrétien – dont participèrent les Élus Coëns, le cercles des intimes de Louis-Claude de Saint-Martin et l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte -, qui est seul autorisé, selon bien évidemment les critères de la « Révélation », unique source de vérité et de crédibilité dans le cadre de « l’ésotérisme chrétien », à revendiquer une authenticité et un attachement indéfectible à l’égard de l’authentique « Tradition » fondée et appuyée, non pas sur les restes composites de l’héritage post diluvien et babélien, mais sur les enseignements reçus et délivrés au cours des siècles par les Patriarches, les Justes et les Prophètes, rappelés et remise en lumière par celui que le Philosophe Inconnu désigne sous le nom de Divin Réparateur. Cet ésotérisme, en effet « chrétien », dans la mesure où il se fonde sur le texte de la « Révélation », s’affirme donc comme détenteur des clés permettant d’accéder à la substance essentielle de la « science sacrée », et, à cet égard, est dépositaire des connaissances supérieures seules aptes à permettre à l’âme de parvenir aux régions invisible dans lesquelles se situe l’informulable « Présence ».

3. Quelles sont les caractéristiques et les particularités de cet « ésotérisme chrétien » dont témoignent Martinès, Willermoz et Saint-Martin selon vous ?

La singularité de l’ésotérisme chrétien, notamment dans les formes qu’il prit au sein des courants de l’illuminisme en Europe au XVIIIe siècle, provient du fait qu’il considère qu’une part secrète de la « Révélation » a été réservée pour certaines âmes choisies, cette part n’ayant pas été entièrement intégrée à l’intérieur de l’institution ecclésiale [7], Jean-Baptiste Willermoz considérant d’ailleurs que depuis le VIe siècle, l’Église a oublié une part non négligeable de l’enseignement dont furent dépositaires les chrétiens des premiers siècles, perte qui touche et concerne l’ensemble des confessions chrétiennes, d’Orient comme d’Occident, qui ont adopté les décisions dogmatiques des sept premiers conciles – et non en particulier l’une d’entre elles, car toutes souscrivent aux positions définies par le deuxième concile de Constantinople (553), et notamment les anathèmes prononcés contre les thèses d’Origène, portant sur la préexistence des âmes, l’état angélique d’Adam avant la prévarication, l’incorporisation d’Adam et sa postérité dans une forme de matière dégradée et impure en conséquence du péché originel, et la dissolution finale des corps et du monde matériel -, qui conservent toute leur force d’application sur le plan théologique et dogmatique [8].

L’idée de ces théosophes, combattue par l’Église, tous issus du courant illuministe, relève d’une intuition principale : l’origine des choses, le principe en son essence, n’est pas une réalité positive mais négative, de ce fait l’enseignement ésotérique considère qu’une « tradition » a été conservée, et qu’il est possible de la retrouver soit par l’effet d’une « illumination intérieure », soit grâce à des transmissions cérémonielles et rituelles.

Par ailleurs, leur conviction commune, était que le christianisme fut avant tout, et demeure, une authentique initiation. Ce discours se répandit auprès de nombreux esprits, et beaucoup adhérèrent à cette conception qui devint une sorte de vision commune pour tous ceux qui aspiraient à une compréhension plus intérieure, plus subtile, de vérités que l’Église imposait par autorité, voire qu’elle avait tout simplement oubliées [9].

C’est ce que soutiendra positivement Jean-Baptiste Willermoz, en des termes extrêmement clairs : « Malheureux sont ceux qui ignorent que les connaissances parfaites nous furent apportées par la Loi spirituelle du christianisme, qui fut une initiation aussi mystérieuse que celle qui l’avait précédée : c’est dans celle-là que se trouve la Science universelle. Cette Loi dévoila de nouveaux mys­tères dans l’homme et dans la nature, elle devint le complé­ment de la science [10]

La voie initiatique occidentale issue de l’illuminisme mystique, participe donc d’une tradition, se revendiquant de la  « Discipline de l’Arcane » [11], où sont perceptibles les fondements d’une métaphysique relativement originale – qui n’a rien à envier aux affirmations les plus avancées des penseurs de la vacuité ontologique et du non-dualisme radical -, et dont la mise en œuvre fut l’unique possibilité d’accéder en Europe à la connaissance de ce « Néant éternel » qui s’éprouve originellement dans un « désir », une faim de quelque chose, une aspiration à un autre que lui-même que manifeste sa volonté, son «Fiat », désir qui constitue un mouvement intensément dialectique, une action au sein de l’immobilité infinie, faisant passer la Divinité du déterminé à l’indéterminé, produisant en elle de l’obscurité et de l’ombre et qui, pourtant, ne sont point totalement ténébreuses et obscures car ce « désir », cette soif, sont emplies d’une lumière quoique « en négatif », et bien que demeurant, pour l’entendement immédiat et la vision superficielle qui en restent à une vision première, une pure et totale nuit ontologique relevant du « Soleil noir de l’Esprit » [12].

4. Mais pourquoi alors, René Guénon semble s’être montré quasi indifférent à cette dimension proprement « ésotérique » présente au sein du christianisme, affirmant même que l’ensemble des connaissances sacrées étaient situées en Orient, et que l’Occident avait perdu son lien avec les sources effectives de l’authentique « Tradition » ?

Le problème de Guénon il est vrai, car problème il y a, c’est que sur divers sujets – en particulier ce qui relève de l’ésotérisme occidental et de la nature du christianisme -, Guénon s’est lourdement trompé, et a commis des erreurs notables, patentes et relativement importantes. Cela n’enlève rien à la valeur de ses contributions en d’autres domaines bien évidemment, mais n’autorise pas pour autant à s’aveugler volontairement sur les limites de son œuvre théorique et de ses analyses historiques qu’il convient de repositionner correctement, de sorte d’éviter de tomber dans des impasses catégoriques.

À cet égard, la profonde méconnaissance de Guénon à l’égard des richesses de l’ésotérisme occidental, alors qu’il ignorait l’allemand et ne s’intéressa jamais aux principaux auteurs de langue germanique, explique peut-être sa conviction s’agissant de la nécessité de s’ouvrir aux « lumières de l’Orient » qu’il identifiait avec l’image qu’il se faisait de la « tradition ésotérique », négligeant, faute des les avoir étudié et approfondi sérieusement, les fondements propres du vénérable héritage théosophique d’Occident passablement écarté de sa réflexion. L’aboutissement de cette ignorance chez Guénon à l’égard des sources, notamment germaniques, de l’ésotérisme occidental, est connu – celle-ci se doublant de la non reconnaissance de la valeur propre des « lumières » originales du christianisme -, soit l’impérative nécessité de s’ouvrir aux enseignements orientaux afin d’accéder aux méthodes capables de nous conférer les « outils de réalisation » dont nous serions dépourvus, ce qui l’amena logiquement à déclarer en 1935 : « L’islam est le seul moyen d’accéder aujourd’hui, pour des Européens, à l’initiation effective (et non plus virtuelle), puisque la Maçonnerie ne possède plus d’enseignement ni de méthode  [13]

C’est pourquoi, on pourrait, sans exagération aucune, parler d’ésotérisme « fantasmatique » chez Guénon tant ses conceptions participent d’une vision relativement imaginée de l’Histoire, et d’une singulière idéalisation de « l’Orient » [14]. Ainsi, en permanence sous sa plume, nous sommes renvoyés à des pactes, des complots, des décisions cachées, des pouvoirs effectifs inconnus de tous, des cénacles dirigeant le cours des choses et maîtrisant le destin des civilisations, se référant inlassablement à une grille d’analyse faisant intervenir une histoire secrète parallèle à l’Histoire visible qui ne serait qu’une sorte de premier plan superficiel sous lequel travailleraient, dans l’ombre évidemment, les initiés mystérieux, les fameux « Rose-Croix retirés en Asie après le Traité de Westphalie en 1548 », possédant le pouvoir véritable sur le monde loin des regards indiscrets.

À longueur de page, Guénon insiste sur le caractère non-connu de l’authentique vérité historique et nous entraîne dans des développements parfois délirants où il nous explique, avec un enthousiasme certain mais une efficacité contrastée, comment les événements obéissent à des lois et des jugements pris en « haut lieu », loin de la foule ignorante. Ainsi nous apprenons que dans les coulisses du temps, et ce depuis quasiment les origines, œuvrent  des initiés en possession de la connaissance des mystères, guidant de manière invisible les « prétendus » dirigeants de la planète afin de les engager dans les « voies » préparées depuis longtemps par les maîtres de « l’Agartha » qui veillent sur les dépôt de la « Tradition primordiale » [15].

Il serait facile de multiplier les exemples de ce type de discours présent dans l’œuvre guénonienne, cherchant à nous convaincre de la véracité des thèses exposées [16].

Mais la source, peut-être la plus tenace des positions de Guénon, par-delà sa méconnaissance du domaine théosophique européen, a pour origine  une influence problématique subie dans ses années de formation, qui lui fit tenir des discours ahurissants au sujet du christianisme, et surtout l’empêcha d’accéder à la connaissance des richesses propres de son mysticisme regardé comme du « sentimentalisme passif ».

Cette influence provient de celui qu’il qualifiait de « notre Maître » (sic) [17], c’est-à-dire Albert de Pouvourville (1861-1939), dit  « Matgioi », Tau Simon en tant qu’évêque gnostique, versé dans l’ésotérisme taoïste, qui soutenait la thèse d’une « dégénérescence » sentimentale du christianisme, devenu une religion consolante au prétexte qu’ « aimer Dieu est un non-sens », la direction éditoriale de la revue « La Gnose », baptisée « Organe officiel de l’Église gnostique universelle », présentant le premier article publié par Matgioi en 1910 en ces termes : «  La Métaphysique jaune rejette toute intervention du sentiment dans la Doctrine, et proclame l’inanité des dogmes consolants et des religions à forme sentimentale [18]

Et ce que cache l’affirmation absolument invraisemblable, et insoutenable à bien des égards, de Guénon : « le mysticisme proprement dit est quelque chose d’exclusivement occidental et, au fond, de spécifiquement chrétien [19]» – point qui n’a été que très rarement mis en lumière -, c’est en réalité un soubassement apriorique à l’encontre du christianisme provenant directement des thèses de Matgioi, qui confine parfois en certains textes jusqu’au rejet pur et simple, en raison d’une opinion dépréciative résultant de cette influence qui devint ensuite une empreinte durable, et dont Guénon ne parvint jamais à se défaire.

Et voilà comment René Guénon a grandement et singulièrement erré sur des sujets pourtant cruciaux et fondamentaux, puisque touchant à l’essence même de l’ésotérisme chrétien, erreurs profondes signe d’une carence théorique et doctrinale rendant inacceptables ses principales thèses lorsqu’il exprima un jugement à l’égard du Régime Écossais Rectifié, des Élus Coëns ou de la théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin.

C’est donc toute la doxa guénonienne qui est frappée d’illégitimité de par son incapacité à appréhender – faute de posséder les outils adéquats -, les lumières propres de l’initiation chrétienne, et qui, ne voyant rien en elle, et pour cause, juge de façon brutale et péremptoire que, « à bien des égards », on n’y trouve rien d’essentiel. Or, c’est bien plutôt Guénon, malheureusement, par une rupture et une fermeture inexplicables vis-à-vis de la tradition occidentale, qui s’est rendu incapable de pénétrer au cœur de l’ésotérisme chrétien, n’étant jamais parvenu à en saisir la substance véritable, refusant de se donner la peine d’en comprendre la perspective spirituelle, restant dans une ignorance coupable et stupéfiante des plus grands textes de cette tradition [20], regardant un cheminement dont il s’était tragiquement et volontairement coupé, avec une abyssale incompétence qui ne pouvait que le conduire à soutenir des thèses totalement inexactes, en absolue contradiction avec la réalité des faits les plus avérés et les plus assurés.

