Régime Écossais Rectifié

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Entretien avec Jean-Marc Vivenza : « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles »

In Franc-maçonnerie on 21 janvier 2023 at 17:11

Les éditions Dervy, à l’origine de la parution de « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles » en septembre 2022, signalaient à juste titre, que cet ouvrage « met pour la première fois à la disposition des lecteurs, sous une forme claire et pédagogique », les clés de compréhension d’un « enseignement ésotérique, offrant des lumières singulières sur l’origine du monde matériel, la nature actuelle de l’homme et sa destination finale », dont est dépositaire le Régime Écossais Rectifié, à la suite de l’Ordre des élus coëns de Martinès de Pasqually. L’auteur revient ainsi dans cet entretien, sur la particularité de cette voie maçonnique et chevaleresque, et sur les perspectives providentielles qu’elle offre à toute âme désireuse d’en saisir le contenu et la substance initiatique et doctrinale.

Question 1 – La littérature maçonnique est très majoritairement dédiée à des considérations historiques ou, lorsque la préoccupation est de nature pédagogique, à des vade-mecum obédientiels, présentant des propositions d’explications fragmentées du langage symbolique. Vous optez pour une orientation différente, en positionnant la doctrine du Régime, comme récit fondateur de la vie initiatique. Ce choix implique-t-il une approche radicalement nouvelle de l’Apprentissage de la maçonnerie rectifiée, supposant une appropriation immédiate de cet enseignement ?

Il ne s’agit absolument pas d’un « choix », mais d’une orientation propre au Régime Écossais Rectifié lui-même, puisque ce système fut constitué, précisément, pour être le dépositaire d’un enseignement doctrinal que reçut Jean-Baptiste Willermoz lors de son admission, en avril 1767, dans « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers », et qu’il souhaita préserver en évitant qu’il ne se perde, en raison de la valeur de cette « doctrine », en utilisant le cadre formel de la Stricte Observance pour lui servir d’écrin protecteur. Le Régime Rectifié est donc né de cette volonté, et son essence est liée indissolublement, ce qui est un cas unique caractérisant son originalité, à la présence en son sein d’un dépôt « doctrinal ».

Ainsi, être fidèle aux volontés qui présidèrent à la fondation du Régime Écossais Rectifié, en plaçant la question de la « doctrine » au centre même de l’enjeu initiatique, ne constitue donc pas, comme on le constate, une quelconque décision innovante, mais un respect de ce qu’il en est de la nature authentique d’un Ordre qui, certes, en raison d’une pratique l’ayant ramené hélas ! à un « rite » parmi d’autres dans le cadre de structures obédientielles fonctionnant selon les formes administratives et organisationnelles de la maçonnerie andersonienne, a été mis à distance de ses propres critères référentiels, mais néanmoins qui depuis ses origines, c’est-à-dire le Convent des Gaules s’étant réuni à Lyon en 1778, s’est toujours pensé comme le « dépositaire » et le « gardien » de l’enseignement légué par Martinès de Pasqually à ses disciples, un « enseignement » qui remonte, selon le thaumaturge bordelais, au commencement des temps.

Cet enseignement ésotérique est d’ailleurs désigné du nom de « Sainte Doctrine » par Jean-Baptiste Willermoz, qui souligne qu’elle nous est « parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous », rajoutant, pour que les choses soient bien claires dans l’esprit des membres du Régime Écossais Rectifié, de sorte que ne puisse subsister aucune ambigüité s’agissant de la provenance et du contenu de cette « Sainte Doctrine » en la regardant, fautivement, comme étant « fille de la raison humaine », qu’elle « n’est point un système hasardé arrangé comme tant d’autres suivant des opinions humaines ; elle remonte… jusqu’à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre des initiés, qui furent les principaux chefs des grandes familles du Peuple élu, auxquels il reçut ordre de la transmettre pour en perpétuer la connaissance dans toute sa vérité […] [1].»

Question 2 – Cette « Sainte Doctrine » n’aurait-elle pas cependant la possibilité d’évoluer avec le temps, de modifier ses concepts en fonction des avancées de la pensée, voire de mettre en perspective certains points qui pourraient heurter trop frontalement les positions de l’Église, en particulier les affirmations tranchées portant sur les conditions « nécessaires » de la Création du monde ?

La suite du discours de Willermoz, que nous venons de citer, précisant que la doctrine « n’est point un système hasardé arrangé comme tant d’autres suivant des opinions humaines », est très instructif, car le patriarche lyonnais tient à insister sur un point relativement important – de nature à interdire toutes les velléités multiples pouvant surgir au fil du temps, qui chercheraient à « discuter », « amender », « opposer » ou « contrarier » les thèses de la doctrine dont l’Ordre est le dépositaire : « La forme de cette Instruction a quelquefois varié selon les temps et les circonstances, mais le fond, qui est invariable, est toujours resté le même [2].»

En conséquence cette « Sainte Doctrine », qui a pu prendre évidemment des formes différentes en fonction des périodes de l’Histoire, est cependant selon Willermoz de nature « invariante », ce qui signifie qu’elle n’a jamais changé du point de vue de son « fond » qui n’est pas sujet à devoir recevoir, par décision arbitraire, des révisions au gré du temps et des sensibilités de tout un chacun, afin de le faire correspondre à des opinions particulières, qu’elles soient théologiques, dogmatiques, ecclésiales ou philosophiques, ce « fond doctrinal » ne devant pas, et surtout ne pouvant pas, être modifié pour une raison qui est extrêmement simple à comprendre, c’est qu’en très peu de temps le legs willermozien, transformé et remanié au gré de croyances aussi diverses que variées, interprété selon des vues personnelles subjectives, voire modifié pour obéir à des interprétations fantaisistes, aboutirait à quelque chose de tout autre que ce qu’il est, et finalement, à très court terme, disparaîtrait.  

Il convient donc, pour éviter que de telles initiatives, viennent à corrompre la substance de la doctrine du Régime, et rendre incompréhensibles la symbolique, l’architecture et le contenu même des « instructions » relatives à chaque grade, en s’autorisant à des modifications dans les thèses de cet enseignement, ou en se lançant, par des arguties et des procédés dilatoires, dans des interprétations faussées, biaisées et erronées, que soit rappelée cette vérité exprimée par Willermoz : « la doctrine a été transmise de temps immémorial par une tradition orale qui a traversé les siècles, appuyée sur de bons témoignages […] parmi ceux qui la reçoivent d’une manière suffisante à leur instruction personnelle, il y en a bien peu qui deviennent en état de la vouloir distribuer aux autres comme il faut, car c’est l’effet d’une disposition et d’une vocation particulière [3] .»

Tout ceci oblige donc que cette « distribution », pour ceux qui en ont la « vocation particulière », ainsi qu’y insiste le fondateur de l’Ordre, soit réalisée « fidèlement », de sorte d’éviter absolument l’oubli, la déformation, ou pire encore, la complète disparition des thèses doctrinales de l’Ordre.

C’est pourquoi, le livre qui vient d’être publié, ayant pour titre « La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en dix leçons essentielles », n’a donc pas d’autre ambition, et d’autre but, en ce début de XXIe siècle où les enjeux pour la continuité des « voies » initiatiques afin qu’elles perdurent en fidélité sont considérables, que de répondre à cette nécessité de « préservation » et « transmission » du corpus doctrinal dont l’Ordre est le détenteur depuis le XVIIIe siècle, de façon à ce que puisse se poursuivre l’œuvre métaphysique et initiatique dévolue par Willermoz au système maçonnique et chevaleresque qui a succédé, comme témoin du « Haut et Saint Ordre » – au moment où il s’effaçait de la scène de l’Histoire pour des motifs multiples dont seule la divine Providence possède véritablement les raisons [4] -, à « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers ».

 Question 3 – Comme vous l’indiquez en introduction à la « première leçon », la singularité du Régime Écossais Rectifié est telle, qu’elle en finit par questionner son lien réel avec l’environnement maçonnique classique. La maçonnerie rectifiée présente les contours d’une théosophie active, là où d’autres systèmes initiatiques, fondent leur légendaire sur l’art de bâtir. Quelles sont les conséquences anthropologiques de cette forte singularité, pour les âmes engagées dans un tel cheminement ?

Les conséquences sont radicales, et portent non sur un « perfectionnement » de l’homme, mais une perspective qui n’est autre que sa « réintégration », selon la formule consacrée, dans sa « première propriété, vertu et puissance spirituelle divine », une « réintégration » qui est évidemment envisagée dans la région divine dont il provient, ce qui, on l’avouera aisément, change complètement de plan « l’horizon » initiatique.

Ainsi, d’une horizontalité humaine travaillant à des progrès au niveau de la sphère matérielle, le Régime Rectifié fait lui passer le champ « opérationnel », si l’on peut dire, vers une verticalité immédiate à visée divine, et cela transforme du tout au tout, et entièrement pour le moins, l’orientation de l’initiation en mode maçonnique, représentant d’ailleurs, il n’est pas inutile de le signaler, une forme assez originale de « voie » en quelque sorte « sacerdotale », puisque le frère reçu dans l’Ordre, aura à accomplir à un certain grade – en un mode symbolique particulier qu’on laissera à chacun le soin de découvrir le temps venu -, des gestes réservés normalement à la classe qui avait pour devoir le service du Sanctuaire dans l’Ancienne Alliance ; chemin de remontée donc, possédant par ailleurs une visée « réconciliatrice », ceci afin de ramener « l’âme de désir » dans « l’unité perdue » depuis la rupture adamique, avec l’Être éternel et infini.

