Régime Écossais Rectifié

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Entretien avec Jean-Marc Vivenza : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié »

In Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration on 2 janvier 2021 at 18:52

 

 

La parution de l’imposant volume (près de 1200 pages), du livre intitulé : « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié » (Le Mercure Dauphinois, 2020), est un événement éditorial d’une nature tout-à-fait considérable, constituant sans aucun doute la recherche la plus aboutie n’ayant jamais été effectuée sur le sujet, depuis les travaux de René Le Forestier (1868-1951). Ce livre s’inscrit dans la suite des  « Élus coëns et le Régime Écossais Rectifié » (2010), et plus largement, d’une œuvre étendue de mise en lumière des perspectives métaphysiques portées par une franc-maçonnerie spécifique, celle du Régime écossais rectifié, fortement différenciée des systèmes dont elle précisa, dès ses prémisses au XVIIIe siècle, la nature inversée et « apocryphe ».

 1. Aux sources de la réforme willermozienne, se trouve le mystérieux transfert d’un « dépôt », qui est celui de la « doctrine de la réintégration ». Comment expliquer alors, que l’institution maçonnique, malgré sa méconnaissance de ces éléments, ait pu en constituer un possible réceptacle ?

Ce « dépôt », de nature doctrinale ne l’oublions-pas, ceci de l’aveu même de Jean-Baptiste Willermoz, fut connu de l’Église jusqu’au VIe siècle, puis fut perdu, voire combattu par une institution qui le considéra ensuite comme constitué « d’erreurs » contraires à l’enseignement fixé dogmatiquement par les conciles [1]

Le fondateur du Régime écossais rectifié, désigne ce « dépôt » évoqué sous le nom de « sublimes connaissances secrètes » relevant des « hauts Mystères de la religion » ; on mesure donc l’importance de cette source doctrinale qui suscita, à partir du VIe siècle, un rejet brutal de la part de l’Église, qui alla jusqu’à déclarer dogmatiquement, après avoir nié son existence, qu’elle était un tissu d’hérésies, ainsi que l’expose clairement Willermoz en divers endroits de ses écrits, dont ce passage démonstratif : « Faut-il donc s’étonner, si après avoir douté longtemps au point de nier fermement et dogmatiquement son existence, malgré les nombreux témoignages des saint pères de l’Eglise primitive, qui souvent dans leurs ouvrages parlent et agissent comme des initiés […] qu’une classe devenue la plus intolérante, la plus obstinée dans son système et la plus dangereuse, puisqu’elle se glorifie quelquefois de son ignorance ; ceux qui la composent […] s’abusent enfin jusqu’à vouloir persuader que tout ce qui n’est plus connu d’eux ni des professeurs de leurs premières études, est faux et illusoire, et n’est qu’un tissu d’erreurs et de nouveautés dangereuses contre lesquelles on ne saurait trop se tenir en garde [2]

Ainsi, après avoir transité à travers les âges sous diverses formes en s’entourant de voiles protecteurs, ce « dépôt doctrinal », considéré par l’institution ecclésiale comme des « erreurs », profitant de l’émergence en Europe des sociétés initiatiques à partir de la fin du XVIIe siècle, trouva dans la franc-maçonnerie un abri protecteur, et un surtout, ce point est capital, un cadre en mesure d’en assurer la pérennité grâce à l’apparition des systèmes de « Hauts Grades » chevaleresques dont le Chevalier de Ramsay (1686-1743) – tout d’abord disciple de Fénelon (1651-1715) qui le dirigea vers Madame Guyon (1648-1717) -, par son célèbre discours prononcé le 26 décembre 1736 à la loge de Saint-Jean à Paris, serait à l’origine.

Tel est le contexte dans lequel apparut Martinès de Pasqually (+ 1774) en France vers 1754, édifiant peu à peu son « Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers », en tant que structure « chevaleresque », « maçonnique » et « sacerdotale », ce que dit d’ailleurs de façon explicite son intitulé : « Chevaliers »,  « Maçons » et « Élus Coëns ».

De sa rencontre avec Martinès de Pasqually en avril 1767 à Versailles, et des sept années de leur relation, principalement épistolaire, jusqu’en septembre 1774, Jean-Baptiste Willermoz conserva une admiration jamais démentie à l’égard de l’enseignement découvert chez les Élus Coëns, et « opéra », le moment venu, après qu’ait disparu l’Ordre fondé par Martinès, et qu’il comprit que n’étant pas viable en ses formes il convenait de lui « substituer » un autre cadre adéquat, introduisit au sein de la Stricte Observance allemande, la « substance doctrinale » reçue auprès de Martinès, présence de cette « substance » qui explique d’ailleurs pourquoi le Régime, édifié lors du Convent des Gaules à Lyon en 1778, est devenu, depuis cette date, le « détenteur » et le « conservateur » du « dépôt » en quoi consistent les éléments doctrinaux portant sur la « la réintégration des êtres dans leur première propriété vertu et puissance spirituelle divine », n’ayant d’autre finalité que celle-là, d’où son organisation originale en système autonome et indépendant, se situant à distance des critères de la franc-maçonnerie andersonienne, considérée d’ailleurs comme étant de nature « apocryphe » par Martinès et Willermoz.    

2. Pour autant, le Régime Rectifié est, très majoritairement, placé sous tutelle des obédiences maçonniques, ou des juridictions fondées par ces administrations, au point d’avoir été réduit, de « conservatoire » de la doctrine qu’il était, au simple rang de « rite » ?

Les aléas de l’Histoire –disparition du Régime au XIXe siècle et son « réveil » tardif au XXe siècle en mars 1935 -, ont conduit à la situation que vous décrivez, c’est-à-dire d’une mise sous tutelle du Régime écossais rectifié de la part des obédiences maçonniques, situation, il faut bien l’admettre, qui est une totale aberration par rapport aux « principes » fixés lors du Convent des Gaules (1778) et du Convent de Wilhelmsbad (1782), par ailleurs « principes » précisés dans deux textes essentiels pour comprendre comment doit vivre le Régime, à savoir le « Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France », destiné à la classe symbolique, et le « Code Général des Règlements de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » pour la classe chevaleresque.

Tout s’y trouve si l’on veut connaître de quelle manière doit être organisé l’Ordre, mais force est de constater, à deux siècles et demi de la rédaction des « Codes » précités, que l’on est bien loin d’une pratique fidèle à ce qui fut édicté, pour ne pas dire à une impressionnante distance.

Le constat est d’ailleurs relativement sévère de ce que nous pouvons observer comme différents types de situations, le Régime  écossais rectifié étant placé dans un état de vassalisation par des obédiences dont il ne faut pas oublier qu’elles ne sont que des instances administratives profanes dénuées de qualifications, fonctionnant à partir de statuts associatifs placés sous la loi de 1901-, prétendant par l’usage de la réécriture de l’Histoire, ou par transformation des textes et des cadres organisationnels, avoir un « droit de propriété » sur une transmission qu’en réalité elles ne possèdent pas et qu’elles n’ont jamais possédée, avec les conséquences bien connues de ces fallacieuses prétentions : modifications arbitraires des rituels, libertés invraisemblables prises avec les règles fixées par les deux Codes fondateurs du Régime, interprétations fantaisistes des principes, oubli de la doctrine, voire sa négation ou son travestissement pur et simple, longue liste des multiples erreurs et trahisons qui sont devenues, hélas ! la triste et affligeante réalité du monde rectifié contemporain.

D’où l’importance d’avoir entrepris en ce début de XXIe siècle, en considérant que les choses ne pouvaient plus perdurer à l’identique éternellement, une « réforme » de la « Réforme de Lyon », soit en terme clair, avoir agi dans le sens d’une « Refondation » visant à ramener, autant que faire se peut, le Régime écossais rectifié à la forme organisationnelle qui devait être la sienne en le libérant des obédiences, et, dans un horizon plus lointain car tout ceci demandera du temps, favoriser les conditions d’un retour à « l’unité » à laquelle aspire ce système depuis 1778, ainsi que le stipule l’Introduction du Code Maçonnique : « Des Maçons de diverses contrées de France, convaincus que la prospérité et la stabilité de l’Ordre Maçonnique dépendaient entièrement du rétablissement de cette unité primitive […] Avec du zèle et de la persévérance ont surmonté tous les obstacles, et en participant aux avantages d’une administration sage et éclairée, ils ont eu le bonheur de retrouver les traces précieuses de l’ancienneté et du but de la Maçonnerie [3] 

3. Dans votre ouvrage, est abordée la question axiale de la « nécessité » dans l’œuvre contrainte de la Création, qui préside à toute l’ontologie de la réintégration. Or, cet élément « clé » de l’ensemble du corpus métaphysique, sous-tendant l’enseignement légué par les élus coëns, semblait jusqu’ici relativement peu abordé. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?

On croit souvent, en raison des conséquences qu’eut la mise en lumière par mes soins des aspects théoriques problématiques des thèses martinésiennes et willermoziennes, que c’est à l’occasion de la mise en ligne en mai 2012, d’un texte portant sur « Le Régime Écossais Rectifié et la doctrine de la matière », puis la publication, en octobre de la même année, d’une étude plus développée ayant pour titre « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale), qu’un soudain regard s’est porté vers cette notion de « nécessité », alors qu’étrangement tous les auteurs qui s’étaient penchés auparavant sur le sujet  de l’enseignement martinésien depuis plusieurs décennies (dont les principaux furent René Le Forestier, Gérard van Rijnberk et Robert Amadou), passèrent complètement sous silence cette question, ou plus simplement l’ignorèrent, alors qu’elle occupe une place évidemment centrale et déterminante dans l’ontologie des Élus Coëns, devenue à la faveur de l’Histoire celle du Régime Rectifié.

Pourtant, dès mes premières lectures du « Traité sur la réintégration des êtres » de Martinès (dans l’édition publiée chez Robert Dumas en 1974), alors que j’intégrais un cursus en philosophie après un passage par le séminaire, et ayant, par ailleurs, baigné depuis l’enfance dans un environnement religieux de sensibilité augustinienne où la question de l’absolue « gratuité de la grâce » était prise très au sérieux, la présence de cette « nécessité » dans l’exposé de ce qui motiva la création de l’Univers matériel, m’est immédiatement apparue comme un élément problématique, quoique fondamental dans la conception doctrinale martinésienne, « élément » à partir duquel se déploie l’ensemble des thèses propres au Traité, puisque non seulement, selon Martinès le monde a été façonné pour être une « geôle » ayant pour fonction d’enserrer le mal dans des limites précises, une cellule close capable de ligoter les esprits révoltés les enchaînant dans un lieu fixe en forme de prison hermétique, mais, de plus, si la prévarication des esprits angéliques n’avait pas eu lieu l’Éternel – proposition radicalement opposée à ce que dit et affirme l’Église de façon impérative et dogmatique -,  n’aurait pas été dans l’obligation d’en ordonner la création.

Ce qui est donc à souligner dans la thèse de Martinès, c’est que la création « contrainte » de cet univers matériel s’imposa au Créateur contre sa volonté, ce dernier se voyant dans la « nécessité » de faire « force de loi », c’est-à-dire d’avoir été « forcé » et « obligé » (Traité § 42) de produire un univers matériel qui n’avait été ni envisagé, ni prévu, et encore moins désiré à l’origine dans la pensée divine :  « […] cet univers fut formé par la toute-puissance divine pour être l’asile des premiers esprits pervers et la borne de leurs opérations mauvaises…» (Traité, § 6.)

L’ontologie de la doctrine de la réintégration, qui est aujourd’hui l’enseignement central du Régime écossais rectifié – car l’introduction, lors des Leçons de Lyon, de la dimension trinitaire et de la double nature du Christ n’a en rien modifié les fondements principiels de la conception martinésienne de la Création -, participe donc d’un cadre général pour le moins délicat au regard de ce que soutient l’Église en ces domaines, cadre que l’on peut, sans peine, décrire comme étant étranger à « l’Amour » et non placé sous le sceau de la « Charité » – notions absentes du Traité sur la réintégration -, mais de la « nécessité », puisque sans la prévarication des anges rebelles, jamais l’Univers matériel n’aurait été créé, ainsi que le soutient Martinès en des termes qui ne laissent place à aucune contestation : « Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, il n’y aurait eu aucune émancipation d’esprits hors de l’immensité, il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni aucun esprit envoyé pour actionner dans les différentes parties de la création […] les esprits mineurs ternaires n’auraient jamais quitté la place qu’ils occupaient dans l’immensité divine, pour opérer la formation d’un univers matériel.» (Traité, § 237.)