Que René Guénon, encore possesseur d’une « aura » de science et de connaissance pour un grand nombre d’érudits ou d’initiés, se soit à ce point trompé en ces matières est déjà lourd de conséquences pour la juste compréhension des enjeux initiatiques, mais que l’on puisse encore de nos jours, pour de nombreux et méritants disciples actuels de Jean-Baptiste Willermoz, en rester à ces erreurs manifestes et leur conférer une quelconque autorité, nous semble donc relever d’un aveuglement inexplicable et injustifiable, alors même qu’il importe, pour tout les « cherchants » habités par une droite et sincère intention, de parvenir à pénétrer au centre des circonférences que la Divine Providence leur a permis de découvrir en les plaçant au sein du Régime Rectifié ou dans les assemblées saint-martinistes, d’en comprendre le sens effectif et la valeur précise, de manière à ce qu’ils se rendent aptes d’allumer correctement, c’est-à-dire en ayant conscience de participer à une « opération » bénie de réconciliation, les diverses lumières d’Ordre, de sorte que, par leurs efforts répétés et continus, soit enfin relever l’autel d’or du Temple invisible.

Notes. 

[1] Dictionnaire de René Guénon, Le Mercure Dauphinois, 2002.

[2] La Métaphysique de René Guénon, Le Mercure Dauphinois, 2005.

[3] Le nom de « Tubalcaïn » en 1785, en raison des révélations de « l’Agent Inconnu », a été éliminé des rituels du Régime et remplacé par celui de « Phaleg », lors de la tenue du Directoire Provincial d’Auvergne à Lyon, le 5 mars 1785.

[4] « Il ne fait aucun doute que René Guénon aura eu une intuition de l’infini très jeune. On retrouve en effet cette compréhension de l’Absolu, claire et concise chez lui, dès ses premiers écrits de jeunesse, ainsi que dans ses toutes premières publications dans des revues diverses, alors qu’il côtoyait les milieux occultistes parisiens avant la Première Guerre mondiale. C’est d’ailleurs ce sujet de l’Infini qui semble aussi avoir guidé ses choix d’étudiant quelques années plus tard, alors qu’il se destinait à devenir professeur de philosophie. On sait que René Guénon devint bachelier ès lettres option philosophie en 1903, à l’âge de seize ans et demi, sous la tutelle de son professeur de philosophie Albert Leclère (1863-1920), docteur ès lettres, dont il reprendra d’ailleurs un temps la chaire au collège Augustin-Thierry de Blois en 1918-1919, à son retour d’Algérie. On sait d’après des témoignages directs que Guénon fut fortement influencé par Albert Leclère, surnommé «l’excellent» par ses élèves. Il est d’ailleurs important de remarquer que les ouvrages de ce professeur, publiés entre 1900 et 1913, contiennent une grande quantité de sujets qui furent aussi abordés par Guénon dans son œuvre, en particulier ceux de la métaphysique pure, de la critique du monde moderne ou du système de pensée occidental, entre autres. En particulier, le chapitre « La science de l’irréel » du livre de Leclère intitulé « Essai critique sur le droit d’affirmer » (1901) traite en détail du concept d’inséparabilité de l’espace et du temps. Contrairement aux représentations mathématiques utilisées pour les modéliser, ainsi que des principes du calcul infinitésimal, identifiant d’ailleurs l’indifinité à l’infini mathématique, et présentant l’argument de Zénon (p. 126), sur l’impossibilité pratique de diviser l’espace indéfiniment, éléments repris par Guénon plus tard dans son propre ouvrage sur le calcul infinitésimal. On citera à cet effet ce passage significatif sur Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646-1716) et la métaphysique, car une critique semblable sera utilisée par Guénon lorsqu’il parlera de l’aspect historique du calcul infinitésimal : ‘‘[Leibnitz] juxtaposa une science symbolique, le calcul infinitésimal qu’il créa, à une science réelle, spécifiquement différente de celle-ci, à savoir le calcul infinitésimal tel qu’il existe dans l’entendement divin, et auquel ne peut s’élever l’esprit de l’homme : il juxtaposa, à la monadologie qui est la vérité métaphysique absolue selon lui, la vérité scientifique, et à celle-ci la connaissance sensible qu’il ne condamna pas plus que l’autre : il admit des degrés dans la vérité des vérités hétérogènes, ce que jamais n’auraient admis les Scolastiques, qui entendaient entasser vérités absolues sur vérités absolues’’ (Albert Leclère, Essai critique sur le droit d’affirmer,  Éd. Félix Alcan, 1901, ch. IV, p. 203).» (Cf. « René Guénon une intuition de l’Infini », Annexe, in R. Guénon, Les Principes du calcul infinitésimal, N.R.F., Gallimard, 2016, pp. 178-179).

[5] R. Guénon, Le Voile d’Isis, mai 1932.

[6] R. Guénon, Le Voile d’Isis, juin 1931.

[7] Lors de la publication de son livre, certes remarquable à bien des égards, nous avons signalé en quoi la position de Jean Borella, qui refuse l’idée d’un ésotérisme chrétien extérieur à l’Église, était problématique. (Cf. J.-M. Vivenza, Analyse de « Ésotérisme guénonien et mystère chrétien » de Jean Borella, (Delphica / L’Âge d’Homme, Paris, 1997), in Connaissance des religions, n° 55-56, juillet-décembre 1998, pp. 165-168).

[8] Cette allusion à la perte par l’Église de vérités connues jusqu’au VIe siècle, puis oubliées et même combattues par les clercs, se retrouve dans de nombreuses fois chez Willermoz, notamment dans le « Traité des deux natures », rédigé tardivement, entre 1806 et 1818. (J.-B. Willermoz, Traité des deux natures, 1818, B.M. de Lyon, Fonds Willermoz, ms 5940 n° 5.)

[9] « Oui il y a un corps de doctrine purement ésotérique à l’intérieur du christianisme, c’est certain car il y a eu un énoncé de la bouche même du Christ. Le christianisme n’est pas seulement cette doctrine à coloration sentimentale, destinée à convertir le plus grand nombre d’êtres, mais aussi il renferme en soi, ou du moins il a renfermé en soi à l’origine, tout un énoncé de Connaissance auquel nous n’avons plus accès à l’heure actuelle et qui est tout à fait comparable aux énoncés ésotériques des autres religions ou traditions. Car Dieu lorsqu’il se manifeste, le fait toujours sous les deux aspects ; Il parle aux foules et il donne aussi accès à qui peut l’entendre, aux mystères qui président à la création. » (Cf. Y. Le Cadre, Frère Élie Lemoine et René Guénon, in Il y a cinquante ans René Guénon, Éditions Traditionnelles, 2001, p. 166).

[10] Instruction pour les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, 1784, Bibliothèque Municipale de Lyon, Fonds Willermoz, MS 5921.

[11] Le terme « Discipline de l’Arcane » provient, non du vocabulaire de l’Église antique, mais semble avoir été introduit dans la littérature théologique au XVIIème siècle par Jean Daillé (1594-1670), théologien réformé, puis trouva, sous la plume de Fénelon (1651-1715), qui désigne du nom de « tradition secrète des mystiques » ce à quoi correspond cette « disciplina arcani », ou « gnose », un ardent avocat. Dans le manuscrit intitulé « Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie » (1694) – manuscrit inédit conservé aux Archives de Saint-Sulpice, puis publié pour la première fois, précédé d’une longue introduction, par le R.P. Paul Dudon, s.j., (1859-1941) en 1930 dans la collection des « Études de Théologie Historique » (Paris, Gabriel Beauchesne éditeur) -, Fénelon soutient que le Père grec, canonisé par l’Église (150-215), affirme que « la gnose est fondée sur une tradition secrète », ancienne et authentique qui provient des premiers siècles du christianisme.

[12] « Le Néant a faim du Quelque Chose et la faim est le désir, sous forme du premier « Verbum fiat » ou du premier faire, car le désir n’a rien qu’il puisse faire ou saisir. Il ne fait que se saisir lui-même et se donner à lui-même son empreinte, je veux dire qu’il se coagule, s’éduque en lui-même, et se saisit et passe de l’Indéterminé au Déterminé et projette sur lui-même l’attraction magnétique afin que le Néant se remplisse et pourtant il ne fait que rester le Néant et en fait de propriété n’a que les ténèbres; c’est l’éternelle origine des ténèbres : Car là où il existe une qualité il y a déjà quelque chose et le Quelque Chose n’est pas comme le Néant. Il produit de l’obscurité, à moins d’être rempli de quelque chose d’autre (comme d’un éclat) car alors il devient de la lumière. Et pourtant en tant que propriété il reste une obscurité. » (J. Böhme, Mysterium Magnum, III, 5, trad. N. Berdiaeff, Paris, Aubier Éditions Montaigne, 1945, t. I, p. 63).

[13] R. Guénon, Propos à Jean Reyor, in P. Feydel, Aperçus historiques touchant à la fonction de René Guénon, Arché, 2003, p. 155.

[14] Lorsqu’on se penche sur certains extraits de ses ouvrages, cette idéalisation quasi « naïve » de l’Orient, apparaît de façon évidente ; l’exemple du peuple chinois, dont on a pu apprécier depuis les vertus « pacifiques », notamment au Tibet, est assez éloquent : « Les Chinois sont le peuple le plus profondément pacifique qui existe ; nous disons pacifique et non « pacifiste », car ils n’éprouvent point le besoin de faire là-dessus de grandiloquentes théories humanitaires : la guerre répugne à leur tempérament, et voilà tout. Si c’est là une faiblesse en un certain sens relatif, il y a, dans la nature même de la race chinoise, une force d’un autre ordre qui en compense les effets, et dont la conscience contribue sans doute à rendre possible cet état d’esprit pacifique… » (R. Guénon, Orient et Occident, 1924, 1ère Partie, Ch. IV, « Terreurs chimériques et dangers réels »).

[15] Lire sur le sujet : J.-M. Vivenza, René Guénon et la Tradition primordiale, La Pierre Philosophale, 2017.

[16] Cf. L’Ésotérisme de Dante, le Roi du Monde, Le Règne de la quantité et les signes des temps, Aperçus sur l’initiation, etc.

[17] R. Guénon [« Palingénius »], La Religion et les religions, La Gnose, n°10, septembre-octobre 1910.

[18] Matgioi, L’erreur métaphysique des religions à forme sentimentale, La Gnose, n°9, juillet-août 1910.

[19] R. Guénon, Aperçus sur l’initiation, op.cit.

[20] Lorsque l’on songe qu’il se refusa toujours à lire sérieusement les rhénans (Suso, Tauler, Eckhart, etc.), ainsi que les principaux mystiques et docteurs de l’Église dont il n’avait qu’une connaissance superficielle, on s’explique beaucoup mieux certaines prises de positions assurément bien étonnantes.

 

Image Livre

René Guénon

et le

Régime Écossais Rectifié

La Pierre Philosophale, 2019, 330 pages.

Le Régime Écossais Rectifié à la lumière de la Vérité !

In Franc-maçonnerie on 18 mars 2018 at 19:19

Grand Directoire des Gaules

Il s’est imposé que soit sauvée la transmission de Camille Savoire,

prise au piège par une instance sectaire,

exerçant son action nocive par l’intermédiaire

d’un organisme dogmatique parasitaire.