Dire que ce changement de plan, très différent effectivement de ce que l’on rencontre dans d’autres rites, soit simple et aisé à mettre en œuvre serait sans doute mentir, car il faut admettre, avec sincérité, que le cheminement proposé par le Régime Écossais Rectifié est extrêmement délicat et fort subtil, nécessitant une rigueur spécifique bien supérieure à celle qui est généralement requise dans la pratique des autres systèmes. Il convient d’insister sur cet aspect de différence d’exigence bien plus qu’on ne le fait généralement.

On comprend de ce fait la raison de l’importance d’une parfaite assimilation des fondements métaphysiques et doctrinaux du Régime, de sorte de ne pas se méprendre sur le sens d’une « présence » en son sein, en se trompant de chemin ou en substituant des objectifs étrangers à ceux fixés explicitement par l’Ordre, « objectifs » qui sont pourtant clairement dévoilés, « pour ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir » [5], dans les différentes « instructions » destinées à chaque grade, ou même – ce qui est très souvent le cas lorsque l’on ne pratique pas ce système selon les critères précis qui sont les siens -, de n’en point suivre aucun, bien qu’en étant « administrativement », pour ne pas dire « virtuellement », rattaché au Rite Rectifié, ce qui au fond ne signifie pas grand chose, faute d’avoir abordé les connaissances suffisantes pour en accomplir la finalité à son niveau spirituel authentique.

Question 4 –  L’argumentaire récurrent des sensibilités hostiles aux éléments de la « doctrine de la réintégration », est d’en nier la présence au sein des classes symbolique et chevaleresque, pour la réserver aux dernières Instructions willermoziennes, actives au XVIIIème siècle. Cette posture ne revient-elle pas, objectivement, à séparer cet enseignement du réel, dans un système qui considère pourtant les formes manifestées, à la fois comme la conséquence d’un drame cosmogonique, et le lieu d’une possible réparation ? Le récit fondateur serait-il à distinguer de la vie du maçon rectifié ?

Poser la question c’est y répondre. J’ai d’ailleurs fait justice de ces assertions, visant à soutenir que la doctrine ne devrait pas être abordée dans les classes symboliques pour ne pas « troubler » les frères des premiers grades. On se demande donc bien en ce cas, aucun grade étant exempt d’éléments doctrinaux, quand doit-elle être abordée ? 

Tout est imprégné de la « doctrine » au Régime Rectifié, et avant même d’avoir été reçu franc-maçon, lorsque le candidat séjourne en « chambre de préparation », des notions éminemment doctrinales sont exposées devant un « profane » à qui l’on déclare – ce qui pour les partisans d’une mise à l’écart de la doctrine dans les grades bleus est la preuve que leur position est dénuée de cohérence -, que s’il se trouvait que le récipiendaire avait une « doctrine opposée » à celle que l’Ordre regarde comme étant sa « règle fondamentale », il ne pourrait être admis en loge :

« […] l’Ordre, ne devant pas accueillir des individus qui auraient une doctrine opposée à celle qu’il regarde comme sa règle fondamentale a dû, relativement à ceux qui désirent d’y être admis, établir des formes certaines pour connaître leurs vrais sentiments, et leurs conformités avec ses lois, afin d’éloigner de ses assemblées tout prétexte de disputes ou d’oppositions d’opinions tendant à détruire la charité, la fraternité et l’union qui doit y régner essentiellement [6]. »

On perçoit évidemment le caractère absurde consistant à délivrer des propos à un impétrant qui se présente à la porte du temple, alors-même que celui qui les prononce, en prenant un air d’autorité pour ce faire, est en fait ignorant, ainsi que ceux qui sont en loge à ce moment-là et qui l’envoient auprès du candidat pour s’assurer de ses bonnes dispositions, de ce que représente la dite « doctrine » qui est qualifiée de « règle fondamentale » de l’Ordre.

Soit on accomplit une « scène » qui relève du théâtre de représentation en récitant des textes sans les comprendre comme pourraient le faire des acteurs de comédie, soit, au contraire, on considère que l’enjeu de ce qui est mis en œuvre est réellement initiatique, et alors il est impossible de se satisfaire d’une vague connaissance des notions doctrinales du Régime Rectifié en se disant qu’on les étudiera lorsqu’on en aura l’occasion, où lorsque le temps sera venu, l’expérience montrant que c’est immédiatement, dès l’agrégation à l’Ordre, que l’étude doit s’accomplir.  

D’ailleurs, comme si cela ne suffisait pas dans l’exemple évoqué du récipiendaire découvrant la particularité du Régime, le candidat, toujours encore placé en chambre de préparation, c’est-à-dire en mesure de décider de refuser l’éventualité de sa réception et quitter les lieux, entendra qui plus est des affirmations appuyées sur quelques points hautement doctrinaux s’il en est, dont cette déclaration portant sur l’identité de « nature » entre son âme et celle de Dieu :  

« […] votre âme immortelle est par conséquent de la même nature de cet Être immortel son Créateur, laquelle éloignée de cette source divine brûle d’une soif ardente dans la recherche de sa félicité qu’elle ne peut trouver ailleurs qu’à la source même…[7]. »

Il faut mesurer ce qu’une telle assertion signifie dans un cadre théologique et métaphysique, en sachant que soutenir « l’identité de nature » entre l’âme et le Créateur participe de thèses « émanatistes », bien connues des censeurs ecclésiastiques, qui depuis toujours, toutes confessions chrétiennes confondues issues des articles fixés lors des premiers conciles, se sont opposés vigoureusement à ces propositions jugées « hétérodoxes ».

Et contrairement à ce que l’on pourrait supposer, pour en éviter l’évidence et chercher à en fuir l’aveu de la manifeste présence, la thèse de « l’émanation de l’âme », de façon plus encore explicite, est signifiée de façon claire dans la « Règle Maçonnique », qui sera remise au nouvel Apprenti après sa réception.

Il suffit de lire avec attention :

« Homme ! Roi du monde ! Chef-d’œuvre de la création lorsque Dieu l’anima de son souffle ! médite ta sublime destination. Tout ce qui végète autour de toi, et n’a qu’une vie animale, périt avec le temps, et est soumis à son empire : ton âme immortelle seule, émanée du sein de la Divinité, survit aux choses matérielles et ne périra point. Voilà ton vrai titre de noblesse… [8]

On l’aura compris, il n’y a aucun moyen d’échapper à ce climat « doctrinal » qui imprègne l’ensemble de l’architecture du Régime Rectifié en ses différents grades, et ce depuis les tout premiers instants d’arrivée en son sein. Jean-Baptiste Willermoz, qui a édifié savamment, avec une patience infinie et un génie admirable ce système, voulut qu’il en soit ainsi. Il faut donc ainsi que cela soit, et demeure comme tel, si l’on souhaite respecter les vœux du patriarche lyonnais qui présidèrent à l’édification de l’Ordre.

Question 5 – Retrouve-t-on, de manière concrète, les éléments du récit fondateur martinésien, dans les différentes séquences des rituels rectifiés – en particulier, dans l’ouverture et l’ordonnancement de la loge, ou dans la cérémonie de Réception, qui sont les temps forts du rite – ?

Il conviendrait normalement de se contenter de répondre, pour ne pas enfreindre la règle de discrétion relative à tout ce qui participe du déroulement cérémoniel en loge, simplement par l’affirmative à cette interrogation et rester ensuite silencieux pour le reste [9].

Sachons toutefois que Willermoz a effectué, avec une rare précision, un travail de transposition méticuleux entre les élus coëns et le Régime Rectifié, de sorte que chaque geste, chaque batterie, chaque couleur, chaque symbole, relève d’une référence martinésienne. C’est d’ailleurs au titre de la mission de rédaction des rituels qui lui avait été confiée par le « Convent de Wilhelmsbad », qu’il put effectuer de manière méthodique cette transposition, ce qu’il rappela à Charles de Hesse, dans sa lettre du 10 septembre 1810, où il expliquait les conditions dans lesquelles il entreprit l’édification du 4ème grade : « Votre Altesse se rappelle sans doute que le temps que les députés au Convent Général pouvaient accorder pour la durée de cette assemblée étant insuffisant pour perfectionner la multitude des travaux projetés, on s’occupa d’abord des plus importants ; on se borna ensuite à esquisser la réforme des grades symboliques et des deux de l’Ordre Intérieur […] Les bases du quatrième grade furent aussi arrêtées, et Votre Altesse me confia personnellement les instructions et l’esquisse du tableau […] le tout écrit de sa propre main et adopté par le Convent pour me diriger dans cette partie du travail [10]

*

Il n’en demeure pas moins, pour en rester au simple cadre général, sans rentrer trop avant dans des détails touchant aux rituels, que les thèmes du « récit martinésien », en « six temps », sont tout-à-fait perceptibles dans les différents épisodes : « émanation », « émancipation », « prévarication », « dégradation », « expiation » « réconciliation », le septième temps devant être celui de « réintégration », correspondant au retour à l’état initial, « six temps » que l’on retrouve dans le cheminement initiatique, la réception en Apprenti pouvant être regardée comme une reproduction de la « chute d’Adam » et les premiers pas vers sa « réconciliation ».