*

Il est en conséquence évident – et le nier relève soit de l’ignorance, ou bien de la cécité volontaire participant d’une très grossière « mauvaise foi » [4] -, qu’on se trouve avec Martinès aux antipodes de l’acte gratuit de Création provenant de la pure « Charité » qui ne connaît, antérieurement, aucune raison déterminante, ni bien sûr n’ayant été effectué sous la force d’une quelconque « contrainte », puisque l’acte créateur pour Dieu, selon les pères de l’Église, et ceci sans aucune exception, est exempt de tout caractère de « nécessité » puisqu’il est entièrement libre, uniquement motivé par l’Amour et n’est consécutif, ni ne répond, à nul évènement antécédent [5].

Dieu, si l’on évoque bien sûr le « Dieu de la Révélation » biblique et non un quelconque idolâtrique « démiurge », est absolument libre, Tout-Puissant, non soumis à une action créatrice qui se serait imposée à lui de façon nécessaire. 

Notons à cet égard, qu’il fut d’ailleurs assez curieux d’avoir eu à préciser ces points faisant difficulté, suscitant des réactions irrationnelles qui témoignaient de la brutalité d’un « réveil » à la réalité des faits, auprès de francs-maçons se déclarant à qui voulait l’entendre comme « chrétiens » (sic), et qui auraient dû être, un minimum, instruits des bases élémentaires de la « foi » à laquelle ils prétendaient adhérer, et qu’ils s’évertuaient par ailleurs à proclamer avec une énergique emphase missionnaire ; mais il est vrai qu’en ces domaines, où il apparut que régnait en maître le mépris à l’égard de l’authenticité doctrinale martinésienne et willermozienne et où l’on cultivait, sans honte excessive et une singulière absence de scrupule, une tendance certaine pour les forgeries initiatiques, on en était plus à une contradiction prêt…

Du point de vue chronologique, c’est dès 2006, dans l’appendice I, du « Martinisme, l’enseignement des maîtres » (Le Mercure Dauphinois), intitulé : « Le statut ontologique de la matière, ou le problème doctrinal et dogmatique de son caractère « nécessaire » selon Martinès », que fut longuement développé ce qui apparaissait comme un vrai problème théorique pour la « foi commune de l’Église » :

 « Incontestablement, la grande difficulté des thèses martinésiennes se situe dans l’explication de l’épisode de la constitution du monde matériel. Pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui conservent en mémoire la fameuse phrase du texte de la Genèse : « et Dieu vit que cela était bon…. », que l’on retrouve à certaines des étapes de l’édification de l’Univers dans la Sainte Écriture, il peut sembler curieux de découvrir, sous la plume de Martinès, une présentation de la création du monde matériel répondant à une « nécessité » quasi impérative métaphysiquement, puisqu’elle fut décidée par Dieu pour servir de prison aux esprits déchus et  révoltés […] Nous sommes là, reconnaissons-le, bien loin de la gratuité, de la généreuse libéralité du Créateur qui dispensa, sans nécessité aucune, les bienfaits de sa toute puissance, qui souhaita même, par amour, le bonheur des êtres et des choses en les faisant émerger de la possibilité en les constituant et façonnant de ses propres mains. En effet, affirmer comme le fait Martinès, que « Le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet univers physique », signale positivement, dans l’acte divin, une évidente « nécessité » qui ne répondait pas initialement aux intentions de Dieu ; quelque chose qui lui fut imposé quasiment contre son gré, contre sa primitive volonté. Le monde, « l’univers physique », fut ainsi créé, non pour rayonner d’une joie participative et faire surgir du néant, en les portant à l’être, les pensées contenues dans l’esprit de Dieu, mais, bien au contraire, pour emprisonner, ligoter, être un « lieu fixe », une cellule et une enceinte où les esprits pervers, contraints par les étroites limites des « affreux abîmes de la matière » (Traité, 138), demeureraient dans une « privation » protectrice, pouvant, dans ces conditions hostiles et humiliantes, développer, sans trop de danger pour le Ciel, les capacités de leur « malice » [6]. »

*

À l’époque, c’est-à-dire en mai 2005 exactement, Robert Amadou (1924-2006) m’écrivait en qualifiant ce livre de « très précieux, très fin, et très solide compendium martiniste [7]», mais le temps n’était visiblement pas encore venu pour que cet éclairage, sur la place occupée par la notion de « nécessité » chez Martinès et Willermoz, produise son effet. Il aura donc fallu les réactions disproportionnées de l’année 2012 qui accompagnèrent la publication de « La doctrine de la réintégration des êtres »[8], pour que tout à coup, et avec une force surprenante, cette question devienne déterminante dans les débats, ceci expliquant pourquoi dans l’actuel ouvrage qui vient de paraître, il lui est consacré un examen relativement important, en faisant la synthèse générale sur ce qui pouvait être précisé à ce sujet [9].

Il apparaît donc qu’il est désormais devenu difficile – et il faut s’en féliciter pour la juste compréhension des données théoriques touchant à l’enseignement se trouvant dans les « instructions secrètes » du Régime écossais rectifié réservées, certes, à la classe non-ostensible, mais qui sont cependant infusées dans l’ensemble des connaissances délivrées à tous les grades -, d’aborder la doctrine martinésienne en faisant l’impasse sur la notion centrale de « nécessité » accompagnée de celle « d’émanation » qui en fixe préalablement le cadre général.

Car en effet, au regard de la doctrine martinésienne, et willermozienne qui lui est semblable à cet égard :

  • 1°) C’est en raison de cette « nécessité » que fut constitué l’Univers, réalisé en « toutes ses parties exécutées et conservées par des agents ou causes secondaires » [10], c’est-à-dire par des « esprits intermédiaires » et non directement par Dieu, que le Régime rectifié regarde de façon dépréciative la matière et tout ce qui participe de ses « vapeurs grossières » (sic), et  qu’il considère que la Création dans son ensemble est « d’une nature absolument étrangère à toute opération in­finie divine ».
  • 2°) C’est de même, toujours par la loi de cette « nécessité » qu’Adam fut émané, « venu dans l’Univers pour être l’agent spécial de la justice irritée contre les coupables », mais qu’ayant trahi sa mission par sa désobéissance, il fut transmué « en similitude des animaux terrestres », revêtu d’un « corps matériel corruptible, avec lequel il vint ramper sur la surface terrestre ».
  • 3°) C’est encore cette « nécessité » qui explique « la violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », faisant que la Création est vouée irrémédiablement, et entièrement, de par son caractère « ténébreux et contraire à l’essence divine », à la disparition, afin qu’elle soit définitivement anéantie pour qu’il n’en subsiste aucune « apparence », sachant que « tous les êtres matériels, ou doués d’une âme passive, périront et s’effaceront totalement, n’étant que des produits d’actions secondaires ».
  • 4°) Enfin, la « nécessité » qui présida à l’émanation du premier Adam qui « transmua » ensuite, par sa prévarication, son état glorieux en un vil corps animal « enchaîné dans un séjour ténébreux », impose logiquement que soit rejetée, post mortem, la croyance en la résurrection de la chair, « car toute forme de matière doit infailliblement se détruire et se décomposer », le Divin Réparateur universel lors de sa Résurrection « ayant dépouillé dans le tombeau tout ce qui appartient corporellement au vieil homme […] se donnant pour modèle à tous ceux qui aspirent à rentrer dans leurs droits pri­mitifs », montrant de la sorte que les âmes émanées sont appelées à une destination immatérielle de nature purement spirituelle, lorsqu’elles rejoindront, à la fin des temps, en étant passées auparavant par les cercles de purification, « l’Unité originelle » de l’immensité divine.

4. L’examen théorique des éléments de doctrine, se double d’une clarification détaillée des difficultés soulevées par l’enseignement et le système de Martinès de Pasqually. Quelles sont les grandes lignes de ces éclairages ?

Nous venons d’y faire allusion. Ces difficultés peuvent se résumer aisément tant la distance est grande entre les thèses de Martinès, adoptées par Willermoz et introduites à l’intérieur du corpus doctrinal du Régime écossais rectifié, et l’enseignement ecclésial.

Un simple rappel des principaux points de la « doctrine de la réintégration », permet d’en faire comprendre, plus que de longs discours, son originalité, puisque la chronologie de ce système cosmogonique – chronologie qu’il importe de respecter pour en comprendre l’ontologie interne et ne point se laisser entraîner dans des reconstructions imaginaires -, est constituée de sept temps distincts et successifs, liés et interdépendants, qui sont les suivants :

  • 1°) Émanation des esprits pour contribuer à la gloire de Dieu ;
  • 2°) Révolte des esprits rebelles, jalousant le Créateur et cherchant à l’égaler dans son pouvoir et sa puissance ;
  • 3°) Création « nécessaire » du monde matériel à l’instant de la prévarication des anges, s’imposant à l’Éternel, effectuée par des esprits inférieurs, afin d’être un lieu fixe pour y emprisonner les démons ;
  • 4°) Adam est émané en conformité d’essence avec les êtres spirituels, puis émancipé par décision divine pour œuvrer à la réconciliation des anges rebelles ;
  • 5°) Adam trahissant à son tour sa mission, est condamné à vivre dans le monde matériel dans une enveloppe charnelle identique à celle des animaux ;
  • 6°) La dégénérescence et la dégradation d’Adam le réduit à l’état animal, et lui impose un long et éprouvant travail de réconciliation de sorte de se libérer de l’emprise des « fers de la matière » ;
  • 7°) La fin des temps – consistant au préalable en l’anéantissement de l’ensemble du composé matériel et la dissolution définitive des éléments créés, et non pas l’espérance en une quelconque « résurrection de la chair » -, correspondra au retour au sein de « l’Unité divine » des êtres émanés et l’accomplissement de la « réintégration universelle ».

Or ce scénario, pénétré à la fois d’influences néoplatoniciennes, gnostiques et origéniennes, rentre en contradiction directe avec la conception de la Création d’après l’enseignement traditionnel de l’Église – rappelons-le enseignement participant de la « foi commune » de toutes les confessions chrétiennes -, qui fonde son origine sur la pleine liberté et l’absolue gratuité du « don d’amour » de Dieu dans l’œuvre créatrice, ceci en fidélité avec le récit biblique, extrait du livre de la Genèse, des sept jours, où l’on voit Dieu initialement décider de créer le monde, « ex nihilo », par un « commencement » précédé de strictement rien d’autre, que de la seule et unique volonté du Créateur : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse I, 1). C’est ce sur quoi insistent tous les auteurs ecclésiastiques depuis les premiers siècles du christianisme.

On peut donc constater que Willermoz, catholique connaissant pourtant bien sa religion, ne suivit pas le récit biblique, mais au contraire accepta la chronologie martinésienne dans sa présentation de la raison qui conduisit Dieu, par « nécessité », à décider de la Création du monde matériel : « L’univers physique temporel est un espace immense et incommensurable, créé par le Tout-puissant à l’instant même de la prévarication des anges rebelles pour la manifestation de sa gloire, de sa puissance et de sa justice, et pour être le lieu d’exil et de privation des prévaricateurs. Cet espace est borné et environné de toute part par une immense circonférence ignée et impénétrable, dénommée philosophiquement axe feu central, formée par la multitude des esprits inférieurs demeurés fidèles qui reçurent ordre du créateur de défendre contre toute contraction démoniaque pendant la durée des temps fixée par la justice. » (J.-B. Willermoz, 9ème Cahier) [11].

La conception doctrinale martinésienne et willermozienne nous permet, à cet égard, de ne pas interpréter la situation présente comme manifestant une accélération vers les ténèbres, car le néant n’est pas relatif à une période déterminée – comme s’il y avait eu, en ce monde matériel, un temps antérieur édénique de pure lumière -, expliquant pourquoi le « nihilisme » n’est pas un phénomène propre à un temps particulier, puisque traversant, dès l’origine, la totalité de l’Histoire qui apparait après la révolte des anges et à la faute adamique, ainsi que le souligna Joseph de Maistre (1753-1821) : « Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n’est à sa place […] Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses [12].» Il n’y a  donc pas, de ce point de vue, d’extériorité par rapport au déterminisme ontologique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’alternative, de nostalgie à nourrir d’un avant ou d’un après, car c’est l’existence elle-même, par delà les époques, qui est plongée dans « l’abîme » du nihil (rien), confrontée, depuis le péché originel, au délaissement, l’éloignement de la Divinité et l’angoisse de la finitude et de la mort.