 

La récente publication d’une «Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours »  (La Pierre Philosophale, 2017), par Jean-Marc Vivenza, a, sans conteste, constitué l’événement majeur de ces derniers mois au sein du milieu maçonnique rectifié, ceci dans la mesure où la somme de documents, références, éclairages, faits, etc., contenue dans cet ouvrage, avait rarement était égalée dans ce domaine, faisant de ce livre un incontournable pour ceux qui s’intéressent au système établi par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), lors du Convent des Gaules (1778).

La plupart des observateurs l’ont dit ou écrit, et il est donc inutile d’y revenir pour éviter les redondances, même s’il est toujours nécessaire de rappeler les évidences face à la vitesse accélérée avec laquelle l’oubli s’empare des esprits.

Mais il est un aspect – et on peut comprendre pourquoi, tant il apparaît rompre l’irénisme relationnel que l’on cherche difficilement à préserver entre les puissances maçonniques -, sur lequel les commentateurs ne se sont pas trop longuement étendus, celui touchant aux raisons qui conduisirent un certains nombre de dignitaires appartenant au Régime rectifié en décembre 2012, à se séparer des obédiences dans lesquelles ils œuvraient depuis plusieurs années, principalement le Grand Prieuré des Gaules (G.P.D.G.), et le Grand Prieuré Indépendant de France (G.P.I.F.), afin de décider de réveiller le « Gand Directoire des Gaules » constitué en 1935 par Camille Savoire (1869-1951), accompagnant ce « réveil » du rétablissement du « Directoire National Rectifié de France », instance gérant les trois Provinces françaises selon le « Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France ».

Ainsi, un des points intéressants de l’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, c’est d’offrir aux lecteurs, un détail précis et circonstancié de la « mutation » dans laquelle l’instance dépositaire du réveil de 1935, c’est-à-dire le Grand Prieuré des Gaules (G.P.D.G.), s’est engagée, jusqu’à devenir une obédience multiritualiste pratiquant plusieurs systèmes maçonniques, le tout encadré par une « Aumônerie Nationale » (sic) [1].

Mais il convenait, pour vraiment traiter de « l’Histoire contemporaine du Régime », que soient éclairés attentivement les détails qui amenèrent à la rupture au sein du G.P.D.G. C’est ce que l’on découvre expliqué en trois « Actes », au chapitre XII, dont voici brièvement l’essentiel.

– Acte I –

 

« Une conception de la chair

qui peut influer négativement sur la conscience des Frères… »

On apprend en conséquence, que « l’élément déclencheur » qui amena à la rupture, « eut pour origine, en octobre 2011, un rappel par le Philosophe Inconnu de la « Société des Indépendants » à l’occasion de la traditionnelle « Assemblée annuelle » de cet organisme martiniste à la date anniversaire de sa fondation, des positions soutenues par Louis-Claude de Saint-Martin concernant le sacerdoce et les sacrements. Comme on le sait, l’auteur du « Nouvel homme », n’avait pas ménagé ses critiques envers l’Église, chargé à ses yeux de nombreuses fautes, dont une lui semblait devoir être dénoncée, celle ayant pour effet, en mettant des barrières dogmatiques, disciplinaires et cléricales entre les hommes et le Christ, d’empêcher les âmes d’entrer dans une relation directe avec le Ciel. » [2]

C’est alors, apprend-t-on, montrant le visage réel de cette « Aumônerie », dans son nocif travail visant à imposer des vues dogmatiques, que « la réaction du petit noyau de Frères, regroupés alors autour de l’Aumônerie Nationale, au lendemain de la diffusion de « Saint-Martin et la question du sacerdoce », pourtant restreinte aux membres de la « Société des Indépendants », ce qui ne représentait, alors, que peu de monde, fut d’une vigueur impressionnante, et on les vit agir comme si le G.P.D.G., en ses fondations, était menacé « spirituellement » par d’inquiétantes propositions théoriques martinistes extra-ecclésiales. » [3]

Cependant, cette réaction irrationnelle, n’était rien par rapport à ce qui allait se produire quelques mois plus tard : « En effet, voyant que le simple rappel, limité au demeurant, des positions extra-ecclésiales de Saint-Martin, avait provoqué une telle réaction furieuse de la part de Frères participant des activités de « l’Aumônerie Nationale » […] il sembla nécessaire – sentant qu’il en allait de même avec les thèses soutenues par le Régime rectifié […] d’effectuer le même travail de mise en lumière de ce qu’étaient, en leur réalité théorique, les principales propositions « doctrinales » intrinsèquement liées au système fondé par Jean-Baptiste Willermoz. » [4]

Un texte fut mis en ligne, « Le Régime Écossais Rectifié et la doctrine de la matière » : « où étaient exposés les points fondamentaux de la « doctrine de la réintégration » […] mis en parallèle avec les positions soutenues par Origène et saint Augustin, notamment ceux disponibles relatifs aux questions doctrinales, afin qu’il ne puisse y avoir aucune contestation des affirmations spécifiques du Régime Écossais Rectifié au sujet du statut ontologique de l’univers créé, la situation dégradée de l’homme déchu enfermé dans un « corps-prison », et la destination à l’anéantissement du composé matériel. » [5]

C’est alors, qu’une apparente folie furieuse s’empara du Grand Aumônier et de ses affidés : « [La réaction] qui fit suite à la mise en ligne, en mai 2012, du texte exposant les bases de la doctrine du Régime rectifié, frisèrent, le mot n’est pas exagéré, « l’hystérie », et déclenchèrent une action de la part du « Grand Aumônier des Ordres » visant à demander et exiger, rien moins, que la destitution de la fonction nationale de « Porte-parole officiel du G.P.D.G. », occupée par celui qui avait eu l’outrecuidance à ses yeux, en « abusant de sa fonction », de souligner qu’elles étaient les conceptions théoriques de Willermoz, qui se trouvaient, objectivement et en toutes lettres, à l’intérieur des rituels du Régime rectifié, et d’ailleurs, en expliquaient l’ensemble de la perspective initiatique. » [6]

Nous passons volontairement sur les épisodes qui sont décrits dans l’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, mais le résultat aboutira à ceci : « un climat de véritable « guerre idéologique » en interne, mais aussi en externe, puisque la « toile » s’agitait et se faisait l’écho de ce conflit, et notamment les réseaux sociaux qui s’invitaient sans doute pour la première fois dans un affrontement de cette nature, et allait produire, à brève échéance, l’inévitable. » [7]

– Acte II –

 

« Le dogme est intangible, pas la doctrine… »

La sortie du G.P.D.G, de la « Société des Indépendants », en octobre 2012, fut précédée le samedi 29 septembre 2012, d’un discours officiel du Grand Maître du G.P.D.G., Bruno Abardenti, dans lequel il vint à soutenir, « que seul le « dogme » défini par les conciles de l’Église, était « intangible », mais pas la « doctrine » initiatique de l’Ordre sur lequel il prétendait exercer une autorité, en l’occurrence le Régime Écossais Rectifié ! Il déclarait ainsi, du haut de sa tribune, et dans le cadre d’une enceinte maçonnique, ce qui paraît invraisemblable tant ces paroles relèvent du dogmatisme sectaire plaçant l’Église à un degré d’autorité supérieur à celui des voies initiatiques : « C’est le dogme qui est intangible, pas la doctrine […] Nous restons… sentinelles des défaillances oublieuses des vérités religieuses… Sans la présence du Christ en nous, à travers ses sacrements, nos prières à termes nous feront tomber dans l’illusion…[l’homme] n’est nullement au-delà des lois de l’Eglise .» [8]

Comme l’écrit Jean-Marc Vivenza : « Qu’un Grand Maître d’une structure maçonnique française, et non n’importe laquelle puisqu’il s’agissait du Grand Prieuré des Gaules issu du réveil de l’Ordre en 1935, en lien avec des Obédiences qui se déclarent « adogmatiques », puisse affirmer lors d’un discours officiel, qui plus est imprimé dans la revue de son organisation, que seul le « dogme », défini par les conciles, a autorité sur l’enseignement d’un système maçonnique dont il a la charge et que par ailleurs, les « sacrements de l’Église » nous garantissent de la prétendue « illusion » que constitueraient les méthodes préconisées par les voies initiatiques, en particulier la « prière intérieure », ce à quoi se rajoute l’insistance sur le fait que, selon lui, « nul n’est au-delà des lois de l’Église », est absolument stupéfiant ! » [9]

Dès lors s’imposait une évidence : « il n’était plus possible de demeurer à l’intérieur d’une structure à ce point devenue étrangère aux fondements doctrinaux et initiatiques qui avaient été à la source de sa constitution au XVIIIe siècle, et dont la « mutation », pour ne pas dire la « déviance » opérée lors de la décennie 1990-2000, en une structure multi-ritualiste se revendiquant ostensiblement « chrétienne », pratiquant des Rites qualifiés désormais de « constitutifs » du G.P.D.G., le tout encadré par une Aumônerie, avait totalement transformé la nature. Une décision s’imposait en conséquence, si l’on voulait sauver, avant qu’il ne soit trop tard, ce qui subsistait de la transmission de Camille Savoire, et revenir aux principes posés en 1935 lors de la constitution du Grand Directoire des Gaules. » [10]

–  Acte III –

 

« Pour la maçonnerie rectifiée, il faut que l’impétrant confesse […]

la résurrection des morts (ce qui exclut les vivenzarques).

Ceci est ma conception propre qui revendique d’être intégriste. »

 

Le livre publié à cette période par Jean-Marc Vivenza sous le titre « La doctrine de la réintégration des êtres », (La Pierre Philosophale, 2012), de manière à permettre aux esprits soucieux de ces sujets d’approfondir les questions relatives à la doctrine du Régime Écossais Rectifié, était « critiqué, sur un espace internet animé par un des plus fervents zélateurs du Grand Aumônier du G.P.D.G., se désignant comme un « martinésiste chrétien », ceci avant même d’être publié, et alors que personne ne savait encore de quoi il était fait, et surtout ce qu’on allait lire exactement dans ses pages, au prétexte qu’il relevait de « vues personnelles », participant d’une « analyse non objective et partisane […] enfermée dans un courant de pensée particulier », témoignant, soi-disant, de « l’aspect limité de l’étude et la rigidité dogmatique de l’approche de son auteur », et qu’il manifestait un « penchant hégémonique, relayé par une forme de propagande, enfermant l’esprit des frères dans un mode de pensée unique et dogmatique bien éloigné par nature de l’approche initiatique» » (Cf. Esh494, « Une bien curieuse mise en garde », 21 octobre 2012).  […] Pour faire bonne mesure, et sans doute pour être dans la continuité de l’entreprise missionnaire qu’il déclarait être devenue sienne –  « Pour moi, la franc-maçonnerie est devenue une terre de mission et je ne vois pas au nom de quoi je devrais la laisser de côté » (Cf. J.-F. Var, Propos recueillis par Anne Ducrocq, in « l’Actualité des Religions », février 2001, n° 24) -, le Grand Aumônier, après plusieurs mois d’une intense agitation en forme de « croisade » sur les réseaux sociaux, blogs et forums, qui se revendiquait d’une conception propre « intégriste » de la Foi chrétienne, allait inventer une nouvelle entrée au dictionnaire des hérésies, en désignant ceux désireux de rester fidèles à la doctrine du Régime rectifié comme étant des « vivenzaques » (sic !) : « Pour la maçonnerie rectifiée, il faut et il suffit que l’impétrant confesse […] la résurrection des morts (ce qui exclut les vivenzarques). Ceci est ma conception propre qui revendique d’être intégriste. » (J.-F. Var, 6 février 2013). » [11]

La croisade entreprise, dévoilait non seulement la nature de cette « Grande Aumônerie », mais également étaient mis au grand jour, son but et son rôle, soit la chasse aux sorcières vis-à-vis de ceux qui avaient l’outrecuidance de ne point se soumettre aux vues du Grand Aumônier, qui agissait dès lors, voyant ses positions contestées, et selon son expression, comme un authentique « ayatollah », s’agitant sur internet pour dénoncer « l’hérésie » qui, selon-lui, menaçait le G.P.D.G., en usant d’armes parfois assez peu reluisantes pour un clerc, faisant que « de nombreux espaces maçonniques, attirant des milliers de visiteurs qui souvent exprimaient leurs positions par des commentaires passionnés, se firent l’écho du conflit qui se déroulait au G.P.D.G., dont en particulier le site très suivi : « Hiram.be ». » [12]

Conclusion

Nous savons ce qu’il advint ensuite, inévitablement, puisqu’il s’imposait nécessairement, face à une telle situation, que soit sauvée la transmission de Camille Savoire, prise au piège par une instance dogmatique et sectaire, exerçant son action nocive par l’intermédiaire d’une structure qui était venue se greffer, tel un organisme parasitaire, sur le G.P.D.G., qu’il n’était plus possible en l’état de réformer.