Ainsi, l’ordonnancement de la séquence de l’ouverture des travaux lors de l’activation des « lumières d’ordre » – qui répond aux « six jours de la création », en se souvenant que  les trois éléments ou « essences spiritueuses », et non quatre, « l’air » étant exclu, que reconnaît le Rectifié, soit « Feu », « Eau » et « Terre » -, est la manifestation du « Verbe ternaire de création » », car Dieu, en décidant, sous l’effet d’une « contrainte », de la constitution du monde, donna l’ordre de sa production par « 6 pensées divines ». Les « images de formes corporelles apparentes » sont donc manifestées à l’ouverture des travaux par l’opération de génération de la manière suivante : 1+2+3 = 6 [11], l’allumage des six lumières d’ordre pouvant être regardé comme une « manifestation du Verbe de création » [12], ce que représente concrètement l’éclairage de la Loge par le Vénérable Maître et les Officiers, reproduisant ainsi le « double triangle » fondateur de « l’univers physique » :

La « manifestation du Verbe de création », à partir du « Chandelier emblème de la triple puissance du Grand Architecte de l’Univers» placé sur l’autel du Vénérable Maître, provient bien de la « Pensée » (1), est générée par la « Volonté » (2), et s’accomplit par « l’Action », la mise en œuvre de l’opération de « création », telle que voulut la réaliser rituellement Willermoz, par le déploiement de la lumière provenant de la puissance du ternaire (3), produit, par la même puissance arithmosophique de ce ternaire 1+2+3, la forme générale sénaire de l’univers physique (6) [13] qui est un « double triangle », dont la loge est constituée et qu’elle représente symboliquement et spirituellement [14].

On pourrait de la même manière, développer bien plus encore en d’innombrables points et les différents grades, les correspondances entre sources martinésiennes et rituels rectifiés, invitant ceux qui souhaitent approfondir sérieusement le sujet, passionnant à bien des égards pour la juste compréhension de la nature du système élaboré par Willermoz, dans livre publié sur ce thème : « Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié » [15].

Question 6 – Vous indiquez, en conclusion de l’ouvrage, que « le but de Willermoz fut de préserver la doctrine de Martinès de Pasqually […] quand sombrait l’ordre des Élus Coëns. » Si les éléments du récit imprègnent les rituels rectifiés, pourquoi ne pas en avoir conservé les formes et l’architecture ?

Tout simplement parce que les formes et l’architecture du système édifié par Martinès de Pasqually, étaient quasi impraticables, et d’ailleurs ne furent jamais pratiquées conformément aux textes qui avaient pour fonction d’organiser et légiférer la vie des élus coëns, en particulier les « Statuts Généraux » de 1767, d’une impressionnante complexité baroque, et dont une rapide lecture fait immédiatement comprendre les raisons objectives de ce caractère quasiment impraticable.

Mais d’autres facteurs ont joué un rôle dans cette décision de Willermoz. Tout d’abord le départ précipité de France, laissant l’Ordre des élus coëns dans un état de profonde désorganisation, et la disparition, dans des circonstances troubles, de Martinès de Pasqually à Port-au-Prince en septembre 1774. Événements suivis de la mise en sommeil officielle de l’Ordre par son dernier Grand Souverain avant même la Révolution, sans minorer le fait par ailleurs, que le patriarche lyonnais ne fut jamais vraiment gratifié par les « opérations » qu’il regardait, plus le temps avançait depuis sa rencontre avec Martinès, avec une certaine suspicion teintée d’une grande réserve, renforcée par la manière assez hasardeuse et la liberté fantaisiste avec laquelle Pasqually décidait du contenu des rituels et des périodes de leur célébration, rédigeant les cérémonies en puisant selon son inspiration du moment dans des sources où figurent en bonne place les opuscules magiques de Cornelius Agrippa, l’Enchiridion attribué au pape Léon III, et surtout l’Heptameronde Pierre d’Abano, qui mêlent magie invocatoire, culte de théurgie active incluant des « exconjurations » contre les démons, fumigations de résines psychotropes, sacrifices de matières animales, sciences divinatoires, etc., et qui servirent à la rédaction du répertoire contenant les noms et les hiéroglyphes secrets des « 2400 noms » d’esprits à « invoquer » lors des rituels destinés aux émules, l’amenant au final à considérer que si la doctrine avait un intérêt réel, et tel était bien le cas en effet, les formes cérémonielles des élus coëns en revanche, lui apparaissaient plus que problématiques, et pouvaient en conséquence être avantageusement écartées.

Tout ceci explique donc pourquoi Willermoz jugeât préférable d’utiliser les formes toutes germaniques de l’organisation rigoureuse de la « Stricte Observance », et ses éléments rituels, autrement plus solides et stables que l’Ordre disparu, selon les vues de la Divine Providence, des élus coëns, pour y introduire, afin qu’il perdure à travers les âges et soit conservé, l’enseignement initiatique d’une valeur incomparable, portant sur la « réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine ». 

Question 7 – La doctrine du Régime Rectifié, référée, selon l’expression maistrienne, à un « christianisme transcendant » et primitif [16], qui fut celui d’Origène et du néo-platonisme, diffère, sur des points majeurs – tels que l’immatérialisme des premiers esprits, le caractère « nécessaire » et contraint du composé matériel, consécutif à leur révolte, et sa vocation finale  à l’anéantissement – des définitions dogmatiques, telles qu’admises par l’ensemble des institutions ecclésiales de la chrétienté. N’y aurait-il pas alors une forme de paradoxe, à concilier une vie liturgique chrétienne, avec une adhésion active et participative à ces thèses ? Les deux propositions ne sont-elles pas antagonistes ?

Il y aurait un paradoxe, effectivement, si l’on considérait que la participation à la vie liturgique impose une adhésion pleine et entière au corpus dogmatique de l’Église entendue au sens large, corpus fixé lors des conciles, et qu’une distance en plusieurs points non négligeables, il faut en convenir, et que vous rappelez à juste raison, représentait une impossibilité d’assistance aux offices.

Or on peut très bien – et il est même bon de le faire si l’on peut bénéficier dans la paroisse de son quartier ou de son village, de formes cultuelles traditionnelles -, en adhérant aux thèses de la doctrine enseignée par l’Ordre, être fidèle à la vie liturgique de la confession chrétienne à laquelle on appartient, et en suivre le calendrier en participant au culte célébré par le clergé ou les pasteurs, en ne cherchant surtout pas à engager des controverses théologiques, mais en occupant une place, humble et discrète, de sorte de simplement « communier en esprit » avec le Ciel, au milieu de nos sœurs et frères en chrétienté.

Le « christianisme transcendant » auquel se réfère Joseph de Maistre, désignant sous cet intitulé les thèses originales qu’il avait rencontrées auprès des initiés à Lyon, n’a pas à se constituer en une nouvelle Église, ce qui serait incohérent pour une orientation spirituelle toute céleste et qui a son séjour dans l’invisible, ce « christianisme » étant transversal de toutes les expressions confessionnelles, et n’encourageant ainsi personne, bien au contraire, à changer de chapelle, chacun ayant à vivre et accomplir, là où il se trouve providentiellement placé, son pèlerinage terrestre.

Il importe de comprendre que ce « christianisme transcendant » n’est pas une nouvelle religion, mais désigne les « lumières supplémentaires » éclairant le Credo selon l’expression de Maistre, participant de la « discipline de l’Arcane », ou tradition secrète, qui provient des premiers siècles du christianisme, dont parle saint Clément d’Alexandrie dans son « Gnostique » et que Fénelon décrit ainsi :

« La gnose, selon saint Clément, n’est point l’état des chrétiens ordinaires qui ont reçu la foi et la grâce de Dieu dans le baptême ; c’est quelque chose de bien plus pur et de plus sublime. À la vérité, ce n’est rien de distingué du christianisme ; mais c’est le comble de la perfection du christianisme où un petit nombre d’âmes est élevé […] il y a dans la gnose, outre les vertus sublimes que saint Clément y dépeint, un fond caché, un profond mystère, qu’il n’est pas permis de dévoiler, et qui demande la même économie que les mystères fondamentaux du christianisme. La gnose est au-dessus de l’état de foi ordinaire des justes ordinaires, comme la foi des justes ordinaires est au-dessus de la sagesse des philosophes païens. Voilà sans doute un état bien digne d’attention ; et le secret avec lequel il est voilé doit bien encore redoubler notre zèle pour l’approfondir [17]. »

Ainsi chaque membre du Régime Rectifié, nourri de l’enseignement d’une « doctrine » qui prend son origine dans les vérités du christianisme primitif et que l’institution ecclésiale a connues, avant de les combattre et les qualifier « d’hérésies » à partir du VIe siècle [18], peut donc se tranquilliser en considérant avec Joseph de Maistre, catholique s’il en est, que les dogmes « cachent » plus qu’ils ne protègent la vérité :

« Le christianisme, dans les premiers temps, était une vraie initiation où l’on dévoilait une véritable magie divine […] Bien loin que les premiers symboles contiennent l’énoncé de tous nos dogmes, les chrétiens d’alors auraient au contraire regardé comme un grand crime de les énoncer tous. Il en est de même des saintes Écritures : jamais il n’y eut d’idée plus creuse que celle d’y chercher la totalité des dogmes chrétiens : il n’y a pas une ligne dans ces écrits qui déclare, qui laisse seulement apercevoir le projet d’en faire un code ou une déclaration dogmatique de tous les articles de foi […] jamais l’Église n’a cherché à écrire ses dogmes ; toujours on l’y a forcée. La foi, si la sophistique opposition ne l’avait jamais forcée d’écrire, serait mille fois plus angélique : elle pleure sur ces décisions que la révolte lui arracha […] le Christ n’a pas laissé un seul écrit « à ses Apôtres. Au lieu de livres il leur « promit le Saint-Esprit. ‘‘C’est lui, leur dit-il, qui vous inspirera ce que vous aurez à dire’’ [19].»