*

Il y a en conséquence une différence fondamentale entre deux perspectives antagonistes, deux approches divergentes de la conception du monde créé :

  • La première est conforme au récit biblique, elle se fonde sur un acte créateur participant de la bonté et de la divine « Charité », laissant cependant l’esprit face à l’énigme que représente un Dieu bon, et en théorie Tout-Puissant, incapable d’avoir prévu la trahison des anges puis celle d’Adam, et qui semble depuis ces événements tragiques, être victime et soumis face au négatif, impuissant à s’opposer et empêcher les horreurs de ce monde.
  • L’autre, martinésienne et willermozienne, qui considère que le monde créé est consécutif à une « violence qui a occasionné la production de l’Univers, et qui en maintient l’existence », permettant d’expliquer, par la lutte irréductible originelle entre les forces des ténèbres et la Divinité, la présence massive du mal en notre région terrestre, ceci en parfait accord avec la déclaration de saint Jean : « Le monde entier est sous la puissance du malin. » (1 Jean V, 19).

Il faut donc choisir, soit suivre l’enseignement de l’Église et souscrire aux déclarations conciliaires en adhérant à ce qu’enseignent les pères et les docteurs qui édifièrent les canons qui forment aujourd’hui les bases dogmatiques de la « foi » chrétienne officielle, et vivre, dès lors, son rapport à la pratique religieuse en étant fidèle, et honnêtement en harmonie, avec ce que soutiennent les autorités ecclésiastiques romaines, orthodoxes ou réformées au sujet de la Création du monde participant d’un don et de la pure « Charité », autorités qui nient catégoriquement que le monde ait été  une  manière pour Dieu de sanctionner une faute, le résultat d’une chute et la conséquence d’une tragédie, considérant l’excellence de la réalité physique, cosmique et biologique, insistant sur la perfection originelle primitive de l’existence humaine cor­porelle, c’est-à-dire la « chair » qui est appelée à ressusciter pour bénéficier de l’incorruptibilité éternelle.

Ou bien considérer que la doctrine ésotérique willermozienne provient d’un courant spirituel très ancien, qui a été combattu puis écarté par l’Église à partir du VIe siècle, que Joseph de Maistre désigna sous le nom de « christianisme transcendant », et qu’il convient de se tenir à distance des positions ecclésiales dogmatiques, en respectant fidèlement le « dépôt » doctrinal qui a été confié au Régime écossais rectifié, et en le conservant sans aucune altération, ce qui est d’ailleurs le devoir impérieux de ceux admis dans la classe non-ostensible et secrète du Régime rectifié depuis sa fondation, sachant que la doctrine de l’Ordre « remonte jusqu’à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre des initiés […] Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous [13]

5. Malgré ce solennel appel de Willermoz à la conservation du dépôt initiatique et doctrinal, la lecture des questions soulevées dans les Appendices de l’ouvrage, signale toutefois, avec une certaine exigence, les égarements spirituels d’initiatives contemporaines se réclamant de l’héritage martinésien et willermozien ?

Les égarements évoqués, qui font l’objet d’un examen rigoureux dans l’Appendice VI du livre « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz » : « Les tentatives de « réveil » de l’Ordre des Élus Coëns au XXe siècle : examen des critères de validité des « néo-coëns » contemporains » (pp. 1063-1114), sont à effets multiples, mais ont une double origine, puisque ayant tout d’abord été consécutifs au « réveil » du Régime écossais en France en 1935, puis à la tentative de reconstitution de l’Ordre des Élus Coëns à Paris, en 1942/1943, tentative connue sous le nom de « résurgence ».

L’héritage de Martinès et Willermoz – dont la présente étude publiée montre avec précision la source et les diverses étapes de son édification -, fit ainsi l’objet, à partir des dates précédemment indiquées, de profondes trahisons des intentions premières qui présidèrent à la création, respectivement, de l’Ordre des Élus Coëns, puis du Régime écossais rectifié, héritage subissant depuis lors des déviances singulièrement significatives.

S’agissant du Régime écossais rectifié, ce qui a été dit plus haut à propos de la captation au XXe siècle par les obédiences maçonniques du système fondé par Jean-Baptiste Willermoz, explique les libertés prises avec les règles et les lois qui devaient s’appliquer afin de respecter les formes et l’organisation architecturale définies et fixées lors des Convents des Gaules (1778) et de Wilhelmsbad (1782), mais également permet de comprendre la raison des positions extravagantes observées vis-à-vis de la doctrine interne de l’Ordre, positions allant de l’indifférence ignorante à la volonté de plier les thèses contenues dans les instructions secrètes – en les passant au tamis d’interprétations arbitraires relevant le plus souvent d’un verbiage issu d’opinions subjectives et d’illusions argumentaires -, à des vues personnelles fantaisistes et confessionnelles, de manière à parvenir à une « harmonie » (sic), considérée comme déjà acquise ou ayant à être réalisée, avec les dogmes de l’Église. Ainsi, le triste spectacle offert par l’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Rectifié, permet de se rendre compte, assez rapidement, de ce qu’ont produit comme conséquences désastreuses l’irrespect à l’égard des principes organisationnels et le mépris des vérités de l’enseignement doctrinal révélé au XVIIIe siècle.

Quant à la prétendue « résurgence » de l’Ordre des Élus Coëns, dont Georges Bogé de Lagrèze (1882-1946), Robert Ambelain (1907-1997) et Robert Amadou sont à l’origine en 1942/1943, on est en présence de ce qui relève objectivement d’une « fable » singulièrement problématique, dont les effets nocifs n’ont eu de cesse de polluer un milieu initiatique assez perméable en la matière, souvent peu regardant sur les critères de crédibilité, Ambelain s’étant cru autorisé à forger une pseudo « Grande Profession » factice avec un rituel de son invention en s’appuyant sur la transmission imaginaire de soi-disant « Grand Profès » (sic) de Lagrèze, se proclamant, de plus, le « Grand Souverain » d’un Ordre « néo-coën », après que ledit Lagrèze, considérant que la plaisanterie était sans doute allée un peu trop loin, décide de se démettre de sa charge dès le 8 mai 1945. Pourtant cette « fable » poursuit encore de nos jours, malgré son absence totale de légitimité, son œuvre délétère à la périphérie immédiate du Régime écossais rectifié, d’où le caractère de salubrité spirituelle de sa dénonciation en tant qu’objective et scandaleuse « contrefaçon » initiatique.  

*

Certes tout ceci pourrait être considéré comme participant des aléas de l’Histoire pour la situation de la Réforme de Lyon, ou relevant d’une grotesque plaisanterie s’apparentant à une forgerie participant de la catégorie « pseudo » quant aux fallacieuses prétentions des « néo-coëns », si les enjeux n’étaient pas si importants, puisqu’il est question, si l’on prend évidemment au sérieux la perspective de la « voie » mise en lumière par Martinès de Pasqually et dont la Régime écossais rectifié, grâce à Jean-Baptiste Willermoz, est désormais le dépositaire ainsi que le voulut la Divine Providence, consistant en la continuité ininterrompue d’un enseignement doctrinal et d’un rattachement provenant, non pas seulement des premiers temps du christianisme mais, plus loin encore [14], des premiers âges de l’histoire patriarcale [15], sur lesquels la classe secrète de « l’Ordre substitué », soit en termes clairs l’unicum necessariumc’est-à-dire l’écrin de « l’Ordre mystérieux » ou « Haut et Saint Ordre » primitif, perpétuel et fondamental -, a pour devoir impératif de veiller, avec piété, dans le silence, l’humilité et le retrait du monde, de sorte que s’accomplisse dans le « Tabernacle » situé dans le « Sanctuaire intérieur », la « réintégration » de l’homme dans sa « première propriété vertu et puissance spirituelle divine », en le conduisant des ténèbres de la « réalité matérielle apparente » à la « Lumière » de l’Être Éternel et Infini.

 

Martinès de Pasqually et  Jean-Baptiste Willermoz

Commande du livre :

Le Mercure Dauphinois, 2020, 1184 pages.

Notes.

[1] Il n’est sans doute pas inutile d’insister sur le fait que l’affirmation de la « perte » par l’Église « depuis le VIe siècle », de la doctrine selon la formulation de Jean-Baptiste Willermoz, concerne l’ensemble des confessions chrétiennes, d’Orient comme d’Occident, qui ont adopté les décisions dogmatiques des sept premiers conciles, et non en particulier l’une d’entre elles, car toutes souscrivent aux positions définies par le deuxième concile de Constantinople (553), et notamment les anathèmes prononcés contre les thèses d’Origène – préexistence des âmes, état angélique d’Adam avant la prévarication, incorporisation d’Adam et sa postérité dans une forme de matière dégradée et impure en conséquence du péché originel, dissolution finale des corps et du monde matériel, etc. -, anathèmes qui conservent donc toute leur force d’application sur le plan théologique et dogmatique.

[2] J.-B. Willermoz, Cahier D.5, « Des vrais moyens de parvenir à la connaissance de Dieu, soit par l’étude des traditions religieuses écrites, et de celles non écrites, soit par un examen de l’homme considéré approfondi de la propre nature comme image et ressemblance de son créateur ».

[3] Cf. « Introduction », Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France, 1778.

[4] S’agissant des raisons de cette ignorance volontaire relevant d’une « mauvaise foi » qui n’a pas craint le ridicule dans ses maladroites démonstrations, mise au service d’une orientation déviante qui eut pour ambition de soumettre le Régime écossais rectifié à des vues confessionnelles, tout en cultivant secrètement des pratiques « néo-coëns » issues de transmissions occultistes pour le moins sulfureuses, on se reportera au chapitre XII de lHistoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, La Pierre Philosophale, 2017, pp. 329-361.

[5] Saint Augustin insiste fortement sur l’absence de toute contrainte qui se serait exercée sur Dieu en l’obligeant à modifier ses plans afin de créer le monde, car il n’y a aucun changement ni nouveauté de décision en Dieu : « La volonté de le créer a été éternelle en Dieu […] qu’on ne croie qu’il ne lui soit venu tout d’un coup quelque chose en l’esprit qu’il n’avait pas eu auparavant, c’est-à-dire une volonté nouvelle de créer le monde, bien que son esprit ne soit capable d’aucun changement…» (La Cité de Dieu, T. 2, Gille Libraire, Bourges, 1818, Livre X, ch. IV, pp. 298-299).

[6] Cf. Le Martinisme, l’enseignement des maîtres, Appendice I, Le Mercure Dauphinois, 2006, pp. 199-200.

[7] Cf. L’Esprit du saint-martinisme, Annexe IV : « Courrier de Robert Amadou, suite à la transmission du manuscrit du « Martinisme, l’enseignement secret des maîtres », 4 mars 2005 », La Pierre Philosophale, 2020, pp. 533-535.

[8] Cf. Martinès de Pasqually et la doctrine de la réintégration des êtres, 1ère Part., Création nécessaire, transmutation du mineur spirituel et dissolution de la matière chez Martinès de Pasqually, « Ch. II. Le caractère « nécessaire » de la Création pour Martinès » ; « Appendice II, Émanation et Création chez Martinès, b) Caractère nécessaire de la création de l’univers matériel physique ; f) Adam a été émané sous une « forme glorieuse » par nécessité, afin d’être le « député » de l’Éternel ; h) Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, La Pierre Philosophale, 2012, pp. 66-70 ; 173-196.

[9] Cf. Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié, 1ère Partie, Ch. II, c) « Caractère « nécessaire » de la création matérielle, et notion de « nécessité » présidant à l’ontologie martinésienne de la création », Le Mercure Dauphinois, 2020, pp. 83 à 101. 

[10] Les passages en italique placés entre guillemets dans les 4 points signalant la place centrale de la notion de « nécessité » dans l’enseignement doctrinal du Régime écossais rectifié – les lecteurs avertis les auront aisément reconnus et identifiés -, sont de la plume de Jean-Baptiste Willermoz (cf. MS 5916 Bibliothèque Municipale de Lyon).

[11] Cependant, conscient de la difficulté de la conception martinésienne faisant de la Création, non une manifestation de l’amour divin mais une réponse imposée par « nécessité » à la révolte des démons, Willermoz inféra un passage de l’Apocalypse (XII, 7 ss.), qui concerne la fin des temps, à des événements qui se seraient produits à l’origine : « L’archange Lucifer ayant consommé par l’acte de sa volonté le crime de sa pensée orgueilleuse, et entraîné avec lui la multitude de ses adhérents […] À l’instant même, Dieu créa l’espace universel hors de son immensité […] L’espace universel fut donc créé pour être le lieu d’exil, de séparation et de punition des êtres coupables qui étant indestructibles par leur nature, ne pouvaient plus être anéantis […] Au premier Signe de la volonté du Tout-puissant, Lucifer devenu Satan, fût précipité avec ses adhérents dans les abîmes de l’espace […] C’est cet événement dont St. Jean fait mention dans le chapitre XIIe de son Apocalypse, où il fait la description d’un grand combat de l’archange Michaël et ses anges, contre le Dragon et ses Anges, qui trop faibles contre lui furent précipités du ciel en terre, et ne parurent plus dans le ciel […] Pour bien concevoir la destination principale de ce grand œuvre il faut ne pas perdre de vue que le vrai et principal but de la création de l’espace universel et de tout ce qu’il contient fut la punition des esprits prévaricateurs, qu’ils y furent précipités pour une éternité… » (J.-B. Willermoz, 8ème Cahier).