C’est pourquoi, alors que pour d’autres motifs, au sein du G.P.I.F., de nombreux frères souhaitaient de même se séparer d’une juridiction sclérosée incapable d’opérer sa réforme, fut décidé le « réveil » du « Grand Directoire des Gaules » qui avait été mis en sommeil en septembre 1939, le G.P.D.G. qui lui avait succédé en 1946 n’ayant cessé, au cours des décennies, de s’éloigner de plus en plus des critères originels de l’Ordre.

Cette décision s’est effectuée le 15 décembre 2012 à Lyon, « pour sauver ce qui devait l’être avant qu’il ne soit trop tard », en engageant un « retour » aux bases fondatrices de la « Charte-constitutive » de 1935 – soit en substance : « Pratiquer le Rite Écossais Rectifié en conformité des statuts de l’Ordre […] et notamment de maintenir dans leur intégralité les décisions arrêtées aux divers Convents de Kohlo, en 1772, de Wilhelmsbad, en 1782, et des Gaules, en 1778 », qui n’étaient plus du tout respectés, et comme nous l’avons vu, singulièrement abandonnés, contredits, et même, puisque tel est bien le cas, ouvertement et profondément pervertis.

Notes.

1. 41ahSZefOOLOn notera que l’ex « Grand Aumônier des Ordres » du G.P.D.G., qui a vainement tenté de justifier la création d’une « Aumônerie » dans le cadre maçonnique, dont le but déclaré statutairement est « l’enseignement de la doctrine de la religion et de l’initiation chrétiennes » (Constitution du Grand Prieuré des Gaules, Livre VII, Titre 1), réitère maladroitement ses contrevérités dans le 2e tome de sa « Franc-maçonnerie à la lumière du Verbe» (Dervy, mars 2018, pp. 93-98) qu’il vient de faire paraître, ouvrage « disparate » d’après son auteur même, empli de contradictions et d’aussi erronées que laborieuses tentatives d’autojustification, feignant de confondre les dispositions de l’Ordre Intérieur du Régime rectifié et les modalités propres à la classe symbolique, témoignant, parmi bien d’autres signes, d’une tendance qui est devenue un mode de fonctionnement systématique, à tordre, modifier et corrompre l’esprit du Régime selon des critères personnels, dogmatiques, confessionnels et ecclésiaux.

2. J.-M. Vivenza, Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, La Pierre Philosophale, 2017, p. 330.

3. Ibid., p. 333. Est d’ailleurs expliqué en note [404] de cette page 333 de « l’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours », comment derrière la prétendue « orthodoxie » affichée et revendiquée au sein du G.P.D.G., le Grand Aumônier, et celui qui signait du pseudonyme de « Esh » sur les réseaux sociaux – ceci expliquant sans-doute pourquoi, en raison de leur compromission honteuse et inavouée avec des sources aussi peu glorieuses, les deux compères se refusent d’admettre la réalité de l’hétérodoxie des thèses de Martinès présentes également chez Willermoz et dans les Instructions du Régime Rectifié -, étaient en fait et demeurent l’un et l’autre, à la tête d’un petit groupe néo-coën dit « Ordre des élus coëns de Josué » relevant, pour sa filiation, d’une « transmission de Robert Ambelain, via l’O.M.S. et ses discutables, plus qu’occultistes et singulièrement « douteux » rameaux néo-coëns londoniens et brésiliens, transmission issue de la « Résurgence » de 1942, sur laquelle on a cru bon de s’appuyer pour conférer des grades et titulatures, dont celle de « Souverain », « Ordre » dit de « Josué», situé à la proximité immédiate […] de l’Aumônerie nationale et de son Grand Aumônier… » (Op.cit., Note, [404], p. 333).

4. Ibid., p. 334.

5. Ibid., p. 335-336.

6. Ibid., p. 339. La réaction du Grand Aumônier fut assez virulente comme on peut le constater : « Il s’agit d’une conception de la chair que toute la Tradition des Pères rejette (et qui peut influer négativement sur la conscience des Frères) et aussi, il me faut bien le dire, d’une conception ecclésiologique que je juge extrêmement dangereuse, elle aussi pour l’effet qu’elle peut avoir sur les Frères, qui peuvent en conclure qu’ils sont justifiés à se passer des sacrements. » (Cf. A Tribus Lilis, Vendredi 25 mai 2012).

7. Ibid., p. 343.

8. Ibid., p. 345. Le discours, de celui que l’ex Grand Aumônier dans son dernier ouvrage, oscillant entre flagornerie et aveu, reconnaît dans sa dédicace comme son « jumeau » (sic), ce qui en dit long sur l’identité des positions des deux promoteurs d’un G.P.D.G. soumis aux dogmes « intangibles » de l’Église, est accessible à cette source : Bruno Abardenti, Discours saint Michel 2012, Cahiers Verts n° 7, 2012, pp. 14-15.

9. Ibid., pp. 345-348.

10. Ibid., p. 349.

11. Ibid., p. 352.

 12. Ibid.

Histoire du Régime Écossais Rectifié

des origines à nos jours

Lumières et vérités, sur l’histoire, les origines, le but 

et l’état contemporain de l’Ordre

La Pierre Philosophale, 2017, 572 pages.

frise-fleurie

Articles en lien :

GLORIA MUNDI

Le Régime Écossais Rectifié

otage du sectarisme religieux dogmatique

*

A propos des filiations fantaisistes

au sein de la franc-maçonnerie rectifiée :

la « Grande Profession » du Grand Prieuré des Gaules

 

 

Entretien avec Jean-Marc Vivenza à propos de « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié »

In Codes de 1778, Convent des Gaules, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Ordre, Réforme de Lyon, Régime Ecossais Rectifié on 12 novembre 2017 at 16:08

Réduire le projet de Jean-Baptiste Willermoz, 

pensé, organisé et défini lors du Convent des Gaules en 1778,

à la caricature qui se donne à voir aujourd’hui dans la majorité des juridictions

obéissant aux critères de la franc-maçonnerie « andersonienne »,

est pour le moins  extrêmement affligeant.

À l’occasion de la publication de son dernier livre « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours » (La Pierre Philosophale, 2017), Jean-Marc Vivenza a accordé un « Entretien », mis en ligne sur le site des éditions « La Pierre Philosophale », que nous jugeons utile de reproduire afin de lui conférer une audience élargie, ceci dans la mesure où les points abordés dans les lignes qui suivent, touchent directement à la nature et à la vie du Régime rectifié, et notamment aux modes sous lesquels il est pratiqué en nos temps actuels, en étant souvent fort éloigné, pour le moins, des critères explicites définis dans les deux Codes, l’un pour la Classe symbolique, l’autre pour la Classe chevaleresque, entérinés lors du Convent des Gaules (1778).

Cette déviance constatée, pour ne pas parler de patente désorientation, ayant abouti en beaucoup d’endroits à des contrefaçons objectives indignes de porter le nom même de Rite Écossais Rectifié, endroits où l’on assiste à des libertés invraisemblables prises avec les principes de l’Ordre, fait donc de la publication de  « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours », non seulement le seul livre publié sur le sujet qui aborde de manière directe la situation contemporaine, mais un événement dont il convient de mesurer l’importance pour le devenir du système élaboré par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) au XVIIIe siècle.

En conséquence, cet ouvrage, sur lequel nous aurons sans doute l’occasion de revenir, en particulier pour mettre en lumière les questions qui y sont traitées touchant à la 3ème classe secrète dite de la « Profession », est tout à la fois un outil permettant de connaître l’Histoire du Régime écossais rectifié, et un guide pour sa pratique fidèle et authentique, dont ne saurait trop, et avec insistance, recommander la lecture.

Entretien avec Jean-Marc Vivenza

à l’occasion de la sortie de

« L’Histoire du Régime Écossais Rectifié

des origines à nos jours »

 

Vous aviez fait paraître en 2011, une « Histoire du Grand Prieuré des Gaules », en quoi ce nouveau livre qui sort en 2017, intitulé « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours », est-il différent ? 

Le livre que vous évoquez, publié en 2011, provenait d’une demande des autorités de l’obédience à l’intérieur de laquelle j’occupais alors des fonctions et charges au niveau national. « L’Histoire » de cette institution pourrait donc, rétrospectivement, être volontiers qualifiée « d’hagiographique » (« Histoire du Grand Prieuré des Gaules », Éditions du Simorgh, 2011, traduit en castillan par Ramon Marti sous le titre : « Historia del Gran Priorato de las Galias »,  Ediciones del Arte Real, masonica.es, 2014), car elle était assez peu conforme, il faut bien l’avouer, avec la réalité des faits, non que ces derniers aient été totalement travestis mais disons, soit volontairement passés sous silence, soit pudiquement signalés, voire, en bien des endroits et notamment pour la partie touchant à l’histoire contemporaine de l’Ordre, habillement « arrangés » pour être mis en conformité avec les nouvelles « orientations », devenues avec le temps dominantes, du Grand Prieuré des Gaules.

Ce livre avait donc surtout pour objet de faire connaître, en interne et dans un milieu relativement restreint puisque l’ouvrage ne fut pas véritablement diffusé auprès du grand public, les différents événements qui jalonnèrent le parcours de l’instance héritière du « réveil » du Régime rectifié au XXe siècle, en une période où j’espérais en œuvrant – ceci expliquant la raison d’une présentation peu objective à laquelle on évitera évidement à présent de prêter un crédit excessif -, afin que surgisse une éventuelle possibilité de retour aux critères willermoziens du G.P.D.G. Cette possibilité s’étant d’ailleurs avérée très vite impossible, après de multiples initiatives en ce sens,  il nous a fallu en prendre acte, et surtout en tirer les conséquences qui s’imposaient.

Qu’est-ce qu’apporte donc comme éléments novateurs ce livre, « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours »,  alors que plusieurs ouvrages, depuis plusieurs années, ont été publiés sur le sujet.