Pensons donc en conséquence, que la « grande affaire » comme aimait à désigner Louis-Claude de Saint-Martin « l’initiation », pour les êtres cheminant sur les sentiers de la remontée vers les régions de l’invisible au sein du Régime Rectifié, n’est autre que de réaliser leur « unité » avec « l’Être éternel et infini », en se tenant éloignés des controverses « dogmatiques » absolument inutiles, de sorte d’accomplir ce pourquoi ils existent, c’est-à-dire, en tant que « fils de la lumière », manifester la vie du « Principe » ou « Agent suprême » : 

« L’homme n’existe que pour prouver qu’il y a un Agent suprême et démontrer, par sa propre lumière, au milieu des ténèbres de la création, l’existence de cet Agent suprême, ainsi que d’en convaincre tous ceux qui auraient voulu et voudraient la méconnaître [20]. »

Résonneront alors avec un sens singulièrement profond pour celui qui se sera approché, « en Esprit et en Vérité » (Jean IV, 24) de « l’Agent Suprême », imprégné de la « doctrine initiatique » qui lui aura permis de nourrir sa « connaissance » des mystères divins en déchirant le « voile » qui lui en dissimulait les « vérité » [21], les paroles délivrées au candidat lors de la réception du premier rayon de lumière :

« Mes Frères que la Joie règne désormais parmi nous. Le Fils de la Lumière s’était égaré dans les Ténèbres, il a été rappelé, il a été ramené, ses yeux ont été ouverts et les ténèbres se sont dissipées ! [22]»

« La doctrine initiatique

du Régime Écossais Rectifié

en dix leçons essentielles »

Éditions Dervy, 2022, 296 pages, 24 €.

Notes.


[1] J.-B. Willermoz, ms 5475 pièce 2, Bibliothèque Municipale de Lyon.

[2] Ibid.

[3] J.-B. Willermoz, Lettre à la Triple Union de Marseille, 1807 (« article secret à ma lettre du 1er septembre 1807 »), [° 173], BNF, fm 292.

[4] Sur ces questions, portant sur les liens profonds qui unissent historiquement, symboliquement et doctrinalement le « Régime Écossais Rectifié » et « l’Ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’Univers », on se reportera avec profit à l’étude récemment publiée consacrée au sujet : J.-M. Vivenza, Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, Vie, doctrine et pratiques théurgiques de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, Le Mercure Dauphinois, 2020.

[5] « Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent ! » (Matthieu XIII, 16).

[6] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, B.N.F., Ms. 512-541.

[7] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.

[8] Règle Maçonnique, op.cit., Art. II, § I, « Immortalité de l’âme ».

[9] Pour rappel : « ……..Je m’engage sur ma parole d’honneur, devant cette respectable assemblée […] de ne jamais révéler aucun des mystères, secrets et symboles de la Franc-maçonnerie, de quelque manière que ce puisse être, et de n’en parler à aucun homme que je n’aurai pas reconnu pour un vrai et fidèle maçon…» (Cf. « Formule de l’engagement des Apprentis », Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.).

[10] Cf. J.-B. Willermoz, Lettre à Son Altesse Sérénissime le Prince Charles de Hesse-Cassel, in É. Dermenghem, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), Les Sommeils, Paris, La Connaissance, 1926, p. 175-176.

[11] « Le nombre sénaire est celui par lequel le Créateur fit sortir de sa pensée toutes espèces d’images de formes corporelles apparentes qui subsistent dans le cercle universel. La Genèse n’enseigne-t-elle pas que Dieu a tout créé dans six jours ? […] Par ce même nombre, le Créateur fait sentir à sa créature, tant spirituelle que corporelle, la durée du temps que doit subsister la création universelle. Voilà quelle est la vertu du nombre sénaire et l’emploi que le Créateur en a fait. C’est par là que les sages ont acquis la connaissance du principe des formes et des bornes que le Créateur a mises à la durée de leur cours temporel et passif. C’est encore de là que nous apprenons que tout être corporel se réintégrera dans son premier principe d’émanation par le même nombre qui l’a produit. » (Traité, § 100).

[12] « Dès qu’il eut conçu d’opérer cet univers physique de matière apparente, le plan s’en présenta à son imagination divine, sous la forme d’un triangle équilatéral qu’il fit descendre en présence des esprits mineurs ternaires, auxquels il donna l’ordre de l’exécuter, en faisant usage des facultés qu’ils avaient innées en eux et suivant le plan qu’il leur présentait, au centre duquel était son Verbe ternaire que nous reconnaissons être le principe de la réaction universelle. » (Les Leçons de Lyon, n° 111).

[13] « Les six circonférences, les six jours de la création, les six pensées du Créateur par l’addition mystérieuse de la pensée, volonté et action. » (Les Leçons de Lyon, n° 113).

[14] « Nous disons que cet univers physique fut créé par le nombre sénaire que Moïse présente mystérieusement dans la Genèse sous l’image de six jours ; nombre dont nous sentons la justesse par la jonction du double triangle, car le véhicule inséré par les esprits de l’axe [feu central] dans chacune des trois essences fondamentales étant une émanation d’eux-mêmes et de leur propre essence était bien un principe d’action ternaire et de vie dans les corps, formant le triangle inférieur corporel et passif. Mais cette vie aurait resté comme nulle et sans mouvement, si elle n’eût été vivifiée elle-même par un principe supérieur aux êtres qui l’avaient insérée. C’est l’action de cet être supérieur sur le principe de vie passive qui a opéré cette vivification indispensable pour la vie et l’entretien des corps ; elle doit donc porter aussi avec elle son nombre ternaire particulier, puisqu’elle agit sur un nombre ternaire qu’elle embrasse complètement. Or, la réunion de ces deux ternaires forme bien le nombre sénaire qui a opéré la facture de cet univers physique et qui entretient la vie de tous les êtres corporels qui y sont renfermés ; ce qui nous est représenté par la jonction des deux triangles équilatéraux, dont l’un supérieur actif opère sans cesse la réaction de l’inférieur passif. C’est pourquoi nous donnons le nombre 3 aux esprits de l’axe producteur des principes corporels, ou essences fondamentales, et que nous donnons le nombre 6 aux esprits chargés par le Créateur d’entretenir la vie des corps, puisque ceux-ci participent à l’action des premiers, en réactionnant sans cesse sur le principe de vie qu’ils ont inséré dans les corps. » (Les Leçons de Lyon,  n° 111)

[15] Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié, de l’influence de la doctrine de Martinès de Pasqually sur Jean-Baptiste Willermoz, Le Mercure Dauphinois, 2010.

[16] Joseph de Maistre, Quatre chapitres inédits sur la Russie, Paris, Librairie Auguste Vaton, 1859.

[17] Fénelon, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie, in P. Dudon, Gabriel Beauchesne, 1930,  p. 164-165.

[18] « Toutes ces choses desquelles dérive un sentiment profond d’amour et de confiance, de crainte et de respect, et de vive reconnaissance de la créature pour son Créateur, ont été parfaitement connues des chefs de l’Église pendant les quatre ou six premiers siècles du christianisme. Mais depuis lors, elles se sont successivement perdues et effacées à un tel point qu’aujourd’hui […] les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité. » (J.-B. Willermoz, Lettre à Frédéric-Rodolphe Saltzmann, 3-12 mai 1812, éditée par et R. et C. Amadou in Renaissance Traditionnelle, n° 147-148, 2006, p. 202-203)

[19] J. de Maistre, Essai sur le Principe Générateur des constitutions politiques, § 15, P. Russand, Lyon, 1833, pp. 18-20 ; 22-23 ; 28. Robert Amadou prononça sur le sujet de la distance du Régime Rectifié vis-à-vis des « dogmes » – et leur soi-disant caractère « intangible » (sic) qui s’imposerait d’autorité à une doctrine de l’Ordre qui elle ne serait pas dotée de ce critère d’intangibilité -, quelques paroles qui pourraient être utilement méditées par certains : « Au sein du Régime Rectifié, le Verbe exprime l’essence du Logos qui s’exprime à son tour dans l’univers, l’univers exprimant toutes choses suivant le mode qui revient à chacune essentiellement. Sans début ni eschatologie. Le Verbe porte l’expression-langage ; l’Univers est l’expression de cette expression, expression-figure ou physionomie (ce thème classique d’une double expression se retrouve chez Eckhart, Dieu-Natura Naturata, s’exprime dans le Verbe, parole intérieure et silencieuse par essence), le Verbe s’exprime ainsi dans le monde en dehors de tous dogmes. En cela le Rectifié échappe aux dogmes et religions. » (Cf. Robert Amadou, i.O. Ab Aegypto, Conférence, Genève 1989).

[20] Leçons de Lyon,  n° 114.

[21] « Ce voile déchiré est le véritable type de la délivrance du mineur privé de la présence du Créateur. Il explique la réintégration de la matière apparente, qui voile et sépare tout être mineur de la connaissance parfaite de toutes les œuvres considérables qu’opère à chaque instant le Créateur pour sa plus grande gloire. Il explique le déchirement et la descente des sept cieux planétaires, qui voilent, par leur corps de matière, aux mineurs spirituels la grande lumière divine qui règne dans le surcéleste. Il explique encore la rupture de celui qui cachait et voilait à la plus grande partie des mineurs la connaissance des œuvres que le Créateur opère pour sa plus grande justice en faveur de sa créature. (Traité § 94).

[22] Rituel du Grade d’Apprenti, Régime Écossais Rectifié, 1802, op.cit.

Extrait d’une Conférence de Jean-Marc Vivenza, donnée à l’initiative du Centre de Recherche Philosophique Triple Union et Bienfaisance (D.N.R.F. – G.D.D.G.), sous l’égide du C.E.R.W.J.B. – Marseille, le 26 novembre 2022.