[12] J. de Maistre, Œuvres Complètes, t. I, p. 39.

[13] J.-B. Willermoz, Ms 5.475, BM Lyon.

[14] « La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours. » (J. de Maistre, Mémoire inédit au duc de Brunswick, 1782),

[15] « Le vrai culte s’est fait dans les 3 régions de la terre : 12 Patriarches israélites, 12 Patriarches ismaélites, 12 Apôtres, et le Christ faisant le centre…» (L.-C. de Saint-Martin & J.-J. du Roy d’Hauterive, Leçon n°54, 22 juillet 1775).

 

Entretien avec Jean-Marc Vivenza à propos de « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié »

In Codes de 1778, Convent des Gaules, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Ordre, Réforme de Lyon, Régime Ecossais Rectifié on 12 novembre 2017 at 16:08

Réduire le projet de Jean-Baptiste Willermoz, 

pensé, organisé et défini lors du Convent des Gaules en 1778,

à la caricature qui se donne à voir aujourd’hui dans la majorité des juridictions

obéissant aux critères de la franc-maçonnerie « andersonienne »,

est pour le moins  extrêmement affligeant.

À l’occasion de la publication de son dernier livre « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours » (La Pierre Philosophale, 2017), Jean-Marc Vivenza a accordé un « Entretien », mis en ligne sur le site des éditions « La Pierre Philosophale », que nous jugeons utile de reproduire afin de lui conférer une audience élargie, ceci dans la mesure où les points abordés dans les lignes qui suivent, touchent directement à la nature et à la vie du Régime rectifié, et notamment aux modes sous lesquels il est pratiqué en nos temps actuels, en étant souvent fort éloigné, pour le moins, des critères explicites définis dans les deux Codes, l’un pour la Classe symbolique, l’autre pour la Classe chevaleresque, entérinés lors du Convent des Gaules (1778).

Cette déviance constatée, pour ne pas parler de patente désorientation, ayant abouti en beaucoup d’endroits à des contrefaçons objectives indignes de porter le nom même de Rite Écossais Rectifié, endroits où l’on assiste à des libertés invraisemblables prises avec les principes de l’Ordre, fait donc de la publication de  « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours », non seulement le seul livre publié sur le sujet qui aborde de manière directe la situation contemporaine, mais un événement dont il convient de mesurer l’importance pour le devenir du système élaboré par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) au XVIIIe siècle.

En conséquence, cet ouvrage, sur lequel nous aurons sans doute l’occasion de revenir, en particulier pour mettre en lumière les questions qui y sont traitées touchant à la 3ème classe secrète dite de la « Profession », est tout à la fois un outil permettant de connaître l’Histoire du Régime écossais rectifié, et un guide pour sa pratique fidèle et authentique, dont ne saurait trop, et avec insistance, recommander la lecture.

Entretien avec Jean-Marc Vivenza

à l’occasion de la sortie de

« L’Histoire du Régime Écossais Rectifié

des origines à nos jours »

 

Vous aviez fait paraître en 2011, une « Histoire du Grand Prieuré des Gaules », en quoi ce nouveau livre qui sort en 2017, intitulé « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours », est-il différent ? 

Le livre que vous évoquez, publié en 2011, provenait d’une demande des autorités de l’obédience à l’intérieur de laquelle j’occupais alors des fonctions et charges au niveau national. « L’Histoire » de cette institution pourrait donc, rétrospectivement, être volontiers qualifiée « d’hagiographique » (« Histoire du Grand Prieuré des Gaules », Éditions du Simorgh, 2011, traduit en castillan par Ramon Marti sous le titre : « Historia del Gran Priorato de las Galias »,  Ediciones del Arte Real, masonica.es, 2014), car elle était assez peu conforme, il faut bien l’avouer, avec la réalité des faits, non que ces derniers aient été totalement travestis mais disons, soit volontairement passés sous silence, soit pudiquement signalés, voire, en bien des endroits et notamment pour la partie touchant à l’histoire contemporaine de l’Ordre, habillement « arrangés » pour être mis en conformité avec les nouvelles « orientations », devenues avec le temps dominantes, du Grand Prieuré des Gaules.

Ce livre avait donc surtout pour objet de faire connaître, en interne et dans un milieu relativement restreint puisque l’ouvrage ne fut pas véritablement diffusé auprès du grand public, les différents événements qui jalonnèrent le parcours de l’instance héritière du « réveil » du Régime rectifié au XXe siècle, en une période où j’espérais en œuvrant – ceci expliquant la raison d’une présentation peu objective à laquelle on évitera évidement à présent de prêter un crédit excessif -, afin que surgisse une éventuelle possibilité de retour aux critères willermoziens du G.P.D.G. Cette possibilité s’étant d’ailleurs avérée très vite impossible, après de multiples initiatives en ce sens,  il nous a fallu en prendre acte, et surtout en tirer les conséquences qui s’imposaient.

Qu’est-ce qu’apporte donc comme éléments novateurs ce livre, « L’Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours »,  alors que plusieurs ouvrages, depuis plusieurs années, ont été publiés sur le sujet.

Certes, vous avez raison de le souligner, d’excellents ouvrages et de nombreuses publications, dans un souci louable de servir la connaissance du Rite Écossais Rectifié, son développement et les éléments caractéristiques de son réveil au XXe siècle, en ont, peu à peu, éclairé la réalité historique tout en faisant état de ses principaux événements, ce qui est une aide précieuse pour les chercheurs, érudits, ainsi que pour ceux qui cheminent en ces domaines, et tout particulièrement les initiés souhaitant posséder les lumières indispensables à la connaissance du Rite auquel ils travaillent [1]. Mais si ces ouvrages possèdent de grandes qualités, aucun d’entre eux ne porte sur le système établi à Lyon lors du « Convent des Gaules » (1778), en tant qu’institution originale et spécifique dans sa « continuité » à partir du réveil de 1935, et de ceux qui succédèrent à Camille Savoire (1869-1951) à la tête de l’instance du réveil.

Et c’est pourtant cette « continuité » qui seule explique, et permet de mieux comprendre la nature propre de la structure édifiée, par étapes successives, en tant qu’Ordre et Régime, l’un n’allant pas sans l’autre, en France par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), qui n’avait jamais été établie, ce que ce livre propose, d’autant plus en s’appuyant sur des documents inédits, inaccessibles, et pour cause, pour la majorité d’entre eux, puisque placés dans les archives des institutions initiatiques qui ne sont pas ouvertes, évidemment, aux chercheurs profanes.

C’est en conséquence ces sources qui font défaut à l’ensemble des ouvrages contemporains disponibles traitant du Régime rectifié, expliquant pourquoi il nous a donc semblé nécessaire, de sorte que tous ceux intéressés par ce que représente et incarne le Régime Écossais Rectifié – précisément en tant « qu’Ordre » au sein de la franc-maçonnerie française et internationale -, puissent y trouver des réponses à leurs légitimes interrogations, d’effectuer une présentation relativement détaillée des différentes périodes qui structurent son histoire, depuis la constitution des Directoires de la Stricte Observance en France entre 1773 et 1774, en passant par la réforme du Régime en 1778 lors du Convent des Gaules, entérinée et adoptée au Convent de Wilhelmsbad en 1782 sous la conduite magistrale de celui qui fut à la fois l’âme et l’organisateur incomparable de cette exceptionnelle entreprise spirituelle et initiatique, à savoir Jean-Baptiste Willermoz, ceci jusqu’au retour en France en 1910 du Régime, puis son réveil complet en 1935, en s’arrêtant attentivement sur les divers temps du rayonnement d’une transmission dont l’originalité rare et le caractère spécifique sont incontestables et, à bien des égards, absolument sans équivalent en Occident.

Le Régime Écossais Rectifié, est donc pour vous un « Ordre » plus qu’un « Rite , cette précision conduit à quelle conséquence principale d’après vous ?

La notion « d’Ordre », est intrinsèquement liée à la nature du Régime Écossais Rectifié, le nom même de « Régime », et non de « Rite », désignant d’ailleurs, il n’est pas inutile d’y insister une fois encore, une structure organique autonome, indépendante et complète, articulée entre trois classes distinctes mais absolument indissociables et imbriquées les unes avec les autres  (1ère classe « symbolique », 2ème classe « chevaleresque », 3ème classe « secrète »), structure organique qui fut la colonne ordonnatrice, le projet propre, et la ligne directrice de l’ensemble de l’œuvre willermozienne.

Réduire ce projet, extraordinaire à bien des égards, pensé, organisé et défini lors du Convent des Gaules en 1778, à la triste caricature qui se donne à voir aujourd’hui dans la majorité des juridictions obéissant aux critères de la franc-maçonnerie « andersonienne », est pour le moins  extrêmement affligeant. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, lorsqu’on veut bien conserver en mémoire que l’intention de Jean-Baptiste Willermoz au XVIIIe siècle, fut, précisément, de réformer, ou plus exactement de « rectifier », cette dite franc-maçonnerie « andersonienne », considérée à ses yeux tout simplement comme « apocryphe », et de s’en libérer pour retrouver, selon son expression, un « centre commun » authentique, car non oublieux de l’origine véritable et des buts de « l’Ordre primitif, essentiel et fondamental ».

La notion « d’Ordre » est, comme vous l’exposez longuement dans votre livre, intimement liée à la notion de « doctrine », pourquoi cette insistance ?

Le premier constat qui vient d’être rappelé, c’est-à-dire celui portant sur l’éloignement qui est advenu d’avec les lois organisatrices du Régime en tant « qu’Ordre autonome », se double d’un second, non moins important, voire beaucoup plus, et qui découle d’ailleurs du premier dans la mesure où il en est la conséquence quasi logique : l’essence de la rectification, outre un Rite original et une pratique spécifique s’exerçant en quatre grades formant la classe symbolique et un Ordre intérieur d’essence chevaleresque distingué en un état probatoire (« Écuyer Novice ») et le grade de « Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte » (C.B.C.S.), possède une « doctrine », c’est-à-dire, pour être clair, un « enseignement » spécifique qui le définit et le qualifie sur le plan spirituel, ce qui est un cas tout à fait original et unique au sein de la franc-maçonnerie universelle.

Il convient d’ailleurs d’insister sur le fait que cet aspect doctrinal, singulièrement précis, du « Régime » rectifié, confère au système willermozien une originalité à nulle autre pareille en le distinguant entièrement des autres « Rites » dépourvus de cet enseignement de nature illuministe et théosophique, ce qui n’est pas sans provoquer, souvent, de nombreuses incompréhensions.

Cependant, si l’on se dit maçon rectifié et qu’on souhaite le rester – ce qui n’est imposé à personne et relève du libre-arbitre de chacun –, il convient, au minimum, de respecter cette doctrine, et au mieux y adhérer, et non chercher, pour d’obscurs motifs, à la « transformer », « l’amender », la « modifier », la « contredire », « l’enrichir » ou la « corriger », doctrine, par ailleurs, dont chaque membre a le devoir impératif, de par ses serments, d’être le gardien et le vigilant protecteur. [2]

Mais n’est-il pas possible de s’autoriser avec l’évolution du temps des libertés vis-à-vis de cet enseignement, qui heurte la sensibilité religieuse de certains, puisqu’il contient, ainsi que vous l’avez démontré dans un précédent ouvrage qui eu un certain écho lors de sa publication : « La doctrine de la réintégration des êtres » (La Pierre Philosophale, 2012), des propositions que l’Église, toutes confessions confondues, regarde comme des « hérésies » ?

Sur ce sujet, la réponse est non de façon catégorique !

La pensée de Jean-Baptiste Willermoz, puisqu’il le voulut et fit en sorte que cela soit, n’est pas négociable, adaptable ou modifiable. Elle est un héritage vénérable, dont le Régime rectifié possède, et lui seul, le dépôt et la mission de conservation, « sainte doctrine de Moïse » selon l’expression choisie par le patriarche lyonnais, qui est dite être « parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous », dont l’Ordre est le dépositaire, et sans laquelle il est réduit à ne plus être qu’une coquille vide de sens, une structure dénuée de ses fondements essentiels, se changeant en une caricature de lui-même dépourvue de toute authenticité.