Certes, vous avez raison de le souligner, d’excellents ouvrages et de nombreuses publications, dans un souci louable de servir la connaissance du Rite Écossais Rectifié, son développement et les éléments caractéristiques de son réveil au XXe siècle, en ont, peu à peu, éclairé la réalité historique tout en faisant état de ses principaux événements, ce qui est une aide précieuse pour les chercheurs, érudits, ainsi que pour ceux qui cheminent en ces domaines, et tout particulièrement les initiés souhaitant posséder les lumières indispensables à la connaissance du Rite auquel ils travaillent [1]. Mais si ces ouvrages possèdent de grandes qualités, aucun d’entre eux ne porte sur le système établi à Lyon lors du « Convent des Gaules » (1778), en tant qu’institution originale et spécifique dans sa « continuité » à partir du réveil de 1935, et de ceux qui succédèrent à Camille Savoire (1869-1951) à la tête de l’instance du réveil.

Et c’est pourtant cette « continuité » qui seule explique, et permet de mieux comprendre la nature propre de la structure édifiée, par étapes successives, en tant qu’Ordre et Régime, l’un n’allant pas sans l’autre, en France par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), qui n’avait jamais été établie, ce que ce livre propose, d’autant plus en s’appuyant sur des documents inédits, inaccessibles, et pour cause, pour la majorité d’entre eux, puisque placés dans les archives des institutions initiatiques qui ne sont pas ouvertes, évidemment, aux chercheurs profanes.

C’est en conséquence ces sources qui font défaut à l’ensemble des ouvrages contemporains disponibles traitant du Régime rectifié, expliquant pourquoi il nous a donc semblé nécessaire, de sorte que tous ceux intéressés par ce que représente et incarne le Régime Écossais Rectifié – précisément en tant « qu’Ordre » au sein de la franc-maçonnerie française et internationale -, puissent y trouver des réponses à leurs légitimes interrogations, d’effectuer une présentation relativement détaillée des différentes périodes qui structurent son histoire, depuis la constitution des Directoires de la Stricte Observance en France entre 1773 et 1774, en passant par la réforme du Régime en 1778 lors du Convent des Gaules, entérinée et adoptée au Convent de Wilhelmsbad en 1782 sous la conduite magistrale de celui qui fut à la fois l’âme et l’organisateur incomparable de cette exceptionnelle entreprise spirituelle et initiatique, à savoir Jean-Baptiste Willermoz, ceci jusqu’au retour en France en 1910 du Régime, puis son réveil complet en 1935, en s’arrêtant attentivement sur les divers temps du rayonnement d’une transmission dont l’originalité rare et le caractère spécifique sont incontestables et, à bien des égards, absolument sans équivalent en Occident.

Le Régime Écossais Rectifié, est donc pour vous un « Ordre » plus qu’un « Rite , cette précision conduit à quelle conséquence principale d’après vous ?

La notion « d’Ordre », est intrinsèquement liée à la nature du Régime Écossais Rectifié, le nom même de « Régime », et non de « Rite », désignant d’ailleurs, il n’est pas inutile d’y insister une fois encore, une structure organique autonome, indépendante et complète, articulée entre trois classes distinctes mais absolument indissociables et imbriquées les unes avec les autres  (1ère classe « symbolique », 2ème classe « chevaleresque », 3ème classe « secrète »), structure organique qui fut la colonne ordonnatrice, le projet propre, et la ligne directrice de l’ensemble de l’œuvre willermozienne.

Réduire ce projet, extraordinaire à bien des égards, pensé, organisé et défini lors du Convent des Gaules en 1778, à la triste caricature qui se donne à voir aujourd’hui dans la majorité des juridictions obéissant aux critères de la franc-maçonnerie « andersonienne », est pour le moins  extrêmement affligeant. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, lorsqu’on veut bien conserver en mémoire que l’intention de Jean-Baptiste Willermoz au XVIIIe siècle, fut, précisément, de réformer, ou plus exactement de « rectifier », cette dite franc-maçonnerie « andersonienne », considérée à ses yeux tout simplement comme « apocryphe », et de s’en libérer pour retrouver, selon son expression, un « centre commun » authentique, car non oublieux de l’origine véritable et des buts de « l’Ordre primitif, essentiel et fondamental ».

La notion « d’Ordre » est, comme vous l’exposez longuement dans votre livre, intimement liée à la notion de « doctrine », pourquoi cette insistance ?

Le premier constat qui vient d’être rappelé, c’est-à-dire celui portant sur l’éloignement qui est advenu d’avec les lois organisatrices du Régime en tant « qu’Ordre autonome », se double d’un second, non moins important, voire beaucoup plus, et qui découle d’ailleurs du premier dans la mesure où il en est la conséquence quasi logique : l’essence de la rectification, outre un Rite original et une pratique spécifique s’exerçant en quatre grades formant la classe symbolique et un Ordre intérieur d’essence chevaleresque distingué en un état probatoire (« Écuyer Novice ») et le grade de « Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte » (C.B.C.S.), possède une « doctrine », c’est-à-dire, pour être clair, un « enseignement » spécifique qui le définit et le qualifie sur le plan spirituel, ce qui est un cas tout à fait original et unique au sein de la franc-maçonnerie universelle.

Il convient d’ailleurs d’insister sur le fait que cet aspect doctrinal, singulièrement précis, du « Régime » rectifié, confère au système willermozien une originalité à nulle autre pareille en le distinguant entièrement des autres « Rites » dépourvus de cet enseignement de nature illuministe et théosophique, ce qui n’est pas sans provoquer, souvent, de nombreuses incompréhensions.

Cependant, si l’on se dit maçon rectifié et qu’on souhaite le rester – ce qui n’est imposé à personne et relève du libre-arbitre de chacun –, il convient, au minimum, de respecter cette doctrine, et au mieux y adhérer, et non chercher, pour d’obscurs motifs, à la « transformer », « l’amender », la « modifier », la « contredire », « l’enrichir » ou la « corriger », doctrine, par ailleurs, dont chaque membre a le devoir impératif, de par ses serments, d’être le gardien et le vigilant protecteur. [2]

Mais n’est-il pas possible de s’autoriser avec l’évolution du temps des libertés vis-à-vis de cet enseignement, qui heurte la sensibilité religieuse de certains, puisqu’il contient, ainsi que vous l’avez démontré dans un précédent ouvrage qui eu un certain écho lors de sa publication : « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale, 2012), des propositions que l’Église, toutes confessions confondues, regarde comme des « hérésies » ?

Sur ce sujet, la réponse est non de façon catégorique !

La pensée de Jean-Baptiste Willermoz, puisqu’il le voulut et fit en sorte que cela soit, n’est pas négociable, adaptable ou modifiable. Elle est un héritage vénérable, dont le Régime rectifié possède, et lui seul, le dépôt et la mission de conservation, « sainte doctrine de Moïse » selon l’expression choisie par le patriarche lyonnais, qui est dite être « parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous », dont l’Ordre est le dépositaire, et sans laquelle il est réduit à ne plus être qu’une coquille vide de sens, une structure dénuée de ses fondements essentiels, se changeant en une caricature de lui-même dépourvue de toute authenticité.

Jean-Baptiste Willermoz souligne à ce propos, dans les Instructions destinées à la dernière Classe non-ostensible du Régime : « La doctrine ne permet pas d’en douter ; et en effet, le principal but de l’initiation fut toujours d’instruire les hommes, sur les mystères de la religion et de la science primitive, et de les préserver de l’abandon total qu’ils feraient de leurs facultés spirituelles, aux influences des êtres corporels et inférieurs. Les Initiations devaient donc être le refuge de la Vérité, puisqu’elle pouvait s’y former des Temples dans le cœur de ceux qui savaient l’apprécier et lui rendre hommage. » [3]

Or cette « Vérité », fut oubliée par l’Église à partir du VIe siècle, ainsi qu’y insiste Jean-Baptiste Willermoz, au point que ce qui avait été connu et professé comme connaissances lors des premiers siècles du christianisme, a été ensuite considéré comme étant des erreurs condamnables, c’est-à-dire, selon la terminologie ecclésiale, des « hérésies » : « Toutes ces choses […] ont été parfaitement connues des Chefs de l’Eglise pendant les quatre ou six premiers siècles du christianisme. Mais, depuis lors, elles se sont successivement perdues et effacées à un tel point qu’aujourd’hui […] les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité. » [4]

Ce sujet relève donc d’une question importante que l’on peut, à bon droit, désigner comme relevant d’un enjeu fondamental qui a pour objet : la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine, puisque le Régime Écossais Rectifié, détenteur et conservateur de l’enseignement transmis par Martinès de Pasqually (+ 1774), participe de l’expression la plus aboutie du courant « illuministe » français au XVIIIe siècle, et des thèses qui le fondaient en son essence.

À vous lire, il existe donc comme éventuellement réalisable dans nos temps présents, un retour vécu et mis en pratique, concrètement, aux fondements des connaissances perdues, oubliées ou combattues, de l’illuminisme du XVIIIe siècle, dont votre livre consacré à l’histoire du Régime rectifié, se veut le témoignage, et en quelque sorte le guide pratique ?

Joseph de Maistre (1753-1821), qui fut membre en Savoie de la loge « La Sincérité », qui rejoignit la Réforme de Lyon en septembre 1778, nous renseigne sur ce qu’étaient les « illuminés » au XVIIIe siècle.

Je pense que la description que le comte chambérien nous a laissée, peut parfaitement s’appliquer à ce qu’il nous est demandé de poursuivre comme « voie » spirituelle et initiatique, de conserver comme « mystères » et d’approfondir en tant que « connaissances » supérieures, et surtout de vivre, dans la Foi, l’Espérance et la Charité, au sein de notre cheminement vers le « Temple de la Vérité ».

Lisons attentivement, chaque mot a son importance : «Je ne dis pas que tout illuminé soit franc-maçon : je dis seulement que tous ceux que j’ai connus, en Œuvres surtout, l’étaient ; leur dogme fondamental est que le christianisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est qu’une véritable loge bleue faite pour le vulgaire ; mais qu’il dépend de l’homme de désir de s’élever de grade en grade jusqu’aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens qui étaient de véritables initiés. C’est ce que certains Allemands ont appelé le christianisme transcendantal […] Les connaissances surnaturelles sont le grand but de leurs travaux et de leurs espérances ; ils ne doutent point qu’il ne soit possible à l’homme de se mettre en communication avec le monde spirituel, d’avoir un commerce avec les esprits et de découvrir ainsi les plus rares mystères…» [5]

Si ce livre, pouvait en conséquence, faire en sorte, que le « christianisme transcendant » dont parle Joseph de Maistre, caractérisant le Régime Écossais Rectifié depuis son origine, étranger à toute forme de dogmatisme ecclésial, soit vécu réellement, et donne d’accéder aux âmes de désir qui se sentent attirées et portées vers ce système initiatique, « aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens», alors, incontestablement, nous aurions atteint notre « objet », et répondu à la mission propre que s’est fixé l’Ordre, ce qui est son projet le plus sacré depuis sa fondation : le retour de chaque « mineur spirituel » à son origine divine.

Notes.

1. Citons en particulier, pour son incontestable intérêt documentaire, l’ouvrage incontournable de René Le Forestier : La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, Aubier-Montaigne, 1970 (préfacé par Antoine Faivre), réédition Arche, 2003.