Entretien avec Jean-Marc Vivenza : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié »

In Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration on 2 janvier 2021 at 18:52

 

 

La parution de l’imposant volume (près de 1200 pages), du livre intitulé : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié » (Le Mercure Dauphinois, 2020), est un événement éditorial d’une nature tout-à-fait considérable, constituant sans aucun doute la recherche la plus aboutie n’ayant jamais été effectuée sur le sujet, depuis les travaux de René Le Forestier (1868-1951). Ce livre s’inscrit dans la suite des  « Élus coëns et le Régime Écossais Rectifié » (2010), et plus largement, d’une œuvre étendue de mise en lumière des perspectives métaphysiques portées par une franc-maçonnerie spécifique, celle du Régime écossais rectifié, fortement différenciée des systèmes dont elle précisa, dès ses prémisses au XVIIIe siècle, la nature inversée et « apocryphe ».

 1. Aux sources de la réforme willermozienne, se trouve le mystérieux transfert d’un « dépôt », qui est celui de la « doctrine de la réintégration ». Comment expliquer alors, que l’institution maçonnique, malgré sa méconnaissance de ces éléments, ait pu en constituer un possible réceptacle ?

Ce « dépôt », de nature doctrinale ne l’oublions-pas, ceci de l’aveu même de Jean-Baptiste Willermoz, fut connu de l’Église jusqu’au VIe siècle, puis fut perdu, voire combattu par une institution qui le considéra ensuite comme constitué « d’erreurs » contraires à l’enseignement fixé dogmatiquement par les conciles [1]

Le fondateur du Régime écossais rectifié, désigne ce « dépôt » évoqué sous le nom de « sublimes connaissances secrètes » relevant des « hauts Mystères de la religion » ; on mesure donc l’importance de cette source doctrinale qui suscita, à partir du VIe siècle, un rejet brutal de la part de l’Église, qui alla jusqu’à déclarer dogmatiquement, après avoir nié son existence, qu’elle était un tissu d’hérésies, ainsi que l’expose clairement Willermoz en divers endroits de ses écrits, dont ce passage démonstratif : « Faut-il donc s’étonner, si après avoir douté longtemps au point de nier fermement et dogmatiquement son existence, malgré les nombreux témoignages des saint pères de l’Eglise primitive, qui souvent dans leurs ouvrages parlent et agissent comme des initiés […] qu’une classe devenue la plus intolérante, la plus obstinée dans son système et la plus dangereuse, puisqu’elle se glorifie quelquefois de son ignorance ; ceux qui la composent […] s’abusent enfin jusqu’à vouloir persuader que tout ce qui n’est plus connu d’eux ni des professeurs de leurs premières études, est faux et illusoire, et n’est qu’un tissu d’erreurs et de nouveautés dangereuses contre lesquelles on ne saurait trop se tenir en garde [2]

Ainsi, après avoir transité à travers les âges sous diverses formes en s’entourant de voiles protecteurs, ce « dépôt doctrinal », considéré par l’institution ecclésiale comme des « erreurs », profitant de l’émergence en Europe des sociétés initiatiques à partir de la fin du XVIIe siècle, trouva dans la franc-maçonnerie un abri protecteur, et un surtout, ce point est capital, un cadre en mesure d’en assurer la pérennité grâce à l’apparition des systèmes de « Hauts Grades » chevaleresques dont le Chevalier de Ramsay (1686-1743) – tout d’abord disciple de Fénelon (1651-1715) qui le dirigea vers Madame Guyon (1648-1717) -, par son célèbre discours prononcé le 26 décembre 1736 à la loge de Saint-Jean à Paris, serait à l’origine.

Tel est le contexte dans lequel apparut Martinès de Pasqually (+ 1774) en France vers 1754, édifiant peu à peu son « Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers », en tant que structure « chevaleresque », « maçonnique » et « sacerdotale », ce que dit d’ailleurs de façon explicite son intitulé : « Chevaliers »,  « Maçons » et « Élus Coëns ».

De sa rencontre avec Martinès de Pasqually en avril 1767 à Versailles, et des sept années de leur relation, principalement épistolaire, jusqu’en septembre 1774, Jean-Baptiste Willermoz conserva une admiration jamais démentie à l’égard de l’enseignement découvert chez les Élus Coëns, et « opéra », le moment venu, après qu’ait disparu l’Ordre fondé par Martinès, et qu’il comprit que n’étant pas viable en ses formes il convenait de lui « substituer » un autre cadre adéquat, introduisit au sein de la Stricte Observance allemande, la « substance doctrinale » reçue auprès de Martinès, présence de cette « substance » qui explique d’ailleurs pourquoi le Régime, édifié lors du Convent des Gaules à Lyon en 1778, est devenu, depuis cette date, le « détenteur » et le « conservateur » du « dépôt » en quoi consistent les éléments doctrinaux portant sur la « la réintégration des êtres dans leur première propriété vertu et puissance spirituelle divine », n’ayant d’autre finalité que celle-là, d’où son organisation originale en système autonome et indépendant, se situant à distance des critères de la franc-maçonnerie andersonienne, considérée d’ailleurs comme étant de nature « apocryphe » par Martinès et Willermoz.    

2. Pour autant, le Régime Rectifié est, très majoritairement, placé sous tutelle des obédiences maçonniques, ou des juridictions fondées par ces administrations, au point d’avoir été réduit, de « conservatoire » de la doctrine qu’il était, au simple rang de « rite » ?

Les aléas de l’Histoire –disparition du Régime au XIXe siècle et son « réveil » tardif au XXe siècle en mars 1935 -, ont conduit à la situation que vous décrivez, c’est-à-dire d’une mise sous tutelle du Régime écossais rectifié de la part des obédiences maçonniques, situation, il faut bien l’admettre, qui est une totale aberration par rapport aux « principes » fixés lors du Convent des Gaules (1778) et du Convent de Wilhelmsbad (1782), par ailleurs « principes » précisés dans deux textes essentiels pour comprendre comment doit vivre le Régime, à savoir le « Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France », destiné à la classe symbolique, et le « Code Général des Règlements de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » pour la classe chevaleresque.

Tout s’y trouve si l’on veut connaître de quelle manière doit être organisé l’Ordre, mais force est de constater, à deux siècles et demi de la rédaction des « Codes » précités, que l’on est bien loin d’une pratique fidèle à ce qui fut édicté, pour ne pas dire à une impressionnante distance.

Le constat est d’ailleurs relativement sévère de ce que nous pouvons observer comme différents types de situations, le Régime  écossais rectifié étant placé dans un état de vassalisation par des obédiences dont il ne faut pas oublier qu’elles ne sont que des instances administratives profanes dénuées de qualifications, fonctionnant à partir de statuts associatifs placés sous la loi de 1901-, prétendant par l’usage de la réécriture de l’Histoire, ou par transformation des textes et des cadres organisationnels, avoir un « droit de propriété » sur une transmission qu’en réalité elles ne possèdent pas et qu’elles n’ont jamais possédée, avec les conséquences bien connues de ces fallacieuses prétentions : modifications arbitraires des rituels, libertés invraisemblables prises avec les règles fixées par les deux Codes fondateurs du Régime, interprétations fantaisistes des principes, oubli de la doctrine, voire sa négation ou son travestissement pur et simple, longue liste des multiples erreurs et trahisons qui sont devenues, hélas ! la triste et affligeante réalité du monde rectifié contemporain.

D’où l’importance d’avoir entrepris en ce début de XXIe siècle, en considérant que les choses ne pouvaient plus perdurer à l’identique éternellement, une « réforme » de la « Réforme de Lyon », soit en terme clair, avoir agi dans le sens d’une « Refondation » visant à ramener, autant que faire se peut, le Régime écossais rectifié à la forme organisationnelle qui devait être la sienne en le libérant des obédiences, et, dans un horizon plus lointain car tout ceci demandera du temps, favoriser les conditions d’un retour à « l’unité » à laquelle aspire ce système depuis 1778, ainsi que le stipule l’Introduction du Code Maçonnique : « Des Maçons de diverses contrées de France, convaincus que la prospérité et la stabilité de l’Ordre Maçonnique dépendaient entièrement du rétablissement de cette unité primitive […] Avec du zèle et de la persévérance ont surmonté tous les obstacles, et en participant aux avantages d’une administration sage et éclairée, ils ont eu le bonheur de retrouver les traces précieuses de l’ancienneté et du but de la Maçonnerie [3] 

3. Dans votre ouvrage, est abordée la question axiale de la « nécessité » dans l’œuvre contrainte de la Création, qui préside à toute l’ontologie de la réintégration. Or, cet élément « clé » de l’ensemble du corpus métaphysique, sous-tendant l’enseignement légué par les élus coëns, semblait jusqu’ici relativement peu abordé. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?

On croit souvent, en raison des conséquences qu’eut la mise en lumière par mes soins des aspects théoriques problématiques des thèses martinésiennes et willermoziennes, que c’est à l’occasion de la mise en ligne en mai 2012, d’un texte portant sur « Le Régime Écossais Rectifié et la doctrine de la matière », puis la publication, en octobre de la même année, d’une étude plus développée ayant pour titre « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale), qu’un soudain regard s’est porté vers cette notion de « nécessité », alors qu’étrangement tous les auteurs qui s’étaient penchés auparavant sur le sujet  de l’enseignement martinésien depuis plusieurs décennies (dont les principaux furent René Le Forestier, Gérard van Rijnberk et Robert Amadou), passèrent complètement sous silence cette question, ou plus simplement l’ignorèrent, alors qu’elle occupe une place évidemment centrale et déterminante dans l’ontologie des Élus Coëns, devenue à la faveur de l’Histoire celle du Régime Rectifié.