Jean-Baptiste Willermoz souligne à ce propos, dans les Instructions destinées à la dernière Classe non-ostensible du Régime : « La doctrine ne permet pas d’en douter ; et en effet, le principal but de l’initiation fut toujours d’instruire les hommes, sur les mystères de la religion et de la science primitive, et de les préserver de l’abandon total qu’ils feraient de leurs facultés spirituelles, aux influences des êtres corporels et inférieurs. Les Initiations devaient donc être le refuge de la Vérité, puisqu’elle pouvait s’y former des Temples dans le cœur de ceux qui savaient l’apprécier et lui rendre hommage. » [3]

Or cette « Vérité », fut oubliée par l’Église à partir du VIe siècle, ainsi qu’y insiste Jean-Baptiste Willermoz, au point que ce qui avait été connu et professé comme connaissances lors des premiers siècles du christianisme, a été ensuite considéré comme étant des erreurs condamnables, c’est-à-dire, selon la terminologie ecclésiale, des « hérésies » : « Toutes ces choses […] ont été parfaitement connues des Chefs de l’Eglise pendant les quatre ou six premiers siècles du christianisme. Mais, depuis lors, elles se sont successivement perdues et effacées à un tel point qu’aujourd’hui […] les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité. » [4]

Ce sujet relève donc d’une question importante que l’on peut, à bon droit, désigner comme relevant d’un enjeu fondamental qui a pour objet : la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine, puisque le Régime Écossais Rectifié, détenteur et conservateur de l’enseignement transmis par Martinès de Pasqually (+ 1774), participe de l’expression la plus aboutie du courant « illuministe » français au XVIIIe siècle, et des thèses qui le fondaient en son essence.

À vous lire, il existe donc comme éventuellement réalisable dans nos temps présents, un retour vécu et mis en pratique, concrètement, aux fondements des connaissances perdues, oubliées ou combattues, de l’illuminisme du XVIIIe siècle, dont votre livre consacré à l’histoire du Régime rectifié, se veut le témoignage, et en quelque sorte le guide pratique ?

Joseph de Maistre (1753-1821), qui fut membre en Savoie de la loge « La Sincérité », qui rejoignit la Réforme de Lyon en septembre 1778, nous renseigne sur ce qu’étaient les « illuminés » au XVIIIe siècle.

Je pense que la description que le comte chambérien nous a laissée, peut parfaitement s’appliquer à ce qu’il nous est demandé de poursuivre comme « voie » spirituelle et initiatique, de conserver comme « mystères » et d’approfondir en tant que « connaissances » supérieures, et surtout de vivre, dans la Foi, l’Espérance et la Charité, au sein de notre cheminement vers le « Temple de la Vérité ».

Lisons attentivement, chaque mot a son importance : «Je ne dis pas que tout illuminé soit franc-maçon : je dis seulement que tous ceux que j’ai connus, en Œuvres surtout, l’étaient ; leur dogme fondamental est que le christianisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est qu’une véritable loge bleue faite pour le vulgaire ; mais qu’il dépend de l’homme de désir de s’élever de grade en grade jusqu’aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens qui étaient de véritables initiés. C’est ce que certains Allemands ont appelé le christianisme transcendantal […] Les connaissances surnaturelles sont le grand but de leurs travaux et de leurs espérances ; ils ne doutent point qu’il ne soit possible à l’homme de se mettre en communication avec le monde spirituel, d’avoir un commerce avec les esprits et de découvrir ainsi les plus rares mystères…» [5]

Si ce livre, pouvait en conséquence, faire en sorte, que le « christianisme transcendant » dont parle Joseph de Maistre, caractérisant le Régime Écossais Rectifié depuis son origine, étranger à toute forme de dogmatisme ecclésial, soit vécu réellement, et donne d’accéder aux âmes de désir qui se sentent attirées et portées vers ce système initiatique, « aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens», alors, incontestablement, nous aurions atteint notre « objet », et répondu à la mission propre que s’est fixé l’Ordre, ce qui est son projet le plus sacré depuis sa fondation : le retour de chaque « mineur spirituel » à son origine divine.

Notes.

1. Citons en particulier, pour son incontestable intérêt documentaire, l’ouvrage incontournable de René Le Forestier : La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, Aubier-Montaigne, 1970 (préfacé par Antoine Faivre), réédition Arche, 2003.

2. On sera attentif au fait – montrant qu’il ne s’agit pas de ma part d’une extrapolation personnelle, d’une interprétation subjective, ou d’une rigidité issue d’un « willermozisme » excessif -, que le critère doctrinal s’impose dès l’entrée dans l’Ordre, puisque le Frère Préparateur, qui a pour fonction d’instruire les candidats des conditions requises pour qu’ils soient acceptés, déclare à l’impétrant, après lui avoir dévoilé les « trois questions d’Ordre » en chambre de préparation : « L’Ordre, ne devant pas accueillir des individus qui auraient une doctrine opposée à celle qu’il regarde comme sa règle fondamentale, a dû, relativement à ceux qui désirent d’y être admis, établir des formes certaines pour connaître leurs vrais sentiments, et leur conformité avec ses lois, afin d’éloigner de ses assemblées tout prétexte de dispute ou d’opposition d’opinions tendant à détruire la charité, la fraternité et l’union qui doivent y régner essentiellement […] Ainsi, Monsieur, ces questions ne sont présentées aux candidats qu’afin de connaître, par leurs réponses, s’ils sont dignes d’entrer dans l’Ordre, et pour leur faire entrevoir son véritable but et le terme des travaux particuliers imposés à chaque maçon.» Suite à cette mise en garde plus qu’explicite, le Frère Préparateur peut lire dans le rituel les lignes qui sont rédigées à son attention : « Si les réponses du candidat sont conformes à la doctrine de l’Ordre, le Frère Préparateur l’exhortera à y persévérer, et il les fera connaître sommairement à la loge lorsqu’il y fera son rapport.» (Cf. Rituel du grade d’Apprenti, 1802). Bien évidemment, tout ce discours, n’a de sens, qu’au sein des structures à l’intérieur desquelles est connue et conservée cette « doctrine » de l’Ordre, faute de quoi les cérémonies se réduisent à n’être qu’une mise en scène factice, un théâtre, où sont récités mécaniquement des textes incompris, vide de sens et dénués de véritable portée initiatique.

3. Instruction des Chevaliers Profès, 1778.

4. Lettre de Willermoz à Saltzmann, du 3 au 12 mai 1812, inRenaissance Traditionnelle, n° 147-148, 2006, pp. 202-203.

5. J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg: XIe Entretien, 1821.

 

Histoire du Régime Écossais Rectifié

des origines à nos jours

Lumières et vérités, sur l’histoire, les origines, le but 

et l’état contemporain de l’Ordre

La Pierre Philosophale, 2017, 572 pages.

 

La Très Sainte Trinité et le Régime Écossais Rectifié

In Christianisme, Doctrine, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Jean-Baptiste Willermoz, Philosophie, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration, Théologie, Théosophie on 6 novembre 2016 at 17:41

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L’Unité divine est désignée dans les rituels du Régime rectifié,

par ses facultés créatrices de

« Pensée »,« Volonté » et « Action »,

facultés adorées sous les Noms de « Père », « Fils » et « Saint Esprit ».

La question de la « Trinité » au sein du Régime rectifié, occupe une place centrale, pour ne pas dire fondamentale, puisque, comme il est connu, le système fondé par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) lors du Convent des Gaules (1778) à Lyon, se situe clairement, dans une affirmation trinitaire explicite dont l’adhésion est même une condition impérative pour en être membre, les travaux de l’Ordre intérieur étant placés sous les auspices du « Père, du Fils et du Saint-Esprit qui sont trois en Un ».

Mais avant que de s’imposer de façon si claire dans le système initiatique qui réforma la Stricte Observance, il aura fallu que Willermoz corrige la position de Martinès de Pasqually (+ 1774), qui ne se contentait pas de dire que l’essence divine est « quaternaire », ou plus exactement « quatriple », mais surtout se refusait d’admettre une distinction de trois personnes au sein de Dieu, ce qui apparente la conception martinésienne à du « modalisme », hérésie qui posait la seule réalité unique de Dieu en refusant toute distinction en son sein de trois personnes différentes.

a) Position non-trinitaire de Martinès de Pasqually

Martinès en effet, semble n’avoir jamais pénétré le mystère trinitaire et même s’en scandalise : « Il nous a été enseigné (sic), écrit Martinès, que Dieu était en trois personnes, et cela parce que le Créateur a opéré trois actions divines et distinctes l’une de l’autre en faveur des trois mineurs (…) Ces trois personnes ne sont en Dieu que relativement à leurs opérations divines et l’on ne peut les concevoir autrement sans dégrader la Divinité, qui est indivisible et qui ne peut être susceptible, d’aucune façon, d’avoir en elle différentes personnalités distinctes les unes des autres. S’il était possible d’admettre dans le Créateur des personnalités distinctes, il faudrait alors en admettre quatre au lieu de trois, relativement à la quatriple essence divine (…). C’est par là que nous concevons l’impossibilité qu’il y a que le Créateur soit divisé en trois natures personnelles.» (Traité, 182).

La position ici soutenue relève de l’unitarisme (voyant dans la Trinité trois modalités d’expression : Pensée, Volonté, Action et se refusant à la distinction des Personnes), que Willermoz ne pouvait admettre.

Résumant les erreurs de Martinès de Pasqually, Robert Amadou (+ 2006) écrivait donc : « Martines n’admet pas le dogme de la Trinité, car Dieu est un et son essence quaternaire. Lorsqu’il nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce sont pour lui trois fonctions en trois facultés – respectivement l’intention, la pensée et l’action -, non point des hypostases (pour utiliser le synonyme technique de Personnes ). Il personnifie les trois fonctions de la Divinité, mais en catégories et en termes d’angélologie, la démarche est typique du judéo-christianisme […] Le dogme de la Sainte Trinité, tel que les conciles oecuméniques l’ont défini, de même que celui de l’Incarnation, Martines n’en a pas connaissance. » [1]

b) Examen de la question de la Trinité

Cette difficulté importante, a fait l’objet d’une analyse développée dans « Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié », livre publié par Jean-Marc Vivenza en 2010, dans un appendice intitulé : «La Sainte et Indivisible Trinité »,  auquel il est utile de se référer lorsqu’on veut aborder sérieusement ce sujet complexe.

Voici ce que l’on apprend, et ce qui est exposé dans cette analyse :

 « Dans un passage de son Traité, Martinès écrivit parlant de Dieu : « S’il était possible d’admettre dans le Créateur des personnalités distinctes, il faudrait alors en admettre quatre au lieu de trois, relativement à la quatriple essence divine qui doit vous être connue… » (Traité, § 182) Un tel discours, qui semble surgir de l’hérésie modaliste, était évidemment difficilement recevable par Jean-Baptiste Willermoz, et il n’est pas surprenant que souhaitant corriger Martinès, c’est en premier lieu sur sa conception trinitaire qu’il fit porter ses immédiats et principaux efforts, afin de ramener la doctrine de la Réintégration à une conformité théologique exempte de toute trace d’hétérodoxie. Il réalisera ce projet, dès l’ouverture des Leçons de Lyon – attitude qui laisse supposer une certaine détermination et réflexion antérieure longuement mûrie – soulignant : « Le tableau des trois facultés puissantes innées dans le Créateur nous donne en même temps une idée du mystère incompréhensible de la Trinité : la pensée donnée au Père, 1, le verbe ou l’intention attribuée au Fils, 2, et l’opération attribuée à l’Esprit, 3. Comme la volonté suit la pensée et de la volonté, de même le verbe procède de la pensée et l’opération procède de la pensée et du verbe dont l’addition mystérieuse de ces trois nombres donne également le nombre sénaire, principe de toute création temporelle. Vous reconnaissez par cet examen trois facultés réellement distinctes, et procédant les unes des autres, et produisant des résultats différents, et cependant toutes réunies dans le seul et même Etre unique et indivisible. »  (Leçons de Lyon n° 1, 7 janvier 1774, W). » [2]

Jean-Marc Vivenza souligne ensuite :

« Ces précisions de Willermoz, de la plus haute importance, ont non seulement pour vertu de faire passer la doctrine martinésienne du quaternaire au trinitaire, mais, de plus, de repréciser avec beaucoup de rigueur la place fondamentale des Personnes, Père, Fils et Esprit au sein de la Sainte Trinité. Cette initiative, chez Willermoz, n’est pas simplement l’expression d’un souci de ne point s’écarter de la foi catholique, elle répondait à une conscience de la signification propre du dogme de la Trinité dans le cadre de l’économie spirituelle qui doit s’opérer en chaque âme, puisque, si nous sommes tous appelés, en tant qu’enfants de Dieu, à devenir participants de la nature divine (II Pierre 1 ,4), encore faut-il que nous nous conformions, sur notre chemin de divinisation, à la structure intime authentique de cette divinité en nous laissant emplir de la grâce trinitaire, nous préparant à pouvoir contempler un jour, face à face, l’éternelle circulation de l’énergie d’amour au sein de la circumincession des hypostases. »  [3]

c) La conception trinitaire est intrinsèque au christianisme

Suit alors, un examen détaillé de la présence de la conception trinitaire depuis les premiers siècles du christianisme, montrant que l’affirmation de la Sainte Trinité traverse toute la Révélation évangélique, et s’exprime dès la mise en mort du premier martyr de la foi, Etienne, rapportée en ces termes par les Actes des Apôtres : « Rempli du Saint-Esprit et fixant les yeux vers le ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Et il dit : « Voici, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu’’. » (Actes 7, 55-56), puis est réaffirmée avec une force particulière par l’apôtre Paul qui mentionne les trois Personnes de la Trinité dans sa célèbre formule de bénédiction aux Corinthiens que conserve l’Eglise dans sa liturgie : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père, et la communion du Saint Esprit, soient toujours avec vous » (2 Corinthiens 13, 13), suivit identiquement par Pierre lorsqu’il dira, s’adressant pour les saluer aux chrétiens de la dispersion du Pont de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bythinie qui séjournaient parmi les nations : « A ceux qui ont été choisis…., selon la prescience de Dieu le Père, pour être sanctifiés par le Saint Esprit…., et pour être arrosés du sang de Jésus-Christ. » (I Pierre 1, 1-2).