2. On sera attentif au fait – montrant qu’il ne s’agit pas de ma part d’une extrapolation personnelle, d’une interprétation subjective, ou d’une rigidité issue d’un « willermozisme » excessif -, que le critère doctrinal s’impose dès l’entrée dans l’Ordre, puisque le Frère Préparateur, qui a pour fonction d’instruire les candidats des conditions requises pour qu’ils soient acceptés, déclare à l’impétrant, après lui avoir dévoilé les « trois questions d’Ordre » en chambre de préparation : « L’Ordre, ne devant pas accueillir des individus qui auraient une doctrine opposée à celle qu’il regarde comme sa règle fondamentale, a dû, relativement à ceux qui désirent d’y être admis, établir des formes certaines pour connaître leurs vrais sentiments, et leur conformité avec ses lois, afin d’éloigner de ses assemblées tout prétexte de dispute ou d’opposition d’opinions tendant à détruire la charité, la fraternité et l’union qui doivent y régner essentiellement […] Ainsi, Monsieur, ces questions ne sont présentées aux candidats qu’afin de connaître, par leurs réponses, s’ils sont dignes d’entrer dans l’Ordre, et pour leur faire entrevoir son véritable but et le terme des travaux particuliers imposés à chaque maçon.» Suite à cette mise en garde plus qu’explicite, le Frère Préparateur peut lire dans le rituel les lignes qui sont rédigées à son attention : « Si les réponses du candidat sont conformes à la doctrine de l’Ordre, le Frère Préparateur l’exhortera à y persévérer, et il les fera connaître sommairement à la loge lorsqu’il y fera son rapport.» (Cf. Rituel du grade d’Apprenti, 1802). Bien évidemment, tout ce discours, n’a de sens, qu’au sein des structures à l’intérieur desquelles est connue et conservée cette « doctrine » de l’Ordre, faute de quoi les cérémonies se réduisent à n’être qu’une mise en scène factice, un théâtre, où sont récités mécaniquement des textes incompris, vide de sens et dénués de véritable portée initiatique.

3. Instruction des Chevaliers Profès, 1778.

4. Lettre de Willermoz à Saltzmann, du 3 au 12 mai 1812, inRenaissance Traditionnelle, n° 147-148, 2006, pp. 202-203.

5. J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg: XIe Entretien, 1821.

 

Histoire du Régime Écossais Rectifié

des origines à nos jours

Lumières et vérités, sur l’histoire, les origines, le but 

et l’état contemporain de l’Ordre

La Pierre Philosophale, 2017, 572 pages.

 

La Très Sainte Trinité et le Régime Écossais Rectifié

In Christianisme, Doctrine, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Jean-Baptiste Willermoz, Philosophie, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration, Théologie, Théosophie on 6 novembre 2016 at 17:41

sainte-trinite-2

L’Unité divine est désignée dans les rituels du Régime rectifié,

par ses facultés créatrices de

« Pensée »,« Volonté » et « Action »,

facultés adorées sous les Noms de « Père », « Fils » et « Saint Esprit ».

La question de la « Trinité » au sein du Régime rectifié, occupe une place centrale, pour ne pas dire fondamentale, puisque, comme il est connu, le système fondé par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) lors du Convent des Gaules (1778) à Lyon, se situe clairement, dans une affirmation trinitaire explicite dont l’adhésion est même une condition impérative pour en être membre, les travaux de l’Ordre intérieur étant placés sous les auspices du « Père, du Fils et du Saint-Esprit qui sont trois en Un ».

Mais avant que de s’imposer de façon si claire dans le système initiatique qui réforma la Stricte Observance, il aura fallu que Willermoz corrige la position de Martinès de Pasqually (+ 1774), qui ne se contentait pas de dire que l’essence divine est « quaternaire », ou plus exactement « quatriple », mais surtout se refusait d’admettre une distinction de trois personnes au sein de Dieu, ce qui apparente la conception martinésienne à du « modalisme », hérésie qui posait la seule réalité unique de Dieu en refusant toute distinction en son sein de trois personnes différentes.

a) Position non-trinitaire de Martinès de Pasqually

Martinès en effet, semble n’avoir jamais pénétré le mystère trinitaire et même s’en scandalise : « Il nous a été enseigné (sic), écrit Martinès, que Dieu était en trois personnes, et cela parce que le Créateur a opéré trois actions divines et distinctes l’une de l’autre en faveur des trois mineurs (…) Ces trois personnes ne sont en Dieu que relativement à leurs opérations divines et l’on ne peut les concevoir autrement sans dégrader la Divinité, qui est indivisible et qui ne peut être susceptible, d’aucune façon, d’avoir en elle différentes personnalités distinctes les unes des autres. S’il était possible d’admettre dans le Créateur des personnalités distinctes, il faudrait alors en admettre quatre au lieu de trois, relativement à la quatriple essence divine (…). C’est par là que nous concevons l’impossibilité qu’il y a que le Créateur soit divisé en trois natures personnelles.» (Traité, 182).

La position ici soutenue relève de l’unitarisme (voyant dans la Trinité trois modalités d’expression : Pensée, Volonté, Action et se refusant à la distinction des Personnes), que Willermoz ne pouvait admettre.

Résumant les erreurs de Martinès de Pasqually, Robert Amadou (+ 2006) écrivait donc : « Martines n’admet pas le dogme de la Trinité, car Dieu est un et son essence quaternaire. Lorsqu’il nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce sont pour lui trois fonctions en trois facultés – respectivement l’intention, la pensée et l’action -, non point des hypostases (pour utiliser le synonyme technique de Personnes ). Il personnifie les trois fonctions de la Divinité, mais en catégories et en termes d’angélologie, la démarche est typique du judéo-christianisme […] Le dogme de la Sainte Trinité, tel que les conciles oecuméniques l’ont défini, de même que celui de l’Incarnation, Martines n’en a pas connaissance. » [1]

b) Examen de la question de la Trinité

Cette difficulté importante, a fait l’objet d’une analyse développée dans « Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié », livre publié par Jean-Marc Vivenza en 2010, dans un appendice intitulé : «La Sainte et Indivisible Trinité »,  auquel il est utile de se référer lorsqu’on veut aborder sérieusement ce sujet complexe.

Voici ce que l’on apprend, et ce qui est exposé dans cette analyse :

 « Dans un passage de son Traité, Martinès écrivit parlant de Dieu : « S’il était possible d’admettre dans le Créateur des personnalités distinctes, il faudrait alors en admettre quatre au lieu de trois, relativement à la quatriple essence divine qui doit vous être connue… » (Traité, § 182) Un tel discours, qui semble surgir de l’hérésie modaliste, était évidemment difficilement recevable par Jean-Baptiste Willermoz, et il n’est pas surprenant que souhaitant corriger Martinès, c’est en premier lieu sur sa conception trinitaire qu’il fit porter ses immédiats et principaux efforts, afin de ramener la doctrine de la Réintégration à une conformité théologique exempte de toute trace d’hétérodoxie. Il réalisera ce projet, dès l’ouverture des Leçons de Lyon – attitude qui laisse supposer une certaine détermination et réflexion antérieure longuement mûrie – soulignant : « Le tableau des trois facultés puissantes innées dans le Créateur nous donne en même temps une idée du mystère incompréhensible de la Trinité : la pensée donnée au Père, 1, le verbe ou l’intention attribuée au Fils, 2, et l’opération attribuée à l’Esprit, 3. Comme la volonté suit la pensée et de la volonté, de même le verbe procède de la pensée et l’opération procède de la pensée et du verbe dont l’addition mystérieuse de ces trois nombres donne également le nombre sénaire, principe de toute création temporelle. Vous reconnaissez par cet examen trois facultés réellement distinctes, et procédant les unes des autres, et produisant des résultats différents, et cependant toutes réunies dans le seul et même Etre unique et indivisible. »  (Leçons de Lyon n° 1, 7 janvier 1774, W). » [2]

Jean-Marc Vivenza souligne ensuite :

« Ces précisions de Willermoz, de la plus haute importance, ont non seulement pour vertu de faire passer la doctrine martinésienne du quaternaire au trinitaire, mais, de plus, de repréciser avec beaucoup de rigueur la place fondamentale des Personnes, Père, Fils et Esprit au sein de la Sainte Trinité. Cette initiative, chez Willermoz, n’est pas simplement l’expression d’un souci de ne point s’écarter de la foi catholique, elle répondait à une conscience de la signification propre du dogme de la Trinité dans le cadre de l’économie spirituelle qui doit s’opérer en chaque âme, puisque, si nous sommes tous appelés, en tant qu’enfants de Dieu, à devenir participants de la nature divine (II Pierre 1 ,4), encore faut-il que nous nous conformions, sur notre chemin de divinisation, à la structure intime authentique de cette divinité en nous laissant emplir de la grâce trinitaire, nous préparant à pouvoir contempler un jour, face à face, l’éternelle circulation de l’énergie d’amour au sein de la circumincession des hypostases. »  [3]

c) La conception trinitaire est intrinsèque au christianisme

Suit alors, un examen détaillé de la présence de la conception trinitaire depuis les premiers siècles du christianisme, montrant que l’affirmation de la Sainte Trinité traverse toute la Révélation évangélique, et s’exprime dès la mise en mort du premier martyr de la foi, Etienne, rapportée en ces termes par les Actes des Apôtres : « Rempli du Saint-Esprit et fixant les yeux vers le ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Et il dit : « Voici, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu’’. » (Actes 7, 55-56), puis est réaffirmée avec une force particulière par l’apôtre Paul qui mentionne les trois Personnes de la Trinité dans sa célèbre formule de bénédiction aux Corinthiens que conserve l’Eglise dans sa liturgie : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père, et la communion du Saint Esprit, soient toujours avec vous » (2 Corinthiens 13, 13), suivit identiquement par Pierre lorsqu’il dira, s’adressant pour les saluer aux chrétiens de la dispersion du Pont de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bythinie qui séjournaient parmi les nations : « A ceux qui ont été choisis…., selon la prescience de Dieu le Père, pour être sanctifiés par le Saint Esprit…., et pour être arrosés du sang de Jésus-Christ. » (I Pierre 1, 1-2).

Comme on le constate, le Père, le Fils et l’Esprit, selon la révélation chrétienne, agissent et « opèrent » ensemble dans l’unité tripartite d’un seul Dieu en trois Personnes.