Pourtant, dès mes premières lectures du « Traité sur la réintégration des êtres » de Martinès (dans l’édition publiée chez Robert Dumas en 1974), alors que j’intégrais un cursus en philosophie après un passage par le séminaire, et ayant, par ailleurs, baigné depuis l’enfance dans un environnement religieux de sensibilité augustinienne où la question de l’absolue « gratuité de la grâce » était prise très au sérieux, la présence de cette « nécessité » dans l’exposé de ce qui motiva la création de l’Univers matériel, m’est immédiatement apparue comme un élément problématique, quoique fondamental dans la conception doctrinale martinésienne, « élément » à partir duquel se déploie l’ensemble des thèses propres au Traité, puisque non seulement, selon Martinès le monde a été façonné pour être une « geôle » ayant pour fonction d’enserrer le mal dans des limites précises, une cellule close capable de ligoter les esprits révoltés les enchaînant dans un lieu fixe en forme de prison hermétique, mais, de plus, si la prévarication des esprits angéliques n’avait pas eu lieu l’Éternel – proposition radicalement opposée à ce que dit et affirme l’Église de façon impérative et dogmatique -,  n’aurait pas été dans l’obligation d’en ordonner la création.

Ce qui est donc à souligner dans la thèse de Martinès, c’est que la création « contrainte » de cet univers matériel s’imposa au Créateur contre sa volonté, ce dernier se voyant dans la « nécessité » de faire « force de loi », c’est-à-dire d’avoir été « forcé » et « obligé » (Traité § 42) de produire un univers matériel qui n’avait été ni envisagé, ni prévu, et encore moins désiré à l’origine dans la pensée divine :  « […] cet univers fut formé par la toute-puissance divine pour être l’asile des premiers esprits pervers et la borne de leurs opérations mauvaises…» (Traité, § 6.)

L’ontologie de la doctrine de la réintégration, qui est aujourd’hui l’enseignement central du Régime écossais rectifié – car l’introduction, lors des Leçons de Lyon, de la dimension trinitaire et de la double nature du Christ n’a en rien modifié les fondements principiels de la conception martinésienne de la Création -, participe donc d’un cadre général pour le moins délicat au regard de ce que soutient l’Église en ces domaines, cadre que l’on peut, sans peine, décrire comme étant étranger à « l’Amour » et non placé sous le sceau de la « Charité » – notions absentes du Traité sur la réintégration -, mais de la « nécessité », puisque sans la prévarication des anges rebelles, jamais l’Univers matériel n’aurait été créé, ainsi que le soutient Martinès en des termes qui ne laissent place à aucune contestation : « Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, il n’y aurait eu aucune émancipation d’esprits hors de l’immensité, il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni aucun esprit envoyé pour actionner dans les différentes parties de la création […] les esprits mineurs ternaires n’auraient jamais quitté la place qu’ils occupaient dans l’immensité divine, pour opérer la formation d’un univers matériel.» (Traité, § 237.)

*

Il est en conséquence évident – et le nier relève soit de l’ignorance, ou bien de la cécité volontaire participant d’une très grossière « mauvaise foi » [4] -, qu’on se trouve avec Martinès aux antipodes de l’acte gratuit de Création provenant de la pure « Charité » qui ne connaît, antérieurement, aucune raison déterminante, ni bien sûr n’ayant été effectué sous la force d’une quelconque « contrainte », puisque l’acte créateur pour Dieu, selon les pères de l’Église, et ceci sans aucune exception, est exempt de tout caractère de « nécessité » puisqu’il est entièrement libre, uniquement motivé par l’Amour et n’est consécutif, ni ne répond, à nul évènement antécédent [5].

Dieu, si l’on évoque bien sûr le « Dieu de la Révélation » biblique et non un quelconque idolâtrique « démiurge », est absolument libre, Tout-Puissant, non soumis à une action créatrice qui se serait imposée à lui de façon nécessaire. 

Notons à cet égard, qu’il fut d’ailleurs assez curieux d’avoir eu à préciser ces points faisant difficulté, suscitant des réactions irrationnelles qui témoignaient de la brutalité d’un « réveil » à la réalité des faits, auprès de francs-maçons se déclarant à qui voulait l’entendre comme « chrétiens » (sic), et qui auraient dû être, un minimum, instruits des bases élémentaires de la « foi » à laquelle ils prétendaient adhérer, et qu’ils s’évertuaient par ailleurs à proclamer avec une énergique emphase missionnaire ; mais il est vrai qu’en ces domaines, où il apparut que régnait en maître le mépris à l’égard de l’authenticité doctrinale martinésienne et willermozienne et où l’on cultivait, sans honte excessive et une singulière absence de scrupule, une tendance certaine pour les forgeries initiatiques, on en était plus à une contradiction prêt…

Du point de vue chronologique, c’est dès 2006, dans l’appendice I, du « Martinisme, l’enseignement des maîtres » (Le Mercure Dauphinois), intitulé : « Le statut ontologique de la matière, ou le problème doctrinal et dogmatique de son caractère « nécessaire » selon Martinès », que fut longuement développé ce qui apparaissait comme un vrai problème théorique pour la « foi commune de l’Église » :

 « Incontestablement, la grande difficulté des thèses martinésiennes se situe dans l’explication de l’épisode de la constitution du monde matériel. Pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui conservent en mémoire la fameuse phrase du texte de la Genèse : « et Dieu vit que cela était bon…. », que l’on retrouve à certaines des étapes de l’édification de l’Univers dans la Sainte Écriture, il peut sembler curieux de découvrir, sous la plume de Martinès, une présentation de la création du monde matériel répondant à une « nécessité » quasi impérative métaphysiquement, puisqu’elle fut décidée par Dieu pour servir de prison aux esprits déchus et  révoltés […] Nous sommes là, reconnaissons-le, bien loin de la gratuité, de la généreuse libéralité du Créateur qui dispensa, sans nécessité aucune, les bienfaits de sa toute puissance, qui souhaita même, par amour, le bonheur des êtres et des choses en les faisant émerger de la possibilité en les constituant et façonnant de ses propres mains. En effet, affirmer comme le fait Martinès, que « Le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet univers physique », signale positivement, dans l’acte divin, une évidente « nécessité » qui ne répondait pas initialement aux intentions de Dieu ; quelque chose qui lui fut imposé quasiment contre son gré, contre sa primitive volonté. Le monde, « l’univers physique », fut ainsi créé, non pour rayonner d’une joie participative et faire surgir du néant, en les portant à l’être, les pensées contenues dans l’esprit de Dieu, mais, bien au contraire, pour emprisonner, ligoter, être un « lieu fixe », une cellule et une enceinte où les esprits pervers, contraints par les étroites limites des « affreux abîmes de la matière » (Traité, 138), demeureraient dans une « privation » protectrice, pouvant, dans ces conditions hostiles et humiliantes, développer, sans trop de danger pour le Ciel, les capacités de leur « malice » [6]. »

*

À l’époque, c’est-à-dire en mai 2005 exactement, Robert Amadou (1924-2006) m’écrivait en qualifiant ce livre de « très précieux, très fin, et très solide compendium martiniste [7]», mais le temps n’était visiblement pas encore venu pour que cet éclairage, sur la place occupée par la notion de « nécessité » chez Martinès et Willermoz, produise son effet. Il aura donc fallu les réactions disproportionnées de l’année 2012 qui accompagnèrent la publication de « La doctrine de la réintégration des êtres »[8], pour que tout à coup, et avec une force surprenante, cette question devienne déterminante dans les débats, ceci expliquant pourquoi dans l’actuel ouvrage qui vient de paraître, il lui est consacré un examen relativement important, en faisant la synthèse générale sur ce qui pouvait être précisé à ce sujet [9].

Il apparaît donc qu’il est désormais devenu difficile – et il faut s’en féliciter pour la juste compréhension des données théoriques touchant à l’enseignement se trouvant dans les « instructions secrètes » du Régime écossais rectifié réservées, certes, à la classe non-ostensible, mais qui sont cependant infusées dans l’ensemble des connaissances délivrées à tous les grades -, d’aborder la doctrine martinésienne en faisant l’impasse sur la notion centrale de « nécessité » accompagnée de celle « d’émanation » qui en fixe préalablement le cadre général.

Car en effet, au regard de la doctrine martinésienne, et willermozienne qui lui est semblable à cet égard :

  • 1°) C’est en raison de cette « nécessité » que fut constitué l’Univers, réalisé en « toutes ses parties exécutées et conservées par des agents ou causes secondaires » [10], c’est-à-dire par des « esprits intermédiaires » et non directement par Dieu, que le Régime rectifié regarde de façon dépréciative la matière et tout ce qui participe de ses « vapeurs grossières » (sic), et  qu’il considère que la Création dans son ensemble est « d’une nature absolument étrangère à toute opération in­finie divine ».
  • 2°) C’est de même, toujours par la loi de cette « nécessité » qu’Adam fut émané, « venu dans l’Univers pour être l’agent spécial de la justice irritée contre les coupables », mais qu’ayant trahi sa mission par sa désobéissance, il fut transmué « en similitude des animaux terrestres », revêtu d’un « corps matériel corruptible, avec lequel il vint ramper sur la surface terrestre ».
  • 3°) C’est encore cette « nécessité » qui explique « la violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », faisant que la Création est vouée irrémédiablement, et entièrement, de par son caractère « ténébreux et contraire à l’essence divine », à la disparition, afin qu’elle soit définitivement anéantie pour qu’il n’en subsiste aucune « apparence », sachant que « tous les êtres matériels, ou doués d’une âme passive, périront et s’effaceront totalement, n’étant que des produits d’actions secondaires ».
  • 4°) Enfin, la « nécessité » qui présida à l’émanation du premier Adam qui « transmua » ensuite, par sa prévarication, son état glorieux en un vil corps animal « enchaîné dans un séjour ténébreux », impose logiquement que soit rejetée, post mortem, la croyance en la résurrection de la chair, « car toute forme de matière doit infailliblement se détruire et se décomposer », le Divin Réparateur universel lors de sa Résurrection « ayant dépouillé dans le tombeau tout ce qui appartient corporellement au vieil homme […] se donnant pour modèle à tous ceux qui aspirent à rentrer dans leurs droits pri­mitifs », montrant de la sorte que les âmes émanées sont appelées à une destination immatérielle de nature purement spirituelle, lorsqu’elles rejoindront, à la fin des temps, en étant passées auparavant par les cercles de purification, « l’Unité originelle » de l’immensité divine.