Comme on le constate, le Père, le Fils et l’Esprit, selon la révélation chrétienne, agissent et « opèrent » ensemble dans l’unité tripartite d’un seul Dieu en trois Personnes.

Le regard attentif porté sur le temps qui va séparer l’expression trinitaire des premiers siècles du christianisme, jusqu’à la proclamation de la Foi en la Sainte Trinité, lors du concile de Nicée (325), est l’objet de nombreuses pages circonstanciées, qui aboutissent à cette conclusion : « Certes, on a put parler, pour récuser l’autorité des premiers Conciles, d’une imprécision théologique générale au sujet du dogme de la Trinité chez les Pères anténicéens, Robert Amadou affirmera même : « Aucune thèse christologique est hérétique avant le concile de Nicée en 325. Avant comme après, différentes théologies sont habilitées à rendre compte d’un même dogme chrétien. » (Préface aux Leçons de Lyon, op. cit., p. 23). Les arguments présentés ne manquent donc jamais de nous indiquer, avec une singulière insistance, l’existence de nombreuses communautés de sensibilité judéo-chrétienne en marge du christianisme officiel s’étant perpétuées à travers les siècles en proposant une interprétation originale de la Révélation […].Ainsi, sont convoqués à l’appui de cette thèse soutenant l’existence d’une théologie aux multiples formulations au sein du christianisme anté-nicéen, les Ebionites,  juifs venus au Christ en le regardant uniquement comme le plus grand des prophètes mais refusant de le considérer comme le Fils de Dieu, les Elkasaïtes proches des Ebionites mais qui se distinguaient par un fort rejet de l’apôtre Paul, soutenant la réalité de multiples « incarnations » du Sauveur sous divers visages à travers l’Histoire, les Nazaréens ayant conservé, malgré leur passage au christianisme, les observances juives (sabbat et circoncision), les Zélotes messianiques chrétiens attendant et travaillant à hâter l’avènement de la Parousie finale qui instaurera pour toujours le Royaume de Dieu sur la terre, les Carpocratiens qui soutenaient que la Création était l’œuvre d’anges inférieurs, l’Eternel ayant délégué, selon eux, son autorités à des esprits intermédiaires pour que fût constitué le monde… » [4]

d) Impossibilité d’une théologie séparée au sujet de la Trinité

Toutefois, ce qui apparaît, c’est que l’idée qu’il ait pu exister des courants non trinitaires chrétiens, ne résiste pas à l’épreuve des faits : « Cette idée, d’une théologie séparée quasi « indépendante » prenant divers visages au sein du christianisme naissant, pour généreuse qu’elle soit, reçoit néanmoins son démenti catégorique lorsque l’on examine sérieusement les textes des docteurs de la foi des premiers siècles, textes traçant une frontière nette entre l’orthodoxie et l’hérésie. Chez Justin, chef du didascalée de Rome, saint et martyr, chez Théophile (IIe), précisément évêque d’Antioche et saint, chez Athénagore (IIe), nous retrouvons la même foi, l’affirmation d’une identique croyance trinitaire. D’ailleurs, soulignera Jules Lebreton dans sa monumentale étude portant sur l’histoire du dogme trinitaire : « Les œuvres de ces trois écrivains [Justin, Théophile et Athénagore], manifestent une foi sincère ; on peut dire (…) que leurs déclarations suffisent à faire connaître le dogme de la Trinité et à renverser l’hérésie d’Arius et celle de Sabellius. Chez eux comme chez tous les autres anténicéens qui appartiennent à l’Eglise, on voit affirmer et l’unité de Dieu et la Trinité des personnes et la véritable génération du Fils, qui n’est pas une créature du Père, mais qui est né de sa propre substance. Ce dogme capital qui est le fondement de la foi de Nicée ; les docteurs anténicéens le confessent unanimement. » (J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, vol. II, Beauchesne, 1928, p. XIX). » [5]

e) Conception trinitaire augustinienne de Willermoz

Mais ce qui est passionnant pour notre sujet, et relève d’un intérêt majeur pour ceux qui participent du cheminement du Régime rectifié, c’est de s’apercevoir, par ce que nous révèle Vivenza, que Willermoz, a puisé chez saint Augustin : « En effet, saint Augustin […] va établir une pertinente correspondance entre la Trinité et les trois facultés propres de l’âme humaine : la mémoire, l’intelligence et la volonté. Cette comparaison, qui va jouer un si grand rôle dans le discours théologique occidental au cours des siècles, inspirant les plus grands docteurs et engageant une approche du mystère divin à partir d’une anthropologie extrêmement poussée et subtile, sera intégralement reprise, il n’est pas négligeable de le noter pour notre sujet, par Jean-Baptiste Willermoz lors de l’élaboration de son système initiatique, qui en fera un élément majeurs de la doctrine de la Grande Profession, s’appuyant, entièrement, sur la conception augustinienne pour développer sa théorie de la dégradation des facultés qu’il avait antérieurement trouvée, mais de façon embryonnaire, chez Martinès de Pasqually. » [6]

Conclusion : la « Triple essence de l’unité »

Vivenza nous montre, en conclusion de son étude, que pour Willermoz les puissances actives par lesquelles l’Unité divine se manifeste et sont ainsi désignées dans les rituels du Régime rectifié, sont bien ses facultés créatrices de Pensée, Volonté et Action, adorées sous les Noms de Père, de Fils et de Saint Esprit, ceci nous éloignant totalement du modalisme de Martinès de Pasqually, et de sa conception trinitaire erronée, qui considérait que la « quatriple essence » (ou « quadruple« ), aboutit à « l’impossibilité que le Créateur soit divisé en trois natures personnelles », puisque pour Martinès les « quatre cercles d’esprits » dont est formé le monde surcéleste, « savoir l’esprit divin 10, l’esprit majeur 7, l’esprit inférieur 3 et l’esprit mineur 4″ (Traité,  182), est en fait la formalisation concrète de l’immensité divine : « … ce sont ces quatre cercles qui sont le véritable type de la quatriple essence divine. » (Traité, 224).

Ainsi, pour mieux nous faire comprendre ce qui distingue la conception modaliste martinésienne de la conception trinitaire willermozienne propre au Régime rectifié et qui lui est devenue intrinsèque et en fonde toute la perspective initiatique, Vivenza reproduit l’exposé que Willermoz fit concernant ce sujet, montrant d’ailleurs, contrairement à ce qui se dit beaucoup trop rapidement, que le patriarche lyonnais possédait une capacité d’approfondissement de la doctrine spirituelle d’une rare subtilité :

Doctrine de Moïse, Doctrine,

Instruction particulière & secrète à mon fils

 « Nous disons une Triple essence de l’unité, et non pas trois essences isolées et indépendantes de l’unité, car elles ne sont pas trois Dieux. Les trois Puissances créatrices de l’unité forment dans l’immensité incréée, l’Eternel Triangle Divin, dont elles sont le principe et le centre. Elles sont tellement inhérentes à la nature essentielle de l’unité, et tellement identiques avec elle, que quoique toujours distinctes par leur action particulière, elles forment ensemble avec l’Unité un seul Dieu. (…) Les puissances actives par lesquelles l’Unité divine se manifeste et opère toutes choses, sont ses trois propres facultés créatrices de Pensée ou d’intention, de Volonté et d’Action divine opérante, que nous personnifions et adorons sous les Noms de Père, de Fils et de Saint Esprit ; elles forment le sacré Ternaire de ces puissances créatrices que nous nommons la Très Sainte Trinité : mystère ineffable dont l’homme dégradé ne peut plus sonder toute la profondeur, mais dont la connaissance est si importante pour lui qu’afin qu’il ne la perde pas et qu’il puisse concevoir ce grand mystère, Dieu l’a gravé en caractères indélébiles sur son Être, comme sur la Nature entière, et la rendre en quelque sorte sensible à son intelligence en imprimant sur l’homme même, qui malgré sa dégradation reste toujours son image, une trinité de facultés actives et intelligentes de Pensée de Volonté et d’Action, en similitude de la Trinité Divine, par lesquelles il peut, ainsi que Dieu, produire des résultats analogues à sa propre nature, et sans lesquelles il serait à l’égard de tous les êtres qui l’environnent comme nul et non existant. Mais en Dieu, ces trois facultés puissantes sont égales en tout, et opèrent de toute éternité leur action particulière simultanément, quoique dans un ordre distinct, pour tous les actes d’Emanation, de Production, et de Création divine, auxquels elles concourent toutes trois également et distinctement, mais toujours en unité d’action, parce que Dieu étant l’Être de sagesse et de perfection infinie, la Volonté divine veut toujours ce que la Pensée divine a conçu, et ce que la Volonté a déterminé. Car il est certain que Dieu pense, veut et agit, et que ces trois facultés de l’unité divine produisent nécessairement des résultats de Vie spirituelle analogues à sa propre nature, Ainsi, on ne peut concevoir trois en Dieu, sans y reconnaître en même temps quatre : savoir : les trois puissances créatrices opérantes, et les Êtres spirituels émanés dont l’existence, hors du sein de l’unité, est opérée par elles.C’est donc bien avec raison que la religion présente sans cesse à l’homme les trois puissances divines créatrices, comme étant l’objet constant de son culte et de son adoration ; car la Pensée divine est vraiment Dieu, en Dieu et de Dieu. La Volonté divine et son Action opérante sont aussi chacune vraiment Dieu, en Dieu et de Dieu, ces trois puissantes facultés innées en Dieu, sont tellement identiques avec sa nature essentielle, que sans elles, Dieu ne serait pas Dieu ; comme aussi sans elles, ou pour mieux dire, sans leur similitude, l’homme, image de Dieu, ne serait pas homme. » [7]

*

L’Apprenti du Régime écossais rectifié apprendra donc :

« L’Orient maçonnique signifie la source et le principe de la lumière que cherche le Maçon. Elle vous a été représentée par le chandelier à trois branches qui brûlait sur l’autel d’orient comme étant l’emblème de la triple puissance du Grand Architecte de l’Univers. Cette lumière est le premier vêtement de l’âme, l’habit qu’on vous a donné n’en est que la figure et sa blancheur en désigne la pureté. Le signe qu’on vous a donné, séparant la tête d’avec le buste, vous rappelle la supériorité originelle de l’homme sur tous les animaux ; gardez-vous donc d’assimiler sa nature à la leur. » [8]

Lire :

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J.-M. Vivenza, Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié,

Le Mercure Dauphinois, 2010,

Appendice I. «La Sainte et Indivisible Trinité », pp. 263-292.

Notes.

1. R. Amadou, Introduction au Traité sur la réintégration des êtres, Collection Martiniste, Diffusion rosucrucienne, 1995, pp. 38-39.

2. J.-M. Vivenza, Les élus coëns et le Régime Écossais Rectifié, Le Mercure Dauphinois, 2010, pp. 263-264.

3. Ibid., p. 264.

4. Ibid., pp. 275-276.

5. Ibid., pp. 276-277.

6. Ibid., pp. 281-282.

7. Ibid., pp. 285-286.

8. Instruction morale du Grade d’Apprenti, Rituel 1802.

La doctrine de la Réintégration menacée par les critères religieux orthodoxes

In Christianisme, Doctrine, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Martinès de Pasqually, Philosophie, Polémique, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration, Religion, Théologie, Théosophie on 23 juin 2013 at 20:52

Elus coëns II

Réintégration et Résurrection selon Jean-François Var,

un « hors sujet » étranger à la doctrine de Martinès.