Le regard attentif porté sur le temps qui va séparer l’expression trinitaire des premiers siècles du christianisme, jusqu’à la proclamation de la Foi en la Sainte Trinité, lors du concile de Nicée (325), est l’objet de nombreuses pages circonstanciées, qui aboutissent à cette conclusion : « Certes, on a put parler, pour récuser l’autorité des premiers Conciles, d’une imprécision théologique générale au sujet du dogme de la Trinité chez les Pères anténicéens, Robert Amadou affirmera même : « Aucune thèse christologique est hérétique avant le concile de Nicée en 325. Avant comme après, différentes théologies sont habilitées à rendre compte d’un même dogme chrétien. » (Préface aux Leçons de Lyon, op. cit., p. 23). Les arguments présentés ne manquent donc jamais de nous indiquer, avec une singulière insistance, l’existence de nombreuses communautés de sensibilité judéo-chrétienne en marge du christianisme officiel s’étant perpétuées à travers les siècles en proposant une interprétation originale de la Révélation […].Ainsi, sont convoqués à l’appui de cette thèse soutenant l’existence d’une théologie aux multiples formulations au sein du christianisme anté-nicéen, les Ebionites,  juifs venus au Christ en le regardant uniquement comme le plus grand des prophètes mais refusant de le considérer comme le Fils de Dieu, les Elkasaïtes proches des Ebionites mais qui se distinguaient par un fort rejet de l’apôtre Paul, soutenant la réalité de multiples « incarnations » du Sauveur sous divers visages à travers l’Histoire, les Nazaréens ayant conservé, malgré leur passage au christianisme, les observances juives (sabbat et circoncision), les Zélotes messianiques chrétiens attendant et travaillant à hâter l’avènement de la Parousie finale qui instaurera pour toujours le Royaume de Dieu sur la terre, les Carpocratiens qui soutenaient que la Création était l’œuvre d’anges inférieurs, l’Eternel ayant délégué, selon eux, son autorités à des esprits intermédiaires pour que fût constitué le monde… » [4]

d) Impossibilité d’une théologie séparée au sujet de la Trinité

Toutefois, ce qui apparaît, c’est que l’idée qu’il ait pu exister des courants non trinitaires chrétiens, ne résiste pas à l’épreuve des faits : « Cette idée, d’une théologie séparée quasi « indépendante » prenant divers visages au sein du christianisme naissant, pour généreuse qu’elle soit, reçoit néanmoins son démenti catégorique lorsque l’on examine sérieusement les textes des docteurs de la foi des premiers siècles, textes traçant une frontière nette entre l’orthodoxie et l’hérésie. Chez Justin, chef du didascalée de Rome, saint et martyr, chez Théophile (IIe), précisément évêque d’Antioche et saint, chez Athénagore (IIe), nous retrouvons la même foi, l’affirmation d’une identique croyance trinitaire. D’ailleurs, soulignera Jules Lebreton dans sa monumentale étude portant sur l’histoire du dogme trinitaire : « Les œuvres de ces trois écrivains [Justin, Théophile et Athénagore], manifestent une foi sincère ; on peut dire (…) que leurs déclarations suffisent à faire connaître le dogme de la Trinité et à renverser l’hérésie d’Arius et celle de Sabellius. Chez eux comme chez tous les autres anténicéens qui appartiennent à l’Eglise, on voit affirmer et l’unité de Dieu et la Trinité des personnes et la véritable génération du Fils, qui n’est pas une créature du Père, mais qui est né de sa propre substance. Ce dogme capital qui est le fondement de la foi de Nicée ; les docteurs anténicéens le confessent unanimement. » (J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, vol. II, Beauchesne, 1928, p. XIX). » [5]

e) Conception trinitaire augustinienne de Willermoz

Mais ce qui est passionnant pour notre sujet, et relève d’un intérêt majeur pour ceux qui participent du cheminement du Régime rectifié, c’est de s’apercevoir, par ce que nous révèle Vivenza, que Willermoz, a puisé chez saint Augustin : « En effet, saint Augustin […] va établir une pertinente correspondance entre la Trinité et les trois facultés propres de l’âme humaine : la mémoire, l’intelligence et la volonté. Cette comparaison, qui va jouer un si grand rôle dans le discours théologique occidental au cours des siècles, inspirant les plus grands docteurs et engageant une approche du mystère divin à partir d’une anthropologie extrêmement poussée et subtile, sera intégralement reprise, il n’est pas négligeable de le noter pour notre sujet, par Jean-Baptiste Willermoz lors de l’élaboration de son système initiatique, qui en fera un élément majeurs de la doctrine de la Grande Profession, s’appuyant, entièrement, sur la conception augustinienne pour développer sa théorie de la dégradation des facultés qu’il avait antérieurement trouvée, mais de façon embryonnaire, chez Martinès de Pasqually. » [6]

Conclusion : la « Triple essence de l’unité »

Vivenza nous montre, en conclusion de son étude, que pour Willermoz les puissances actives par lesquelles l’Unité divine se manifeste et sont ainsi désignées dans les rituels du Régime rectifié, sont bien ses facultés créatrices de Pensée, Volonté et Action, adorées sous les Noms de Père, de Fils et de Saint Esprit, ceci nous éloignant totalement du modalisme de Martinès de Pasqually, et de sa conception trinitaire erronée, qui considérait que la « quatriple essence » (ou « quadruple« ), aboutit à « l’impossibilité que le Créateur soit divisé en trois natures personnelles », puisque pour Martinès les « quatre cercles d’esprits » dont est formé le monde surcéleste, « savoir l’esprit divin 10, l’esprit majeur 7, l’esprit inférieur 3 et l’esprit mineur 4″ (Traité,  182), est en fait la formalisation concrète de l’immensité divine : « … ce sont ces quatre cercles qui sont le véritable type de la quatriple essence divine. » (Traité, 224).

Ainsi, pour mieux nous faire comprendre ce qui distingue la conception modaliste martinésienne de la conception trinitaire willermozienne propre au Régime rectifié et qui lui est devenue intrinsèque et en fonde toute la perspective initiatique, Vivenza reproduit l’exposé que Willermoz fit concernant ce sujet, montrant d’ailleurs, contrairement à ce qui se dit beaucoup trop rapidement, que le patriarche lyonnais possédait une capacité d’approfondissement de la doctrine spirituelle d’une rare subtilité :

Doctrine de Moïse, Doctrine,

Instruction particulière & secrète à mon fils

 « Nous disons une Triple essence de l’unité, et non pas trois essences isolées et indépendantes de l’unité, car elles ne sont pas trois Dieux. Les trois Puissances créatrices de l’unité forment dans l’immensité incréée, l’Eternel Triangle Divin, dont elles sont le principe et le centre. Elles sont tellement inhérentes à la nature essentielle de l’unité, et tellement identiques avec elle, que quoique toujours distinctes par leur action particulière, elles forment ensemble avec l’Unité un seul Dieu. (…) Les puissances actives par lesquelles l’Unité divine se manifeste et opère toutes choses, sont ses trois propres facultés créatrices de Pensée ou d’intention, de Volonté et d’Action divine opérante, que nous personnifions et adorons sous les Noms de Père, de Fils et de Saint Esprit ; elles forment le sacré Ternaire de ces puissances créatrices que nous nommons la Très Sainte Trinité : mystère ineffable dont l’homme dégradé ne peut plus sonder toute la profondeur, mais dont la connaissance est si importante pour lui qu’afin qu’il ne la perde pas et qu’il puisse concevoir ce grand mystère, Dieu l’a gravé en caractères indélébiles sur son Être, comme sur la Nature entière, et la rendre en quelque sorte sensible à son intelligence en imprimant sur l’homme même, qui malgré sa dégradation reste toujours son image, une trinité de facultés actives et intelligentes de Pensée de Volonté et d’Action, en similitude de la Trinité Divine, par lesquelles il peut, ainsi que Dieu, produire des résultats analogues à sa propre nature, et sans lesquelles il serait à l’égard de tous les êtres qui l’environnent comme nul et non existant. Mais en Dieu, ces trois facultés puissantes sont égales en tout, et opèrent de toute éternité leur action particulière simultanément, quoique dans un ordre distinct, pour tous les actes d’Emanation, de Production, et de Création divine, auxquels elles concourent toutes trois également et distinctement, mais toujours en unité d’action, parce que Dieu étant l’Être de sagesse et de perfection infinie, la Volonté divine veut toujours ce que la Pensée divine a conçu, et ce que la Volonté a déterminé. Car il est certain que Dieu pense, veut et agit, et que ces trois facultés de l’unité divine produisent nécessairement des résultats de Vie spirituelle analogues à sa propre nature, Ainsi, on ne peut concevoir trois en Dieu, sans y reconnaître en même temps quatre : savoir : les trois puissances créatrices opérantes, et les Êtres spirituels émanés dont l’existence, hors du sein de l’unité, est opérée par elles.C’est donc bien avec raison que la religion présente sans cesse à l’homme les trois puissances divines créatrices, comme étant l’objet constant de son culte et de son adoration ; car la Pensée divine est vraiment Dieu, en Dieu et de Dieu. La Volonté divine et son Action opérante sont aussi chacune vraiment Dieu, en Dieu et de Dieu, ces trois puissantes facultés innées en Dieu, sont tellement identiques avec sa nature essentielle, que sans elles, Dieu ne serait pas Dieu ; comme aussi sans elles, ou pour mieux dire, sans leur similitude, l’homme, image de Dieu, ne serait pas homme. » [7]

*

L’Apprenti du Régime écossais rectifié apprendra donc :

« L’Orient maçonnique signifie la source et le principe de la lumière que cherche le Maçon. Elle vous a été représentée par le chandelier à trois branches qui brûlait sur l’autel d’orient comme étant l’emblème de la triple puissance du Grand Architecte de l’Univers. Cette lumière est le premier vêtement de l’âme, l’habit qu’on vous a donné n’en est que la figure et sa blancheur en désigne la pureté. Le signe qu’on vous a donné, séparant la tête d’avec le buste, vous rappelle la supériorité originelle de l’homme sur tous les animaux ; gardez-vous donc d’assimiler sa nature à la leur. » [8]

Lire :

2010-les-elus-coens-et-le-rer

J.-M. Vivenza, Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié,

Le Mercure Dauphinois, 2010,

Appendice I. «La Sainte et Indivisible Trinité », pp. 263-292.

Notes.

1. R. Amadou, Introduction au Traité sur la réintégration des êtres, Collection Martiniste, Diffusion rosucrucienne, 1995, pp. 38-39.

2. J.-M. Vivenza, Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié, Le Mercure Dauphinois, 2010, pp. 263-264.

3. Ibid., p. 264.

4. Ibid., pp. 275-276.

5. Ibid., pp. 276-277.

6. Ibid., pp. 281-282.

7. Ibid., pp. 285-286.

8. Instruction morale du Grade d’Apprenti, Rituel 1802.

La Profession du Régime rectifié doit-elle disparaître ?

In Codes de 1778, Convent des Gaules, Doctrine, Franc-maçonnerie, Histoire, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Ordre, Réforme de Lyon, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration, Religion on 7 mars 2013 at 23:59

Sceau GP II

A propos d’un article de Pierre Noël sur la Profession

dans Renaissance Traditionnelle.

La dernière livraison de la revue Renaissance Traditionnelle, n° 168 octobre 2012, (pp. 231-267), propose un article intitulé : « La Profession » sous la signature de Pierre Noël. Ce sujet, plus qu’aucun autre, est évidemment de nature à intéresser les maçons du Régime rectifié, et il est donc normal que nous nous soyons penchés sur cette analyse afin d’examiner ce que contient ce texte, d’autant que les études sur la classe « non-ostensible » du système fondé par Willermoz ne sont pas excessivement nombreuses, ce qui est sans doute conforme au caractère secret qui caractérise ces domaines.

a) Place de la Profession au sein du Régime rectifié

L’article de Pierre Noël débute par un court exposé historique de la Profession, montrant en quoi elle se rattache, du moins pour sa forme, à la Profession de la Stricte Observance, d’où elle tire d’ailleurs son nom, mais en substituant à ce qui était un engagement définitif envers l’Ordre et une déclaration d’adhésion à la foi chrétienne, un enseignement tiré des thèses de Martinès de Pasqually.

Ce travail, extraordinaire d’intelligence et de patience, fut l’œuvre de Jean-Baptiste Willermoz, et devint quasi « officiel », lors du Convent des Gaules en 1778, au moment où fut institué l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte.