4. L’examen théorique des éléments de doctrine, se double d’une clarification détaillée des difficultés soulevées par l’enseignement et le système de Martinès de Pasqually. Quelles sont les grandes lignes de ces éclairages ?

Nous venons d’y faire allusion. Ces difficultés peuvent se résumer aisément tant la distance est grande entre les thèses de Martinès, adoptées par Willermoz et introduites à l’intérieur du corpus doctrinal du Régime écossais rectifié, et l’enseignement ecclésial.

Un simple rappel des principaux points de la « doctrine de la réintégration », permet d’en faire comprendre, plus que de longs discours, son originalité, puisque la chronologie de ce système cosmogonique – chronologie qu’il importe de respecter pour en comprendre l’ontologie interne et ne point se laisser entraîner dans des reconstructions imaginaires -, est constituée de sept temps distincts et successifs, liés et interdépendants, qui sont les suivants :

  • 1°) Émanation des esprits pour contribuer à la gloire de Dieu ;
  • 2°) Révolte des esprits rebelles, jalousant le Créateur et cherchant à l’égaler dans son pouvoir et sa puissance ;
  • 3°) Création « nécessaire » du monde matériel à l’instant de la prévarication des anges, s’imposant à l’Éternel, effectuée par des esprits inférieurs, afin d’être un lieu fixe pour y emprisonner les démons ;
  • 4°) Adam est émané en conformité d’essence avec les êtres spirituels, puis émancipé par décision divine pour œuvrer à la réconciliation des anges rebelles ;
  • 5°) Adam trahissant à son tour sa mission, est condamné à vivre dans le monde matériel dans une enveloppe charnelle identique à celle des animaux ;
  • 6°) La dégénérescence et la dégradation d’Adam le réduit à l’état animal, et lui impose un long et éprouvant travail de réconciliation de sorte de se libérer de l’emprise des « fers de la matière » ;
  • 7°) La fin des temps – consistant au préalable en l’anéantissement de l’ensemble du composé matériel et la dissolution définitive des éléments créés, et non pas l’espérance en une quelconque « résurrection de la chair » -, correspondra au retour au sein de « l’Unité divine » des êtres émanés et l’accomplissement de la « réintégration universelle ».

Or ce scénario, pénétré à la fois d’influences néoplatoniciennes, gnostiques et origéniennes, rentre en contradiction directe avec la conception de la Création d’après l’enseignement traditionnel de l’Église – rappelons-le enseignement participant de la « foi commune » de toutes les confessions chrétiennes -, qui fonde son origine sur la pleine liberté et l’absolue gratuité du « don d’amour » de Dieu dans l’œuvre créatrice, ceci en fidélité avec le récit biblique, extrait du livre de la Genèse, des sept jours, où l’on voit Dieu initialement décider de créer le monde, « ex nihilo », par un « commencement » précédé de strictement rien d’autre, que de la seule et unique volonté du Créateur : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse I, 1). C’est ce sur quoi insistent tous les auteurs ecclésiastiques depuis les premiers siècles du christianisme.

On peut donc constater que Willermoz, catholique connaissant pourtant bien sa religion, ne suivit pas le récit biblique, mais au contraire accepta la chronologie martinésienne dans sa présentation de la raison qui conduisit Dieu, par « nécessité », à décider de la Création du monde matériel : « L’univers physique temporel est un espace immense et incommensurable, créé par le Tout-puissant à l’instant même de la prévarication des anges rebelles pour la manifestation de sa gloire, de sa puissance et de sa justice, et pour être le lieu d’exil et de privation des prévaricateurs. Cet espace est borné et environné de toute part par une immense circonférence ignée et impénétrable, dénommée philosophiquement axe feu central, formée par la multitude des esprits inférieurs demeurés fidèles qui reçurent ordre du créateur de défendre contre toute contraction démoniaque pendant la durée des temps fixée par la justice. » (J.-B. Willermoz, 9ème Cahier) [11].

La conception doctrinale martinésienne et willermozienne nous permet, à cet égard, de ne pas interpréter la situation présente comme manifestant une accélération vers les ténèbres, car le néant n’est pas relatif à une période déterminée – comme s’il y avait eu, en ce monde matériel, un temps antérieur édénique de pure lumière -, expliquant pourquoi le « nihilisme » n’est pas un phénomène propre à un temps particulier, puisque traversant, dès l’origine, la totalité de l’Histoire qui apparait après la révolte des anges et à la faute adamique, ainsi que le souligna Joseph de Maistre (1753-1821) : « Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n’est à sa place […] Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses [12].» Il n’y a  donc pas, de ce point de vue, d’extériorité par rapport au déterminisme ontologique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’alternative, de nostalgie à nourrir d’un avant ou d’un après, car c’est l’existence elle-même, par delà les époques, qui est plongée dans « l’abîme » du nihil (rien), confrontée, depuis le péché originel, au délaissement, l’éloignement de la Divinité et l’angoisse de la finitude et de la mort.

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Il y a en conséquence une différence fondamentale entre deux perspectives antagonistes, deux approches divergentes de la conception du monde créé :

  • La première est conforme au récit biblique, elle se fonde sur un acte créateur participant de la bonté et de la divine « Charité », laissant cependant l’esprit face à l’énigme que représente un Dieu bon, et en théorie Tout-Puissant, incapable d’avoir prévu la trahison des anges puis celle d’Adam, et qui semble depuis ces événements tragiques, être victime et soumis face au négatif, impuissant à s’opposer et empêcher les horreurs de ce monde.
  • L’autre, martinésienne et willermozienne, qui considère que le monde créé est consécutif à une « violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », permettant d’expliquer, par la lutte irréductible originelle entre les forces des ténèbres et la Divinité, la présence massive du mal en notre région terrestre, ceci en parfait accord avec la déclaration de saint Jean : « Le monde entier est sous la puissance du malin. » (1 Jean V, 19).

Il faut donc choisir, soit suivre l’enseignement de l’Église et souscrire aux déclarations conciliaires en adhérant à ce qu’enseignent les pères et les docteurs qui édifièrent les canons qui forment aujourd’hui les bases dogmatiques de la « foi » chrétienne officielle, et vivre, dès lors, son rapport à la pratique religieuse en étant fidèle, et honnêtement en harmonie, avec ce que soutiennent les autorités ecclésiastiques romaines, orthodoxes ou réformées au sujet de la Création du monde participant d’un don et de la pure « Charité », autorités qui nient catégoriquement que le monde ait été  une  manière pour Dieu de sanctionner une faute, le résultat d’une chute et la conséquence d’une tragédie, considérant l’excellence de la réalité physique, cosmique et biologique, insistant sur la perfection originelle primitive de l’existence humaine cor­porelle, c’est-à-dire la « chair » qui est appelée à ressusciter pour bénéficier de l’incorruptibilité éternelle.

Ou bien considérer que la doctrine ésotérique willermozienne provient d’un courant spirituel très ancien, qui a été combattu puis écarté par l’Église à partir du VIe siècle, que Joseph de Maistre désigna sous le nom de « christianisme transcendant », et qu’il convient de se tenir à distance des positions ecclésiales dogmatiques, en respectant fidèlement le « dépôt » doctrinal qui a été confié au Régime écossais rectifié, et en le conservant sans aucune altération, ce qui est d’ailleurs le devoir impérieux de ceux admis dans la classe non-ostensible et secrète du Régime rectifié depuis sa fondation, sachant que la doctrine de l’Ordre « remonte jusqu’à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre des initiés […] Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous [13]

5. Malgré ce solennel appel de Willermoz à la conservation du dépôt initiatique et doctrinal, la lecture des questions soulevées dans les Appendices de l’ouvrage, signale toutefois, avec une certaine exigence, les égarements spirituels d’initiatives contemporaines se réclamant de l’héritage martinésien et willermozien ?

Les égarements évoqués, qui font l’objet d’un examen rigoureux dans l’Appendice VI du livre « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz » : « Les tentatives de « réveil » de l’Ordre des Élus Coëns au XXe siècle : examen des critères de validité des « néo-coëns » contemporains » (pp. 1063-1114), sont à effets multiples, mais ont une double origine, puisque ayant tout d’abord été consécutifs au « réveil » du Régime écossais en France en 1935, puis à la tentative de reconstitution de l’Ordre des Élus Coëns à Paris, en 1942/1943, tentative connue sous le nom de « résurgence ».

L’héritage de Martinès et Willermoz – dont la présente étude publiée montre avec précision la source et les diverses étapes de son édification -, fit ainsi l’objet, à partir des dates précédemment indiquées, de profondes trahisons des intentions premières qui présidèrent à la création, respectivement, de l’Ordre des Élus Coëns, puis du Régime écossais rectifié, héritage subissant depuis lors des déviances singulièrement significatives.