Parler de la Réintégration à la lumière des Pères de l’Eglise, pourquoi pas ? L’idée est intéressante, d’autant que le concept, connu sous le terme « d’apocatastase », se trouve en effet dans les écrits des Pères.

Mais le fond du problème est bien de savoir si la doctrine de la Réintégration révélée par Martinès au XVIIIe siècle, telle que présente aujourd’hui – depuis l’extinction des élus coëns et après la disparition du dernier Réau-Croix, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) – au sein du Régime Ecossais Rectifié et des Ordres Martinistes, est commune et identique avec l’enseignement des Pères de l’Eglise ?

a) La création d’Adam

Jean-François Var nous engage dans sa réflexion, par un petit détour poétique amusant, où il cherche à montrer que la IVe épilogue de Virgile, contrairement à ce qu’en déclara le relativement oublié Jérôme Carcopino, relève bien des écrits prophétiques (p. 18).

Passé ce petit interlude distrayant, Jean-François Var nous précise tout d’abord : « L’objet et la raison d’être de l’exposé c’est Adam» (p. 20), un Adam qui tour à tour nous est présenté en Eden et dans le monde visible, au moment de sa création et dans sa relation à Dieu, selon les vues des théologiens orthodoxes, en commençant pas saint Séraphin de Sarov (1759-1833), saint Maxime le Confesseur (580-662), saint Grégoire de Nysse (v. 331- v.394), saint Grégoire de Naziance (330-390) et saint Grégoire Palamas (1296-1359), (pp. 20-26).

Rien que de très classique et conforme à la tradition et à la Sainte Ecriture dans leurs écrits, puisque les Pères nous décrivent Adam issu du limon de la terre, vivant en harmonie au milieu des animaux et de la nature, non sujet à la mort, régnant sur le monde créé comme chef-d’œuvre de Dieu.

Une remarque pourtant dans ce texte de Jean-François Var, surprenante et assez osée s’il en est, retient immédiatement notre attention. La voici : « ceux qui sont familiers de la pensée de Martines auront été frappés de voir à quel point une bonne partie de ses intuitions [celles des Pères] sont là confortées, d’une part au sujet de l’état où se trouvait l’Homme premier, et d’autre part quant aux conséquences de la chute. » (p. 22).

Cette surprise, en forme de lourd travestissement et affirmation absolument infondée, n’est évidemment pas sans nous en rappeler une autre, lorsque le même Jean-François Var affirmait déjà dans son récent ouvrage La Franc-maçonnerie à la lumière du Verbe, avoir découvert, dans une illumination toute personnelle en forme de révélation privée : « une complète harmonie entre Willermoz, Saint-Martin », et « la Tradition plénière de l’Eglise orthodoxe » [1].

Ce défaut de vision suite à cette illumination, qui nous est maintenant familier, est d’autant plus choquant, que ni « l’état où se trouvait l’Homme premier », pour Martinès rappelons-le un esprit immatériel «devenu impur par son incorporisation matérielle» (Traité, 140), ni « d’autre part quant aux conséquences de la chute », qui se traduiront par une sanction emprisonnant Adam dans un corps de matière dont il fut revêtu pour sa honte et son indignité, enfermé charnellement dans un « ouvrage impur fruit de l’horreur de son crime » (Traité, 23), ne se trouvent chez aucuns des Pères de l’Eglise canonisés et placés sur les autels, même pas Grégoire de Nysse qui fut le plus perméable aux thèses néoplatoniciennes, Pères qui sont cités et auxquels se réfère Jean-François Var.

b)  La « désintégration » d’Adam inconnue des Pères

Et cette totale absence d’identité entre « une bonne partie des intuitions des Pères » et la doctrine de Martinès est si vraie, que Jean-François Var, pour essayer de faire tenir son acrobatique démonstration, va chercher, en une longue citation (pp. 26-28), chez l’auteur anonyme des Sept instructions aux Frères en saint Jean, qui malgré ses qualités et son appartenance réelle ou supposée à l’Ordre de l’Etoile Internelle, n’est tout de même pas un Père de l’Eglise portant auréole, une « pétrification en corps matériel du corps spirituel d’Adam » (p. 26), thèse constamment rejetée avec force par l’Eglise en ses différents  conciles.

Comprennent donc qui pourra ?!

Nous sommes ainsi, clairement, face à un exercice intellectuel à l’équilibre intenable, d’ailleurs objectivement assez peu sérieux, mêlant vues personnelles et confusions thématiques, et surtout participant d’un oubli théorique formel invalidant l’ensemble de la démonstration, puisque le présupposé sur lequel est appuyé la doctrine de la réintégration chez Martinès, soit le caractère nécessaire de la Création qui fut imposée à Dieu en raison de la révolte des premiers esprits, Création qualifiée de « nécessaire » car « sans cette prévarication, il n’y aurait point eu de création matérielle temporelle, soit terrestre, soit céleste » (Traité, 224), expliquant toute l’architecture conceptuelle, métaphysique et eschatologique du Traité sur la réintégration, n’est pas abordée une seule fois, même pas allusivement et de façon indirecte dans cet exposé de 20 pages gratifié d’un appendice intitulé : « La Réintégration selon saint Irénée de Lyon » !

c) Une Réintégration par les sacrements de l’Eglise ?

Comment s’étonner ensuite, après un oubli théorique aussi important de la part de Jean-François Var, rendant quasiment vain son exposé, de se retrouver entraîné dans des considérations sur la différence entre Réintégration et Résurrection, relevant de la théologie morale et ascétique, touchant à l’abîme ontologique qui sépare l’homme de Dieu, exigeant que soit réalisé un travail, et l’action d’une nature divine unique pour obtenir le Salut, faisant que l’on se retrouve, même si le thème est intéressant, totalement « hors sujet » et complètement éloigné de la question que l’auteur disait vouloir aborder, soit la pensée des Pères de l’Eglise et la doctrine de la réintégration de Martinès.

Bien évidemment de longs passages sont dispensés sur la nécessité des sacrements pour vivre en Christ : « sacrements dont il a confié la dispensation à son Eglise, sacrements par lesquels, dans le baptême, nous participons expérimentalement (et non pas seulement symboliquement) à la mort et à la résurrection du Christ » (p. 31) ; cette remarque n’échappera pas aux maçons qui apprécieront,  mais surtout aux disciples de Louis-Claude de Saint-Martin, qui pourront se demander s’ils se contentent de participer « symboliquement » dans leurs travaux à la mort et à la Résurrection du Christ, sachant que l’affirmation qui suit, tranchante et impérative, ne laisse pas de place à la discussion : « par l’eucharistie nous avons accès, par l’humanité du Christ (le pain étant devenu son corps et le vin son sang) au feu de sa divinité. Telle est la voie, la voie unique. » (Ibid.).

On pourra sourire à une incise de Jean-François Var, suite au rappel de ses positions ecclésiales étroites, lorsqu’il en profite pour mettre son petit coup de patte habituel à saint Augustin : « Saint Augustin s’est trompé : la chute n’a pas été le motif, elle n’a pas été la cause de l’i(sic)ncarnation. Il n’y a pas eu de felix culpa » (p. 31), sachant que bien des Pères « orthodoxes », ont professé la même thèse que l’évêque d’Hippone, comme saint Athanase : « Le Verbe ne se serait pas fait homme si la nécessité de sauver les hommes n’avait pas existé », (Adv. Arianos, orat. 2, n°54), et même Saint Irénée : « Si la chair n’avait pas dû être sauvée le Verbe de Dieu ne se serait pas fait chair .» (Contre les Hérésies V, 14).

d) La Réintégration selon les Pères différente de la Réintégration selon Martinès

Mais alors penserez-vous, que deviennent « les intuitions [des Pères] confortées », par la doctrine de la Réintégration de Martinès, intuitions qui devaient nous convaincre (n’oublions pas que nous devions en être « frappés »), « au sujet de l’état où se trouvait l’Homme premier, et d’autre part quant aux conséquences de la chute. » (p. 22) ?

Eh bien catastrophe !

Tous les efforts de Jean-François Var aboutissent à nous informer que la Réintégration selon les Pères ne réintègre rien du tout, qu’elle n’est pas « un retour [à ce qu’Adam était] à l’origine » (p. 32).

La Réintégration selon les Pères, n’a donc rien à voir, comme il est aisé de le constater, avec la Réintégration selon Martinès, c’est une Réintégration écrit Jean-François Var : « dans le sens de conquête de l’intégrité de la nature que Dieu veut que l’homme possède : nature humano-divine…non pas réintégration initiale, mais réintégration finale et universelle. Réintégration par le moyen de la résurrection universelle (sans elle, ce serait illusion démoniaque)…Oui la r(sic)ésurrection du Christ cosmique, elle inonde la totalité de l’univers créé, matériel et spirituel, par les énergies divines incréées… » (p. 32).

C’est beau, c’est conforme à la foi de l’Eglise, c’est édifiant sans aucun doute, mais c’est très éloigné de la Réintégration telle que soutenue par Martinès, pour lequel il n’y aura pas résurrection cosmique en Christ devant inonder la totalité de l’univers créé, ni aucune spiritualisation de la matière, mais anéantissement du monde créé : « La création n’appartient qu’à la matière apparente,  qui, n’étant provenue de rien  si ce n’est de l’imagination divine, doit rentrer dans le néant » (Traité, 138), ainsi qu’une dissolution qui « effacera entièrement » la  « figure corporelle de l’homme et fera anéantir ce misérable corps…» (Traité, 111), afin qu’Adam retrouve  sa première propriété, vertu et puissance spirituelle divine primitive.

e) Impossible harmonie entre les Pères de l’Eglise et la pensée de Martinès

Jean-François Var sait cependant qu’il a dirigé son lecteur, pour les lui faire admettre, dans des considérations se situant à une immense distance de la doctrine martinésienne authentique. Il glisse donc dans sa conclusion, de façon faussement ingénue : « Aurais-je, durant ce parcours, dévié de mon itinéraire ? Il n’a pourtant rien eu d’imprévu puisque je vous ai menés, comme annoncé, de Père de l’Eglise en Père de l’Eglise. » (p. 33)

Or, ce qui avait était annoncé aux lecteurs, c’était bien sûr de cheminer avec les Pères de l’Eglise, mais de cheminer en regard de ceci : « Martines a voulu enraciner son enseignement dans le terreau chrétien (…) Mon propos consiste à aborder les thèmes traités par Martines – ou plutôt un des thèmes, mais fondamental, celui de l’Homme et sa destinée – à la lumière de la tradition des Pères de l’Eglise » (p. 16) , et de ce « terreau chrétien », non examiné en son essence, on souhaitait évidemment nous prouver que  « les intuitions [des Pères] sont confortées », par la doctrine de la Réintégration de Martinès, « au sujet de l’état où se trouvait l’Homme premier, et d’autre part quant aux conséquences de la chute. » (p. 22).

Pourtant ce qui apparaît, contrairement à ce qui était annoncé, c’est qu’à aucun moment il n’a été possible à Jean-François Var de trouver une correspondance véritable entre Martinès et les Pères de l’Eglise, et que lorsqu’il s’est agi de justifier la « désintégration » (sic) d’Adam, il fut contraint d’aller chercher l’auteur des Sept instructions aux Frères en saint Jean comme source, auteur qui n’a évidemment rien d’un docteur de l’Eglise. On notera par ailleurs, que nulle part ont été abordés les thèmes centraux du Traité sur la réintégration des êtres, dont l’initial qui conditionne tous les autres, la Création du monde matériel rendue « nécessaire » à cause de la Chute ( « La matière première ne fut conçue … que pour contenir et assujettir l’esprit mauvais dans un état de privation….cette matière n’a été engendrée… que pour être à la seule disposition des démons », Traité, 274), thème fondateur de la doctrine de la Réintégration, qui a été purement et simplement oublié et tenu sous silence !

On pourra donc sourire de voir Jean-François Var se référer ultimement à Robert Amadou (+ 2006) pour valider son exercice de camouflage théorique, en citant cette phrase : « La philosophie servie par Martines de Pasqually est la doctrine traditionnelle de la réintégration, parfaite en Jésus-Christ, qui légitime seule les sociétés de mystères (…) elle étaye la théologie-théosophie du judéo-christianisme ou du christianisme de l’Eglise orientale… » (p. 33), sachant que la doctrine traditionnelle de la réintégration, parfaite en Jésus-Christ, étayant une « théologie-théosophie du judéo-christianisme », n’a pas grand-chose à voir, pour ne pas dire strictement rien, avec ce que cherchait à prouver Jean-François Var consécutivement à son intuition conceptuelle fondatrice, c’est-à-dire la « complète harmonie » de la pensée de Martinès, et surtout de ses disciples Willermoz et Saint-Martin, « avec la Tradition plénière de l’Eglise orthodoxe » [2].