L’enseignement de la Profession, soutenait Willermoz, « …est une initiation particulière qui consiste en diverses instructions écrites dans lesquelles on développe les principes et les bases fondamentales de l’Ordre, et dans lesquelles on explique les emblème, symboles et cérémonies de la Maçonnerie symbolique. » [1]

On comprend ainsi que cet enseignement occupe une place décisive et centrale dans la compréhension de ce que représente le Régime rectifié sur le plan initiatique. Cela semble évident.

b) Une bonne mise en lumière du caractère non-dogmatique de la Profession

Pierre Noël, voit bien, et démontre clairement dans son article, que cet enseignement, s’il est basé sur le christianisme, néanmoins les prêtres et l’Eglise l’ignorent puisqu’ils « ont perdu tout sens de l’ésotérisme depuis des siècles » (p. 244), soulignant que les mots « Christ » et « christianisme » (de même que « religion chrétienne ») « sont absents des 42 pages manuscrites des Instructions aux Grands Profès » (p. 250), tout en rajoutant que seule la croyance en Dieu et l’immortalité de l’âme est exigée au sommet de l’Ordre, la sainte religion chrétienne étant mentionnée dans le serment « mais sans référence aux dogmes » ( p. 249).

Tout ceci est parfaitement exact, et conforme aux Articles 14 et 16 des Statuts et Règlements de l’Ordre des Grands Profès, dont est en effet, absente toute demande d’adhésion aux dogmes de l’Eglise et des conciles.

On appréciera ainsi à ce titre, le rappel des termes de la lettre de Willermoz datant de 1807 [2], qui ne peuvent que surprendre ceux « qui ne voient dans le RER que sa connotation chrétienne » (p. 263), puisqu’il est affirmé dans ce courrier que les enseignements de la  Profession « ne peuvent servir à qui se contente de le religion traditionnelle, pas plus qu’à celui qui ne jure que par l’enseignement de l’Eglise » (p. 263), mais « sont utiles voire nécessaires aux tièdes, à tous ceux qui croient vaguement en Dieu sans être autrement convaincus des enseignements et dogmes de l’Eglise. » (Ibid.).

c) Méconnaissance de la doctrine de la Profession

Plus délicats les autres points abordés dans cet article sur la Profession.

Si le copier/coller des 40 articles des Statuts et Règlements (pp. 244-257), est d’un intérêt relatif pour le sujet de la nature de la Profession, la méconnaissance de ce que représente l’enseignement doctrinal de la classe non-ostensible, va se révéler fatale au raisonnement développé par Pierre Noël.

En effet, si Pierre Noël admet bien que « le RER est remarquablement bâti au tour de la doctrine ésotérique de Martines » (p. 242), c’est pour étrangement mettre rapidement en garde sur le fait que Martinès n’est pas un  « maître non exclusif », et que son enseignement ne « dépasse guère Plotin et les gnostiques » (p. 243).

A partir de ce jugement, aussi hâtif que partial, est ainsi entièrement évacuée de l’article, qui aurait pu être intéressant, la dimension théorique de la doctrine de la Grande Profession, dont les propos de conclusion vont montrer qu’à partir de cet oubli important – qui touche d’ailleurs la quasi totalité des structures qui aujourd’hui pratiquent le Rite écossais rectifié – on ne peut qu’aboutir à une totale incompréhension de ce que signifie du point de vue initiatique le système édifié par Willermoz au XVIIIe siècle.

Certes sont bienvenues les explications sur la fabrication d’une Grande Profession imaginaire, à caractère liturgique et sacerdotal, par Robert Ambelain (des extraits du rituel sont reproduits page 260 ss.), et elles peuvent s’avérer bénéfiques puisque faisant apparaître les confusions – bien en rapport avec l’esprit qui dominait au milieu du XXe siècle en ces domaines – qui depuis n’ont eu de cesse de croître, au point de faire surgir des dizaines de lignées d’une pseudo-Profession apocryphe qui a proliféré de façon exponentielle en milieu maçonnique, quoiqu’on puisse noter une surprenante croyance en la qualité de Grand Profès de Georges Bogé de Lagrèze, une fois Grand Profès en 1932 (p. 258), une autre foi en 1937 (p. 258, note 42), alors que cette qualité de Profès, douteuse, n’a jamais pu être ni renseignée ni établie ?

Mais le plus problématique, pour le moins, se trouve dans la conclusion de cet article (« VII. Une réflexion finale »), qui synthétise les propos parsemés à plusieurs endroits du texte, et dont une phrase en est le parfait résumé : La Grande Profession a-t-elle encore un sens ?

d) Peut-on encore adhérer à la doctrine du Régime rectifié ?

Tout provient, nous l’avons déjà dit, de la méconnaissance, volontaire ou involontaire, de Pierre Noël à l’égard de ce que représente, sur le plan théorique, l’enseignement de la Grande Profession, considérant que « personne n’est prêt à adhérer à la doctrine de Martines », pour la simple raison qu’elle est « l’expression mythologique de la veine des écrits apocalyptiques des premiers siècles, des manuscrits de Nag-Hammadi », ceci aboutissant à un  jugement brutal : « A quoi bon, dès lors, établir une classe secrète, si cela ne sert qu’à transmettre un savoir mort ou à satisfaire la convoitise de chasseurs de ruban ? » (p. 262).

On perçoit bien le caractère terriblement destructeur pour le Régime rectifié d’un tel raisonnement arbitraire, refusant, par l’effet d’un a priori partial envers l’enseignement doctrinal de l’Ordre, que l’on puisse de nos jours conférer un quelconque crédit aux Instructions secrètes, regardées comme «un savoir mort» (sic !). Pierre Noël écrit donc logiquement : « Ne peuvent adhérer à la position de Willermoz que ceux qui lisent les Instructions au premier degré, les acceptent à la lettre, y croient et se les incorporent comme parole d’évangile ou vérité scientifique (au sens que le patriarche lyonnais donnait à ce terme). » (p. 264).

Pourtant, quoique puisse en penser Pierre Noël, et sans d’outre bien d’autres avec lui, tel était bien le souhait du fondateur du Régime rectifié, puisque en effet : « Jean-Baptiste Willermoz partait du principe que l’enseignement des instructions étaient vérité factuelle, incontestable et non expression symbolique ! » (p. 263). Il était donc bien question d’accepter les Instructions comme l’expression de la vérité initiatique par excellence pour les Frères de l’Ordre, selon ce que déclarait positivement Willermoz : « La doctrine des Grands Profès […] n’est point un système hasardé arrangé comme tant d’autres suivant des opinions humaines ; elle remonte…jusqu’à MoïseLes Instructions sont un extrait fidèle de cette Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous.» [3]

Mais Pierre Noël, qui n’hésite pas à mélanger les questions et s’engage dans des amalgames à l’équilibre, disons « hasardeux » pour rester charitable, signale que  « La Profession peut même servir de marchepied aux grades coen qui conduisent à la pratique de ce qu’il faut bien appeler de la magie, malgré les dénégations des thuriféraires » (p. 264). Dès lors pour lui s’impose une conviction dont il tente de convaincre son lecteur, en une formule stupéfiante qui frise avec la caricature : « Qui peut donc adhérer aux Instructions de Martines revues par Willermoz ? » (ibid.).

On le voit, par ignorance de ce que représente effectivement, dans sa richesse herméneutique, sa profondeur initiatique et sa perspective spirituelle, l’enseignement doctrinal de la Profession, réduit en une phrase à « l’expression mythologique de le veine des écrits apocalyptiques des premiers siècles, des manuscrits de Nag-Hammadi », Pierre Noël aboutit à une position qui est la suivante : « A quoi bon dès lors constituer un collège élitiste et secret, dans le seul but, la seule fonction, serait d’étudier et de commenter un texte qui relève de l’épistémologie, sinon de l’archéologie de la pensée ? » (p. 264).

Conclusion : faut-il vraiment que disparaisse la Profession ?

On ne saurait certes affirmer proposition plus contraire à l’esprit du Régime rectifié, plus inexacte sur le plan théorique, plus erronée par rapport à ce que représente l’œuvre réalisée par Jean-Baptiste Willermoz, car le système issu de la Réforme de Lyon a tout de même était conçu, il semble vital de le rappeler, pour être le dépositaire de la doctrine de la réintégration au moment où l’Ordre des élus coëns disparaissait, ainsi que le précisa fort justement en son temps Robert Amadou : « Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine dont Martines de Pasqually avait été, selon que ce dernier lui avait enseigné, l’un des relais seulement ; maintenir, quand sombrait l’ordre des Elus Cohen, la vraie Maçonnerie selon le modèle que Martinès de Pasqually lui avait révélé comme l’archétype et que garantit une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration. » [4]

Il convient donc d’y insister une fois encore : dépossédé de l’enseignement des Instructions secrètes, le Régime rectifié est vidé de son sens et de son essence, car tous ses mystères, la valeur de ses loi numériques, la signification de ses Instructions à tous les grades, ses symboles ainsi que l’ensemble de son architecture spirituelle, ne trouvent leur explication uniquement, et nulle part ailleurs, que dans la doctrine de la classe non-ostensible.

Mais au fond Pierre Noël, qui pourtant ne fait pas de l’humour noir, a raison : « A quoi sert de conserver un grade à la recherche de sa raison d’être puisque… il n’en est pas un ? »

Et il vrai, et sur ce point nous sommes, quoique paradoxalement, en parfait accord avec Pierre Noël, puisque la distance est devenue objective et réelle aujourd’hui avec l’enseignement du Régime, il est donc absolument inutile que les formes contemporaines sous leurs diverses désignations qui pratiquent le rectifié, s’encombrent de connaissances qu’elles ne comprennent plus, ou auxquelles elles ne souhaitent pas adhérer, en s’alourdissant d’une classe qui ne leur est d’aucune utilité.

Certes l’article de Pierre Noël se conclut par des hypothèses, dont l’une consiste à suggérer que cette Profession devienne une sorte de lieu de rencontre discret réservé aux dignitaires rectifiés, leur permettant de dépasser les limitations obédientielles : «le but réel pourrait être … de permettre à des dignitaires de haut niveau de se rencontrer en toute discrétion, quels que soient leurs obédiences et grands prieurés…» (p. 264).

Tout ceci donne au final des propositions qui ne sont pas très sérieuses, et surtout totalement éloignées de l’esprit du système willermozien.

«La question [qui] demeure » (p. 264), pour reprendre l’ultime phrase de cet article, c’est-à-dire la question authentique car essentielle pour la perspective initiatique de l’œuvre édifiée au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste Willermoz, est en réalité la suivante : que deviendrait le Régime rectifié sans l’enseignement doctrinal de l’Ordre ?

La réponse est très simple, mais assez désespérante : un rite maçonnique réduit à l’état de vestige, une ruine vénérable, une enveloppe creuse, morte et vide…en réalité un sépulcre.

Il serait de la sorte infiniment prudent, avant que de s’aventurer dans des conclusions trop rapides sur un sujet qui mérite d’être étudié avec grande attention, et dont ce récent article de Pierre Noël publié dans Renaissance Traditionnelle n’évite malheureusement pas l’écueil, de se remettre en mémoire le solennel avertissement de Willermoz : « Cette Doctrine a toujours été la base des Initiations (…) mais cette science mystérieuse et sacrée, la connaissance en est un crime pour ceux, qui négligent d’en faire usage…. » [5]

Notes.

1. J.-B. Willermoz, Lettre à la Triple Union de Marseille, 1807 (« article secret à ma lettre du 1er septembre 1807 », [° 173], BNF, fm 292.

2. Ibid.

3. Jean-Baptiste Willermoz, Statuts et Règlement de l’Ordre des Grands Profès, Ms 5.475, BM Lyon.

4. R. Amadou, Martinisme, CIREM, 1997, p. 36.

5. Jean-Baptiste Willermoz, Instructions secrètes des Chevaliers Grands Profès, fonds Georg Kloss, Bibliothèque du Grand Orient des Pays Bas, à La Haye [1er catalogue, section K, 1, 3].