S’agissant du Régime écossais rectifié, ce qui a été dit plus haut à propos de la captation au XXe siècle par les obédiences maçonniques du système fondé par Jean-Baptiste Willermoz, explique les libertés prises avec les règles et les lois qui devaient s’appliquer afin de respecter les formes et l’organisation architecturale définies et fixées lors des Convents des Gaules (1778) et de Wilhelmsbad (1782), mais également permet de comprendre la raison des positions extravagantes observées vis-à-vis de la doctrine interne de l’Ordre, positions allant de l’indifférence ignorante à la volonté de plier les thèses contenues dans les instructions secrètes – en les passant au tamis d’interprétations arbitraires relevant le plus souvent d’un verbiage issu d’opinions subjectives et d’illusions argumentaires -, à des vues personnelles fantaisistes et confessionnelles, de manière à parvenir à une « harmonie » (sic), considérée comme déjà acquise ou ayant à être réalisée, avec les dogmes de l’Église. Ainsi, le triste spectacle offert par l’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Rectifié, permet de se rendre compte, assez rapidement, de ce qu’ont produit comme conséquences désastreuses l’irrespect à l’égard des principes organisationnels et le mépris des vérités de l’enseignement doctrinal révélé au XVIIIe siècle.

Quant à la prétendue « résurgence » de l’Ordre des Élus Coëns, dont Georges Bogé de Lagrèze (1882-1946), Robert Ambelain (1907-1997) et Robert Amadou sont à l’origine en 1942/1943, on est en présence de ce qui relève objectivement d’une « fable » singulièrement problématique, dont les effets nocifs n’ont eu de cesse de polluer un milieu initiatique assez perméable en la matière, souvent peu regardant sur les critères de crédibilité, Ambelain s’étant cru autorisé à forger une pseudo « Grande Profession » factice avec un rituel de son invention en s’appuyant sur la transmission imaginaire de soi-disant « Grand Profès » (sic) de Lagrèze, se proclamant, de plus, le « Grand Souverain » d’un Ordre « néo-coën », après que ledit Lagrèze, considérant que la plaisanterie était sans doute allée un peu trop loin, décide de se démettre de sa charge dès le 8 mai 1945. Pourtant cette « fable » poursuit encore de nos jours, malgré son absence totale de légitimité, son œuvre délétère à la périphérie immédiate du Régime écossais rectifié, d’où le caractère de salubrité spirituelle de sa dénonciation en tant qu’objective et scandaleuse « contrefaçon » initiatique.  

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Certes tout ceci pourrait être considéré comme participant des aléas de l’Histoire pour la situation de la Réforme de Lyon, ou relevant d’une grotesque plaisanterie s’apparentant à une forgerie participant de la catégorie « pseudo » quant aux fallacieuses prétentions des « néo-coëns », si les enjeux n’étaient pas si importants, puisqu’il est question, si l’on prend évidemment au sérieux la perspective de la « voie » mise en lumière par Martinès de Pasqually et dont la Régime écossais rectifié, grâce à Jean-Baptiste Willermoz, est désormais le dépositaire ainsi que le voulut la Divine Providence, consistant en la continuité ininterrompue d’un enseignement doctrinal et d’un rattachement provenant, non pas seulement des premiers temps du christianisme mais, plus loin encore [14], des premiers âges de l’histoire patriarcale [15], sur lesquels la classe secrète de « l’Ordre substitué », soit en termes clairs l’unicum necessariumc’est-à-dire l’écrin de « l’Ordre mystérieux » ou « Haut et Saint Ordre » primitif, perpétuel et fondamental -, a pour devoir impératif de veiller, avec piété, dans le silence, l’humilité et le retrait du monde, de sorte que s’accomplisse dans le « Tabernacle » situé dans le « Sanctuaire intérieur », la « réintégration » de l’homme dans sa « première propriété vertu et puissance spirituelle divine », en le conduisant des ténèbres de la « réalité matérielle apparente » à la « Lumière » de l’Être Éternel et Infini.

 

Martinès de Pasqually et  Jean-Baptiste Willermoz

Commande du livre :

Le Mercure Dauphinois, 2020, 1184 pages.

Notes.

[1] Il n’est sans doute pas inutile d’insister sur le fait que l’affirmation de la « perte » par l’Église « depuis le VIe siècle », de la doctrine selon la formulation de Jean-Baptiste Willermoz, concerne l’ensemble des confessions chrétiennes, d’Orient comme d’Occident, qui ont adopté les décisions dogmatiques des sept premiers conciles, et non en particulier l’une d’entre elles, car toutes souscrivent aux positions définies par le deuxième concile de Constantinople (553), et notamment les anathèmes prononcés contre les thèses d’Origène – préexistence des âmes, état angélique d’Adam avant la prévarication, incorporisation d’Adam et sa postérité dans une forme de matière dégradée et impure en conséquence du péché originel, dissolution finale des corps et du monde matériel, etc. -, anathèmes qui conservent donc toute leur force d’application sur le plan théologique et dogmatique.

[2] J.-B. Willermoz, Cahier D.5, « Des vrais moyens de parvenir à la connaissance de Dieu, soit par l’étude des traditions religieuses écrites, et de celles non écrites, soit par un examen de l’homme considéré approfondi de la propre nature comme image et ressemblance de son créateur ».

[3] Cf. « Introduction », Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France, 1778.

[4] S’agissant des raisons de cette ignorance volontaire relevant d’une « mauvaise foi » qui n’a pas craint le ridicule dans ses maladroites démonstrations, mise au service d’une orientation déviante qui eut pour ambition de soumettre le Régime écossais rectifié à des vues confessionnelles, tout en cultivant secrètement des pratiques « néo-coëns » issues de transmissions occultistes pour le moins sulfureuses, on se reportera au chapitre XII de lHistoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, La Pierre Philosophale, 2017, pp. 329-361.

[5] Saint Augustin insiste fortement sur l’absence de toute contrainte qui se serait exercée sur Dieu en l’obligeant à modifier ses plans afin de créer le monde, car il n’y a aucun changement ni nouveauté de décision en Dieu : « La volonté de le créer a été éternelle en Dieu […] qu’on ne croie qu’il ne lui soit venu tout d’un coup quelque chose en l’esprit qu’il n’avait pas eu auparavant, c’est-à-dire une volonté nouvelle de créer le monde, bien que son esprit ne soit capable d’aucun changement…» (La Cité de Dieu, T. 2, Gille Libraire, Bourges, 1818, Livre X, ch. IV, pp. 298-299).

[6] Cf. Le Martinisme, l’enseignement des maîtres, Appendice I, Le Mercure Dauphinois, 2006, pp. 199-200.

[7] Cf. L’Esprit du saint-martinisme, Annexe IV : « Courrier de Robert Amadou, suite à la transmission du manuscrit du « Martinisme, l’enseignement secret des maîtres », 4 mars 2005 », La Pierre Philosophale, 2020, pp. 533-535.

[8] Cf. Martinès de Pasqually et la doctrine de la réintégration des êtres, 1ère Part., Création nécessaire, transmutation du mineur spirituel et dissolution de la matière chez Martinès de Pasqually, « Ch. II. Le caractère « nécessaire » de la Création pour Martinès » ; « Appendice II, Émanation et Création chez Martinès, b) Caractère nécessaire de la création de l’univers matériel physique ; f) Adam a été émané sous une « forme glorieuse » par nécessité, afin d’être le « député » de l’Éternel ; h) Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, La Pierre Philosophale, 2012, pp. 66-70 ; 173-196.

[9] Cf. Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié, 1ère Partie, Ch. II, c) « Caractère « nécessaire » de la création matérielle, et notion de « nécessité » présidant à l’ontologie martinésienne de la création », Le Mercure Dauphinois, 2020, pp. 83 à 101. 

[10] Les passages en italique placés entre guillemets dans les 4 points signalant la place centrale de la notion de « nécessité » dans l’enseignement doctrinal du Régime écossais rectifié – les lecteurs avertis les auront aisément reconnus et identifiés -, sont de la plume de Jean-Baptiste Willermoz (cf. MS 5916 Bibliothèque Municipale de Lyon).

[11] Cependant, conscient de la difficulté de la conception martinésienne faisant de la Création, non une manifestation de l’amour divin mais une réponse imposée par « nécessité » à la révolte des démons, Willermoz inféra un passage de l’Apocalypse (XII, 7 ss.), qui concerne la fin des temps, à des événements qui se seraient produits à l’origine : « L’archange Lucifer ayant consommé par l’acte de sa volonté le crime de sa pensée orgueilleuse, et entraîné avec lui la multitude de ses adhérents […] À l’instant même, Dieu créa l’espace universel hors de son immensité […] L’espace universel fut donc créé pour être le lieu d’exil, de séparation et de punition des êtres coupables qui étant indestructibles par leur nature, ne pouvaient plus être anéantis […] Au premier Signe de la volonté du Tout-puissant, Lucifer devenu Satan, fût précipité avec ses adhérents dans les abîmes de l’espace […] C’est cet événement dont St. Jean fait mention dans le chapitre XIIe de son Apocalypse, où il fait la description d’un grand combat de l’archange Michaël et ses anges, contre le Dragon et ses Anges, qui trop faibles contre lui furent précipités du ciel en terre, et ne parurent plus dans le ciel […] Pour bien concevoir la destination principale de ce grand œuvre il faut ne pas perdre de vue que le vrai et principal but de la création de l’espace universel et de tout ce qu’il contient fut la punition des esprits prévaricateurs, qu’ils y furent précipités pour une éternité… » (J.-B. Willermoz, 8ème Cahier).

[12] J. de Maistre, Œuvres Complètes, t. I, p. 39.

[13] J.-B. Willermoz, Ms 5.475, BM Lyon.

[14] « La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours. » (J. de Maistre, Mémoire inédit au duc de Brunswick, 1782),

[15] « Le vrai culte s’est fait dans les 3 régions de la terre : 12 Patriarches israélites, 12 Patriarches ismaélites, 12 Apôtres, et le Christ faisant le centre…» (L.-C. de Saint-Martin & J.-J. du Roy d’Hauterive, Leçon n°54, 22 juillet 1775).