Il aurait donc été beaucoup plus prudent, avant que d’engager un exposé ayant pour finalité d’en déceler les traces dans les textes de la tradition patristique, de se demander quel rapport exact cette « Réintégration », pensée par les Pères de l’Eglise, entretient-elle avec celle que développe Martinès de Pasqually dans son Traité sur la réintégration des êtres ?

Mais pour cela il fallait impérativement se poser préalablement la question de savoir si les présupposés sur lesquels repose la doctrine de la réintégration, telle que soutenue par Martinés – à savoir l’émanation des esprits, la création du monde matériel imposée à Dieu par la Chute et opérée en guise de sanction, non par Dieu mais par des esprits intermédiaires, pour y enfermer les anges rebelles puis Adam et sa postérité, la préexistence des âmes, l’état originel incorporel d’Adam, la « transmutation substantielle » du dit Adam en une « forme corporelle matérielle impure », et enfin, la réintégration conçue comme dissolution et anéantissement du composé matériel – se trouvent effectivement chez les Pères de l’Eglise ?

Or, sur tous ces points silence total, pas une ligne, pas une virgule à propos d’interrogations qui auraient permis un questionnement valide du point de vue théorique sur la doctrine martinésienne.

Et sur cet aspect des choses, pour répondre à l’interrogation évoquée par Jean-François Var puisqu’il a soulevé cette question, et le dire franchement : non seulement les Pères de l’Eglise ne soutiennent pas les présupposés de la doctrine de la réintégration de Martinès, mais plus encore ils les condamnent tous, en bloc et vigoureusement, les désignant comme étant des erreurs scandaleuses et des hérésies contraires à la foi de l’Eglise, ce qu’ils définiront solennellement lors des conciles, notamment le IIe de Constantinople en 553, lorsque les thèses origénistes, qui sont elles quasi identiques et ont une vraie parenté avec les thèses de Martinès, furent l’objet des anathématismes les plus sévères.

Conclusion

Que retirer donc de ce travail, qui d’ailleurs aurait été beaucoup plus à sa place dans le périodique théologique d’une église orthodoxe, que dans une revue initiatique tournée, en théorie, vers les sujets maçonniques et ésotériques ?

Au final pas grand-chose, du moins qui soit utile concrètement à quiconque cherchant à progresser sur le plan initiatique.

Toutefois une mise en garde s’impose pour le lecteur non averti : on prendra soin de ne pas confondre les vues patristiques avec les vues martinésiennes, sous peine de tomber dans une confusion gravissime, qui  a déjà eu pour conséquence d’engager plusieurs des minuscules chapelles néo-coëns contemporaines issues de la Résurgence de 1943 dans des impasses catégoriques, et a conduit, beaucoup plus gravement encore, ce qui fut en 1935 l’instance qui présida au réveil du Régime rectifié, vers une dérive fatale l’ayant transformée en une obédience confessionnelle multiritualiste, accompagnée d’une Aumônerie, d’ailleurs forgée conceptuellement par Jean-François Var lui-même, et qui s’est donnée statutairement pour objet de veiller au respect des dogmes de l’Eglise [3], dogmes dont le Grand Maître actuel de cet assemblage baroque connu sous le nom de G.P.D.G., considère officiellement qu’ils sont intangibles mais « non la doctrine de l’Ordre », qui elle, précisément en ce qui concerne le Régime rectifié, provient de Martinès de Pasqually. [4]

Nous ne saurions donc trop inviter à la prudence, pour ceux qui aborderont ces lignes de Jean-François Var, afin qu’ils se gardent de leur conférer une autorité en matière d’initiation willermozienne ou martinésienne, lignes participant d’une orientation confessionnelle orthodoxe, certes ouvertement revendiquée, mais cependant absolument étrangère à la doctrine de la réintégration, comme il apparaît clairement.

 RT

« Réintégration et Résurrection à la lumière des Pères de l’Eglise »

Jean-François Var, Renaissance Traditionnelle, n° 169, janvier 2013, pp. 16-35.

Notes.

1. « Et, merveille, entre Willermoz, Saint-Martin et l’Eglise régnait une complète harmonie (je répète) qui me transportait d’allégresse : c’est ce que je ressentais dans mes débuts exultants ; par la suite, j’apportai à cette appréciation quelques modulations, il n’empêche qu’elle reste toujours immuable en son fond. » (La franc-maçonnerie à la lumière du Verbe, Dervy, 2013, p. 16).

2. Ibid.

3. «L’Aumônerie est un organisme national dont la mission est l’enseignement des principes spirituels des Ordres, en particulier la doctrine de la religion et de l’initiation chrétiennes. » (Statuts du Grand Prieuré des Gaules, Livre VII, Titre 1, 2012).

4.  « C’est le dogme qui est intangible, pas la doctrine (…) Nous restons… sentinelles des défaillances oublieuses des vérités religieuses… Sans la présence du Christ en nous, à travers ses sacrements, nos prières à terme nous feront tomber dans l’illusion … [l’homme] n’est nullement au-delà des lois de l’Eglise.» (Bruno Abardenti, Discours du Sérénissime Grand Maître du Grand Prieuré des Gaules, Saint Michel 2012,  Cahiers Verts, n°7, septembre 2012, pp. 14-15).

Méthode pour lire le Traité de la Réintégration de Martinès de Pasqually

In Christianisme, Doctrine, Elus coëns, Franc-maçonnerie, Jean-Baptiste Willermoz, Martinès de Pasqually, Régime Ecossais Rectifié, Réintégration, Religion, Théosophie on 30 décembre 2012 at 16:16

sceau élus cohen

La doctrine de la réintégration est coeur du Régime rectifié, mais encore faut-il la connaître, l’étudier, l’approfondir. La Loge d’Etude et de Recherche du Directoire National Rectifié de France, Prunelle de Lière – A Tribus Oculis, a pris l’heureuse initiative de publier les précisions fournies par Jean-Baptiste Willermoz à Jean de Türkheim, afin de lui indiquer comment lire sérieusement et avec profit le Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually. Nous croyons très utile aux lecteurs contemporains, notamment s’ils sont membres du Régime Ecossais Rectifié, de se remémorer les conseils de Willermoz, et surtout de les appliquer dans leur lecture, qu’on espère assidue et attentive, du Traité.

Dans son Introduction du Traité de la Réintégration…, édition Dumas 1974, Robert Amadou nous met en garde et nous donne la méthode pour  » lire, vivre  » le Traité. Il cite une lettre [1] de Jean-Baptiste Willermoz à Jean de Türkheim, du 25 mars 1822.

Un élève de l’école où, sous la direction du maître, l’on pratiquait ce manuel, nous inculque la méthode :

« Le Traité de la réintégration des êtres est une pierre d’achoppement pour la multitude des lecteurs légers et frivoles qui foisonnent partout depuis un certain temps, surtout en Allemagne, où l’on s’accoutume plus que dans les autres contrées à juger les choses plus graves par leur superficie. L’auteur n’avait destiné son ouvrage qu’à ses Réaux ou à ceux qui se montraient les plus prêts à le devenir. La mort et celle de ceux qui en avaient des copies en a changé la destination. Elles sont tombées en des mains étrangères et ont produit beaucoup de tristes effets; l’une d’elles vous est parvenue. Dieu l’a voulu ou permis, sachez en profiter.

Ne commencez pas la lecture que vous ne puissiez pas la suivre journellement et faites-vous un devoir rigoureux de la suivre ainsi sans interruption; si cela ne dépend pas de vous, différez encore pendant dix ans, s’il le faut de la commencer. Quand vous en aurez fait une première lecture entière, commencez-en de suite une seconde, de même sans trop approfondir les difficultés ou les obscurités que vous n’aurez pas encore percé.

Après cette seconde lecture, faites en de même une troisième et vous reconnaîtrez à une troisième que vous avez bien avancé votre travail et que ce que vous aurez ainsi acquis par vous-même, vous restera plus solidement empreint, que si vous l’aviez reçu par des explications verbales, qui toujours s’effacent plus ou moins. Il faut encore avant tout vous interroger et scruter dans quelles intentions vous vous livrez à ce désir et au travail pénible qui le suivra. Vous reconnaîtrez bientôt en vous un double motif : dans le premier le plus naturel de tous, celui d’acquérir et d’augmenter votre propre instruction. Mais ne s’y glissera-t-il point un peu de cette curiosité inquiète de l’esprit humain, qui veut tout connaître, tout comparer, tout juger de sa propre lumière et qui par là empoisonne tout le fruit de ses recherches ? Dans le second, celui de pouvoir vous rendre le plus utile à vos semblables, qui est le plus louable de tous en apparence puisqu’il rentre dans l’exercice de la charité chrétienne si recommandée à tous.

Mais s’il est entré dans votre plan de l’appliquer à telle ou telle personne, société, localité, tenez-vous en garde car souvent l’amour propre se glisse insidieusement derrière des motifs si louables, en altère la pureté, en corrompt tous les fruits. J’ai reconnu pour le plus sûr, de se concentrer sans choix personnel dans la multitude des hommes préparés par la Providence qui les mettra ainsi préparés en rapport avec vous quand leur temps sera venu. C’est dans la multitude ainsi disposée que se trouvera dans sa plénitude et sans danger l’exercice de cette charité chrétienne si recommandée.

Imposez-vous, avant de commencer votre première lecture, un plan régulier, déterminé pour chaque jour et bien médité, en prévoyant les obstacles accidentels ou journaliers qui pourront survenir, une règle fixe, mais libre pendant sa durée, dont vous ne vous permettrez point à vous écarter de sorte que chaque jour ait son temps consacré à cette lecture jusqu’à la fin du Traité. Livrez-vous y alors de tout votre cœur et avec toute l’attention dont votre esprit sera capable en repoussant chaque distraction.

Je distingue ici l’esprit et le cœur parce que ce sont deux puissances ou facultés intellectuelles qu’il ne faut point confondre. L’esprit voit, conçoit, raisonne, compose, discute et juge tout ce qui lui est soumis. Le cœur sent, adopte ou rejette et ne discute point; c’est pourquoi je n’ai jamais été éloigné de penser que l’homme primitif pur, qui n’avait pas besoin de sexe reproductif de sa nature, puisqu’il n’était pas encore condamné, ni lui ni tous les siens à l’incorporisation matérielle qui fait aujourd’hui son supplice et son châtiment, eut deux facultés intellectuelles inhérentes à son être, lesquelles étaient vraiment les deux sexes figuratifs réunis en sa personne, mentionnés dans la Genèse, dont les traducteurs et les interprètes ont si complètement matérialisé les expressions dans les chapitres suivants, qu’il est presqu’impossible d’y connaître aucunes vérités fondamentales. Car par l’intelligence dont le siège réside nécessairement dans la tête, il pouvait, comme il peut encore, connaître et adorer son créateur, et par la sensibilité qui est en lui l’organe de l’amour et dont le siège principal est dans le cœur, il pouvait l’aimer et le servir, ce qui complétait le culte d’adoration, d’amour et de gratitude qu’il lui devait en esprit et en vérité. »

« Lire le Traité, vivre la réintégration« … Dit Jean-Baptiste Willermoz. Martines de Pasqually ne dit autre chose. Ni Saint-Martin, ni aucun théosophe, ni aucun initié de quelque sorte. Mais Martines le dit en son langage et, quant au bon usage du Traité, que ce volume offre à l’écoute et à la traduction des amateurs, vrais philosophes, il sied que sa voix soit ici prépondérante, et conclue :  » J’ai toujours dit que tout homme avait devant lui tous les matériaux convenables pour faire tout ce que j’ai pu faire dans ma petite partie. L’homme n’a toujours qu’à vouloir, il aurait puissance et pouvoir [2]. » Sans oublier que  » la chose est quelquefois dure pour ceux qui la désirent trop ardemment avant le temps [3]. »

Source : Loge d’Etude et de Recherche A Tribus Oculis

Notes.

1. In Traité de la Réintégration, édition Dumas. Introduction de Robert Amadou.

2. Lettre à Willermoz, en date du 19 septembre 1822, in Traité de la Réintégration, édition Dumas. Introduction de Robert Amadou.

3. Lettre à Willermoz, du 7 avril 1770, in Traité de la réintégration, édition Dumas. Introduction de Robert Amadou.